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Achtung! Les alliances entre rouges et bruns se précisent outre-Rhin

L’Alliance Sahra Wagenknecht, une gauche national-conservatrice ?


Achtung! Les alliances entre rouges et bruns se précisent outre-Rhin
Mme Sahra Wagenknecht au parlement allemand, 18 mars 2025 © Berlin, Hannes P Albert/DPA/SIPA

L’Alliance Sahra Wagenknecht transgresse les lignes rouges de la politique allemande en assumant des convergences ponctuelles avec l’extrême droite de l’AfD, au nom du pragmatisme démocratique mais aussi au nom d’une gauche antilibérale en rupture avec le progressisme « woke ».


En 1997, Patrick Besson signait un roman, Didier dénonce, dans lequel il moquait ceux qui voyaient des complots rouge-brun partout. Presque trente ans plus tard, c’est peut-être d’Allemagne que ce fantasme verra le jour. A la question d’une alliance possible avec l’AfD, Sahra Wagenknecht, leader du parti éponyme (Alliance Sahra Wagenknecht) issu d’une scission avec le parti d’extrême gauche Die Linke, a récemment répondu : « Si vous me demandez si je m’adresserais également à M. Tino Chrupalla [leader de l’AfD] s’il y avait une raison concrète à cela, comme ce fut le cas en Thuringe lors de la réunion des présidents des groupes parlementaires : oui, bien sûr ». Ajoutant : « Cela devrait être normal dans une démocratie ». Un appel du pied suffisant pour que les médias allemands détectent « la même pensée autoritaire » au sein des deux formations.  

Quand craque le BraudenMauer…

L’alliance avec l’AFD ? Y penser souvent, n’en parler (presque) jamais. Dans ce pays, l’extrémisme de droite, quoiqu’en recul depuis Koursk et Stalingrad, n’amuse personne. Le cordon sanitaire, ici « BrandMauer », a longtemps défié toute résurgence des vaincus de 1945. La NPD (parti « national-démocrate »), aux fortes accointances néo-nazies, ou les Republikaners de l’ancien Waffen SS Franz Schönhuber n’ont jamais trouvé d’allié et n’étaient qu’exceptionnellement invités dans les médias. Aussi, ils n’ont connu de succès électoraux que temporaires, locaux et limités. Facile à maintenir quand l’extrême droite ne dépasse pas les 5%, le BraudMauer commence à céder lorsque l’AfD commence à rafler un quart ou un tiers dans certains Landers de l’ancienne Allemagne de l’Est. Problème : dans la BundesRepublik, comme à Weimar, on ne gouverne qu’en coalitions : le scrutin est strictement proportionnel, même à l’échelon local. Les partis de droite ont donc été tentés de croquer dans la pomme des alliances interdites pour gouverner à nouveau certains exécutifs.

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Les premiers à craquer (ou croquer) furent les alliés libéraux d’Emmanuel Macron au Parlement européen. En février 2020, lors de l’élection du ministre-président (équivalent d’un président de région) de Thuringe, Thomas Kemmerich, membre du FDP, a été élu grâce aux voix de l’AfD, dirigé localement par Björn Höcke, face au candidat de gauche « Die Linke ». Levée de boucliers ! Sacrilège ! Tabou brisé ! « Acte impardonnable » s’étrangla la chancelière Angela Merkel. Devant la pression, le président libéral dût démissionner 48 h plus tard. Et les partis de bricoler un pacte de coalition pour maintenir un gouvernement du Land allant des démocrates-chrétiens… aux post-communistes. Depuis cet épisode, une partie de l’électorat FDP (parti désormais au fond du trou) a glissé vers l’AfD. La base libérale est souvent plus fiscale qu’humaniste, eurosceptique non par nostalgie de la grandeur nationale mais par refus des transferts budgétaires entre États. Le scandale de 2020 y a été vu comme une abdication morale de la droite modérée envers la gauche.

Friedrich Merz, alors chef de la CDU, sentant le vent de l’union des droites tourner, tenta un nouveau coup de sonde. Il déclare en juillet 2023 dans un média suisse que les élus de son parti pourraient, au niveau local, « travailler avec des maires ou des présidents de canton élus sous l’étiquette AfD », dès lors qu’ils sont démocratiquement désignés. Plusieurs résolutions communes avaient déjà été votées par l’apport des élus nationalistes aux démocrates chrétiens. Là encore : Horreur ! BrandenMauer fissuré ! « L’AfD est antidémocratique, d’extrême droite », avait sursauté Markus Soder, le chef de la CSU bavaroise – région qui pourrait avoir un passif historique à absoudre. Comme le président démissionnaire de Thuringe, M. Merz revint sur ses propos dès le lendemain. Les consciences de la CDU veillent. En janvier 2025, Angela, toujours elle, critiqua publiquement une motion anti-immigration votée par la CDU au Bundestag avec le soutien de l’AfD, dénonçant un alignement dangereux. Cinq ans après le scandale de Thuringe, ce sont donc les électeurs de la CDU qui entament leur migration vers l’AfD. Ce sont des retraités conservateurs, des classes moyennes rurales, des ex-électeurs CSU qui se tournent vers le parti de M. Höcke non par nostalgie hitlérienne, mais parce qu’ils ne se sentent plus représentés par une droite plus obsédée de digues morales que de digues fiscales, migratoires ou identitaires.

La gauche Rosa plutôt que la gauche Greta

Dans un pays qui a troqué Rosa Luxemburg pour Greta Thunberg, Sahra Wagenknecht est une relique hérétique. Trop brillante pour les chaines d’info (elle est docteure en philosophie et économie ; un titre qui compte en Allemagne), trop rouge pour la droite, trop nationale pour la gauche… Elle fut d’abord marxiste : née en Allemagne de l’Est, elle a même appartenu au SED, l’ancien parti communiste. Ça tombe bien, l’AfD et le BSW font leurs meilleurs scores sur le même fief électoral, celui de l’ancienne RDA. Son discours antilibéral est intégral et ne cède rien au progressisme. Elle a dénoncé l’obsession migratoire de la gauche comme un abandon des classes populaires qui commencent en Allemagne à être broyées par le libre-échange et les faillites d’usines. Elle a tenu la barre de Die Linke avant de faire scission avec ses ex-camarades intersectionnelles pour fonder le BSW – Bundins Sahra Wagenknecht : un parti refuge pour ceux qui ont voté SPD, puis Die Linke, puis plus rien… en attendant peut-être de voter AfD. Au Parlement européen, Michael von der Schulenburg, député BSW non-inscrit, vote déjà en faveur des amendements de l’AfD, notamment quand les deux formations sur retrouvent sur les mêmes thèmes eurosceptiques et le même tropisme russophile.

Le BSW serait donc une gauche conservatrice anti woke, en rupture avec le progressisme de Die Linke, qui a frôlé l’entrée au Bundestag aux dernières élections. Une Marine Le Pen de gauche ? Non : trop de Kant, trop de Marx, trop d’Adorno. Trop d’impératif catégorique, trop de lutte des classes, trop de traumatisme historique. Et pourtant…elle transgresse l’ultime tabou moral de l’après-guerre et pactiser avec le nationalisme. Sans doute un impératif politique : son parti ne voulait-il pas réconcilier la gauche avec le réel ?




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