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Primaires de tous les vices


Primaires de tous les vices
Arnaud Montebourg fait le forcing pour que le PS organise des primaires.
Arnaud Montebour
Arnaud Montebourg fait le forcing pour que le PS organise des primaires.

C’est ce qu’on appelle un emballement politico-médiatique : alors que, fin juin, le projet de primaires à gauche élaboré par Arnaud Montebourg et Olivier Ferrand semblait promis à un classement vertical dans une corbeille de la rue de Solférino, il vient de faire un retour en force à l’occasion des universités d’été et rassemblements des divers courants du PS de la fin du mois d’août. Même Laurent Fabius, qui n’a apparemment rien de bon à attendre de ce mode de désignation du champion de la gauche pour l’élection présidentielle de 2012, considère maintenant des primaires comme « inévitables ». Pour couronner le tout, une pétition de VIP marqués à gauche, publiée le 26 août dans Libération, vient donner à cette perspective l’onction politico-mondaine qui en fait un must des conversations des estaminets du 6e arrondissement de Paris.

Le forcing d’Arnaud Montebourg, qui a menacé de rendre sa carte si son projet passait à la trappe, n’est pas pour rien dans cette évolution mais il ne saurait, à lui seul, l’expliquer.

[access capability= »lire_inedits »]Les prétendants à la candidature, qui sont maintenant une bonne demi-douzaine au sein du PS, déclarés ou jouant encore les coquettes, ont compris que c’était la seule manière de contrer cette démocratie d’opinion qui, de sondage en sondage, fait le lit électoral de DSK ou de Ségolène Royal, que leur notoriété et leur image professionnellement gérée mettent nettement au-dessus du lot dans l’opinion publique mesurable. DSK laisse entendre que c’est seulement en sauveur suprême appelé par un parti en détresse – donc sans se mesurer aux autres – qu’il consentirait à descendre des hautes sphères de la finance internationale pour venir défier celui qui lui fit une bonne manière en le propulsant à la tête du FMI. Ségolène, qui fait aujourd’hui profil bas en attendant sa réélection à la tête de la région Poitou-Charentes, pipolise joyeusement sa nouvelle vie amoureuse – huit pages dans Paris-Match ! –, avant de revenir dans l’arène politique (si elle est réélue) faire valoir la légitimité que lui confèrent, à ses yeux, les 17 millions de suffrages s’étant portés sur son nom en juin 2007…

Ségolène, elle aussi, est favorable à des primaires, à condition qu’elles soient organisées le plus tôt possible après les régionales, sous une forme qui permette à son réseau Désirs d’avenir, le plus structuré à l’intérieur et sur les franges du PS, de donner sa pleine mesure. Les autres, Montebourg, Peillon, Valls, Hollande, Moscovici, Fabius, sont beaucoup moins pressés, car il leur faut du temps pour parvenir à établir un compromis sur le périmètre de ces primaires (ouvertes ou non aux sympathisants et aux autres partis de gauche) et à monter des réseaux militants susceptibles de les mettre en bonne position. Ainsi, conçu au départ pour mettre un terme à la désastreuse guerre des chefs et des chefaillons qui perdure depuis le congrès de Reims, ce mode de désignation du candidat du PS se retrouve au centre des marchandages, des coups tactiques plus ou moins tordus pour essayer de se placer à la corde et autres joyeusetés dont le parti de Jaurès et de Léon Blum nous donne actuellement le spectacle.

Les bonnes intentions, par exemple celle consistant à vouloir remobiliser le « peuple de gauche » autour d’un processus de désignation apparemment plus démocratique que celui réservant aux seuls adhérents du PS le choix de leur champion, et à organiser une compétition loyale avant un rassemblement enthousiaste et sans arrière-pensées derrière le vainqueur, parviendront-elles à transformer un parti morcelé et perclus de haines recuites en une formation conquérante et attirante pour les électeurs ? Il est permis d’en douter.

Personne n’a pour l’instant émis l’hypothèse que ces primaires risquaient d’être un bide noir. Si ça marche aux Etats-Unis et en Italie, il n’y a pas de raison pour que cela foire chez nous, font valoir les partisans de leur instauration. Un score de trois ou quatre millions de citoyens y participant pourrait être, dans l’esprit de Montebourg et de ses amis, considéré comme un succès et une garantie de légitimité politique de celui qui sortirait vainqueur.

Pour que la comparaison avec les Etats-Unis et l’Italie soit pertinente, il faudrait que le candidat issu des primaires soit le seul à représenter son camp, c’est à dire la gauche dite « de gouvernement » (PS, PC, PRG, Verts, Parti de gauche). Or, il est certain que la plupart de ces partis, qui ont compris le fonctionnement de la Ve République, ne renonceront pas à présenter un candidat à l’élection présidentielle, cette mère de toutes les élections, celle qui garantit la visibilité et détermine le poids dans le pays d’un courant politique. De plus, il ont une revanche à prendre sur 2007, où ils avaient été laminés par le « vote utile », conséquence du traumatisme de juin 2002 dans l’électorat de gauche.

Par ailleurs, est-il certain que ces électeurs de gauche soient bien enthousiastes à l’idée d’un coming-out en tant que tels, au vu et au su de leurs voisins, de leurs employeurs, des commerçants du quartier ? La tradition française est très réticente devant l’affichage public des préférences politiques, naturel dans les pays anglo-saxons : aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, il est courant de mettre le portrait ou l’affiche de son candidat préféré sur sa pelouse ou à la fenêtre de son appartement, même si l’on n’est pas un militant actif de son parti. Il est certain, en tout cas, que cette formule favoriserait les habitants des grandes métropoles, où ce coming-out politique aurait moins de conséquences que pour ceux des petites villes ou de l’espace rural. Il pourrait ainsi favoriser un candidat ou une candidate moins capable de provoquer l’adhésion du « pays profond ».

Notre système politique, avec des élections législatives et présidentielle à deux tours, rend les primaires superflues : le premier tour en fait office. Comme il n’est pas question, pour l’instant, d’en changer, il faut faire avec. Cela veut dire rassembler son camp en vue du premier tour, et aller chercher les autres pour le second. C’est, me semble-t-il, ce à quoi Nicolas Sarkozy est en train de consacrer ses efforts. Pour le PS, ces primaires mythiques consisteraient, en fait, à faire trancher une querelle de famille par les enfants que cette famille est censée nourrir et éduquer. Un comportement que tous les psy considèrent comme désastreux, mais ils n’ont pas toujours raison.[/access]

Septembre 2009 · N°15

Article extrait du Magazine Causeur



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