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Trudi n’est pas gaie


Trudi n’est pas gaie

Tout était prêt jusque dans les moindres détails. L’itinéraire avait été minutieusement établi sur des cartes d’état-major, les points de ravitaillement fixés, les hôtels réservés le long du trajet. Quant au magnifique Jadgpanther de 1944, gracieusement mis à notre disposition par Jürgen H. – un ancien petit ami d’Ernst Röhm –, nous l’avions joliment apprêté aux couleurs de l’arc-en-ciel. C’est que nous étions bien décidés, Willy, quelques amis et moi-même, à foncer sur Paris pour prendre le départ, place Denfert-Rochereau, le 28 juin prochain, de la gay pride 2008.

Nous avons bien à Stuttgart une gay pride. Seulement, à l’instar de toutes les grandes villes allemandes, elle commémore le Christopher Street Day, c’est-à-dire les émeutes qui opposèrent la police aux homosexuels à New York le 28 juin 1969. Comme nous ne sommes ni émeutiers ni commémoratifs et que nous ne tenons pas 1969 pour une année très érotique, c’est vers Paris que notre choix s’est porté pour crier à la face du monde notre gayfriendlytude.

Willy et moi ne sommes pas des esprits arriérés. Nous avons des amis homosexuels. Nous avons des amis bisexuels. Nous avons un ami transsexuel – qui est, au passage, un gros con, enfin une grosse connasse, je ne sais plus. Nous avons même des amis juifs : c’est dire notre gayfriendlytude.

Mais c’était sans compter les tracasseries de l’administration française, toujours prompte à vous mettre des bâtons dans les roues. En l’occurrence dans les chenilles.

– Mais, Madame, me dit le préposé à l’organisation de la gay pride parisienne, un char allemand dans les rues de Paris, vous ne vous rendez pas compte !
– Vous savez pertinemment, germanophobe primaire que vous êtes, qu’il y aura des dizaines de chars le 28 juin sur le parcours.
– Oui, Madame, mais aucun char d’assaut.

De guerre lasse (qu’il serait imprudent de traduire en allemand par Blitzkrieg), Willy et moi-même avons donc pris la lourde décision de snober la gay pride parisienne puisque, visiblement, on ne voulait pas de nous. Et ce n’est pas le cœur léger que nous avons opté – tels des Robert Ménard sans peur ni reproche – pour le boycott, car cette année le thème de la gay pride parisienne nous motivait à bloc : « Pour une école sans aucune discrimination ».

C’est un fait : les enfants des écoles sont encore trop victimes de discrimination à cause de leurs préférences sexuelles.

Tu as huit ou neuf ans, tu es un jeune transsexuel élève d’une classe de CM2 et ton « professeur des écoles » continue à t’appeler Kevin, alors que toi tu sais que tu t’appelles Elisabeth et que tu veux devenir rédactrice en chef de causeur.fr quand tu seras grande.

Tu as cinq ans et demi, tu es en CP et tu assumes parfaitement ton identité de master sado-maso : chaque année, les vacances estivales venues, tu goûtes ton plaisir à arracher leurs pattes aux sauterelles ou à capturer des lézards dont tu sectionnes d’un coup vif la queue. Mais, en classe, il y a, derrière son bureau, cette lopette qui se fait appeler « maître » par tout le monde et qui serait pourtant bien incapable d’infliger le moindre châtiment corporel à quiconque.

Et les choses vont en empirant lorsqu’adviennent les années collège. On t’enseigne que Vercingétorix a réuni sous sa coupe les tribus gauloises, mais on garde le silence sur les préférences sexuelles de cet homme tout en muscles, arborant de mâles moustaches et dirigeant la Gaule en petite tenue saillante. So queer. Quand on t’apprend ensuite que l’assassin du général Kléber fut en 1800 condamné au supplice du pal, on refuse de prendre les précautions suffisantes pour dire que le pal n’est pas qu’un supplice et informer ainsi ta chère tête blonde des innombrables possibilités qui s’offrent à elle.

Tu sors de la classe d’histoire-géo pour aller assister à un cours de musique. D’accord, l’apprentissage de la flûte à bec, ça part d’un bon sentiment. Mais ce que ton prof te fait jouer ! Du Ferrat, du Beethoven : rien que de l’hétérosexuel ! Et les Village People, ils puent de la gueule au point qu’on fasse comme si ça n’existait pas ?

Plus grave encore, puisqu’il s’agit de vie et de mort : avez-vous bien conscience, amis Français, qu’aucune école maternelle de votre pays n’est équipée de distributeurs de préservatifs – ce qui ne laissera pas de surprendre le citoyen honnête, en 2008, dans le soi-disant pays des droits de l’Homme.

Je vous fais donc confiance. Et je compte sur vous pour participer à ma place, le 28 juin prochain, à la gay pride de Paris. Pardon, à la Marche inter-LGBT (lesbienne, gay, bisexuel et transgenre). Pourquoi, diable, avoir mis les lesbiennes en premier, juste devant les gays ? Un vieux réflexe bourgeois et machiste ? Les bi et les trans, ils/elles comptent pour des prun(e)s ?



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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