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Des statistiques trop mouvantes


Des statistiques trop mouvantes

Chaque semaine, c’est la même satisfaction, et chaque semaine c’est le même vertige. En recevant mon exemplaire de The Economist, je sais que je trouverai, niché dans sa sobre maquette, un étonnant résumé du monde. Je ne parle pas des analyses, mais de l’irrésistible talent qu’a l’hebdo des dominants pour mettre la réalité en pourcentages et en courbes et multiplier les encadrés qui frappent l’imagination en chiffrant le monde tel qu’il va.

Cette semaine, The Economist publie le classement des capitales en fonction de leur « urban competitiveness ». Le Webster indiquant que la moitié du vocabulaire anglophone vient du français, il est inutile, j’imagine, de traduire. Alors, allons droit aux résultats. Car cette rivalité-là a son petit fumet Jeux Olympiques – c’est qui les champions du monde, hein ? Oh ! Je ne suis pas dupe : depuis que j’ai appris que « le fameux » classement de Shanghai des meilleures universités du monde était en réalité un bricolage solitaire, et qu’il était néanmoins repris partout sans examen… Et pas naïf non plus : la série d’études et de classements publiée par les médias français depuis deux ans était on ne peut plus claire sur le manque d’attractivité de Paris et de l’Ile-de-France.
Fataliste, donc, je pose l’œil sur l’oracle statistique. Surprise ! Paris arrive quatrième sur les cinq cent plus grandes villes du monde. Quatrième ! Médaille de zinc, en somme, ce qui n’est pas si mal. Juste derrière Tokyo, capitale de la seconde puissance économique mondiale, et à quelques coudées de New York et Londres. Du coup, je ne cherche pas même à décortiquer la méthode selon laquelle a été établi ledit classement : je l’adopte tel quel.

Je dois confesser avoir fait de même au sujet de la richesse des nations. J’appartiens à la génération à laquelle on avait enseigné que les pays se classaient selon leur PNB – ou, pour le dire en français : en fonction de la richesse qu’ils produisent chaque année. Leurs revenus, quoi. « Eh ! bien, tout faux ! » m’ont un jour annoncé Le Figaro et The Economist : l’heure est désormais au PPP. Prononciation : pi-pi-pi. Signification : purchase power parity. Là, je traduis tout de même : parité du pouvoir d’achat. Mode de calcul implacablement novateur, le PPP prend en compte les prix réels. Je traduis encore : si un Chinois gagne mille dollars par mois et un Américain dix mille, mais qu’à consommation équivalente (Coca, MacDo, essence, loyer d’un trois pièces, etc.), le Chinois ne dépense que cinq cents dollars pour vivre quand l’Américain en dépense huit mille, alors on se doit de conclure que cinq cents dollars à Beijing en valent huit mille à Washington. Et donc que le Chinois est en réalité seize fois plus riche que ne le disaient ces ânes de l’OCDE (75016 Paris). A l’échelle des nations, bien sûr, cela bouleverse la hiérarchie, faisant de la Chine la médaille d’or devant les USA et loin devant le Japon, rattrapé par l’Inde. Quant à la France, je ne vous dis pas : quinzième ou vingtième selon les classements, loin, très loin du podium. De quoi faire prendre la porte à Lagarde.

Quand on est cocardier et de nature sensible, le mieux est donc encore de choisir ses statistiques sur mesure. Voyez les Jeux Olympiques : en principe, le classement par nations se fait au nombre de médailles d’or. Le seul métal qui compte. Ce qui donne, à l’instant où j’écris, le podium suivant : Chine (43), USA (25), Royaume-Uni (14). France : quatre médailles d’or, onzième rang, entre l’Ukraine et la Roumanie. Pas brillant. Mais dans son édition on line, le Wall Street Journal a trouvé la parade : un classement comptabilisant le nombre total des médailles – après tout, l’argent ne vaut pas des clopinettes ! Et illico le podium en est chamboulé : USA (77), Chine (76), Russie (40)… et France (30). Médaille de zinc, là encore ! Epatant, non ? Car, en vérité, le seul calcul raisonnable, c’est de considérer les statistiques, qui disent tout et notamment son contraire, comme les nouvelles du JT. Et de ne s’attacher qu’aux plaisantes.



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David Martin-Castelnau est grand reporter, auteur des "Francophobes" (Fayard, 2002).

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