Vivre et mourir comme des assistés


Vivre et mourir comme des assistés

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On disait jadis, en bon français, « administrer une fessée ». C’est en passe d’être interdit par la loi bienveillante à défaut d’être condamné par l’opinion inconsciente et des parents qui ignoraient avoir été des tortionnaires.

On dira désormais, en français socialiste, « administrer » tout court. Car l’idéologie contrôleuse au pouvoir n’a pas d’autre objectif : administrer tout un chacun de sa naissance à sa mort. Et même au-delà : si l’autorisation préalable d’enfantement n’a pas encore été inventée (sur le modèle de l’autorisation préalable de licenciement), l’autorisation préalable de vivre est dans les tuyaux des ministères. Il ne manque plus que le formulaire en ligne : « Acceptez-vous que vos enfants soient autorisés à juger de la limite au-delà de laquelle ils ne pourront plus vous supporter en vie ? » Il sera obligatoire de le remplir avant toute querelle familiale et ne sera plus révisable ensuite, sauf recours introduit au moins six mois à l’avance avec accord de ladite famille, laquelle devra, au préalable, avoir rempli le formulaire ad hoc…

À l’inverse, si vous ne prenez pas la précaution de dire par anticipation que vous êtes hostile au don d’organe, on pourra bientôt dépecer votre dépouille sans votre autorisation et sans même vous le dire. Si je résume, l’administration contrôlera votre fin et décidera du sort de vos entrailles. Et si en raison de la pression du marché, et en vertu naturellement des meilleurs sentiments philanthropiques qui l’animent, elle décidait de la vente à la découpe de votre bien le plus cher (vous-même) en devançant quelque peu le terme assigné à votre destinée par la nature, par la fortune ou pour par dieu ? Et si le grand logiciel de gestion des corps, des vies et des fins dernières connaissait quelque bug, confondant autorisation tacite et interdiction explicite, l’avis autorisé de vos descendants avec le témoignage de votre concierge jurant ses grands dieux que vous avez de tout temps été favorable à l’euthanasie et au don d’organe ? La preuve, vous aviez signé, par pure humanité, sans vous rendre compte de la contradiction (affichant bien haut votre humanité envers les animaux mais dissimulant sous une cruelle pitié votre lâcheté envers vos congénères ou vous-même), la pétition demandant au Tribunal Administratif de Lyon que l’on laisse une chance de vivre aux deux éléphantes vieillissantes du parc de la Tête d’Or…

Trêve de mauvais esprit. L’administration se nourrit d’elle-même, on le sait (elle invente le formulaire qui justifiera l’emploi de celui qui l’archivera sans le lire). Et puis « libéral » est un tel gros mot qu’on veut à tout prix l’effacer jusque dans la pratique de la médecine, elle-aussi désormais aux mains de Grands Administrateurs. Les médecins choisiront du coup, demain, de s’installer là où une population aisée bénéficiera de la meilleure protection sociale, assurant ainsi leurs propres revenus « administrés » (mais attention : pas plus de tant de patients par jour, contrôle et intérêt national obligent) : beau succès prévisible, par parenthèse, contre la médecine à deux vitesses et les déserts médicaux…

Le Grand Livre dans lequel tout est inscrit a été décrit dans un roman de Jules Verne, Paris au XXe siècle, retrouvé, dans un coffre, longtemps après la mort de l’auteur et publié seulement en 1994. Ce registre universel qui permet d’administrer jusqu’aux moindres détails de la vie des individus et annihile jusqu’à leur individualité même ressemble furieusement à une anticipation du Net. Après tout Jules Verne avait bien prévu la télévision et le fax. Quant aux dirigeants invisibles de la nouvelle dictature instaurée, dans le roman, par la Société Générale de Crédit instructionnel (sic), ils font songer à d’autres anonymes (ou presque) Commissaires continentaux.

Le pire est que Jules Verne avait prédit (avec un siècle d’avance) ce qui se passe aujourd’hui dans l’indifférence générale, à savoir la disparition souhaitée et programmée de ce que les Anciens appelaient les études… « libérales » ou liberales artes. Celles qui, précisément, rendaient libres en rendant aptes, par le jugement, à lutter contre les tyrannies. Dans Paris au XXe siècle un professeur de latin et de grec se voit mis au chômage en raison de la disparition du dernier de ses clients : « Nous avouerons que l’étude des belles lettres, des langues anciennes (le français compris) se trouvait alors à peu près sacrifiée… »

On peut certes se passer de savoir le latin. Mais réfléchissons un instant. L’administration ne fait pas bon ménage avec les libertés, qu’elles soient intellectuelles, individuelles ou… sempiternelles car l’on n’empêchera jamais personne de penser et de débattre avec soi-même (c’est la dernière place où, dans le silence assourdissant du débat public, l’on cause encore, le for ou forum intérieur). Mais où apprendre à penser ? Le contre-pouvoir qu’avait pu, un temps, constituer la culture libérale n’est plus de mise et les derniers agrégés de lettres à avoir été Président s’appelaient Georges Pompidou et ministre de l’Education François Bayrou, il y a des… siècles de cela. Aujourd’hui, à ce dernier poste, la maîtrise n’est même plus requise, comme l’a montré le passage de Benoît Hamon rue de Grenelle.

Le héros de Jules Verne demande les œuvres de Victor Hugo en bibliothèque. Elles sont introuvables. Las, les « formalités nécessaires pour obtenir un ouvrage ne laissaient pas d’être compliquées ». On exige tant de précisions « qu’à moins d’être déjà un savant, on n’arrivait pas à savoir ». En lettres comme en médecine : dans ce monde administré, seul celui qui sait saura et celui qui paiera sera soigné. « De plus, le requérant indiquait son âge, son domicile, sa profession et le but de ses recherches ». Dans le domaine de la vie intellectuelle ou intérieure (la recherche, l’étude), comme dans le domaine de la vie tout simplement (en médecine « administrée »), il faudra être capable de justifier son but de recherche, son but dans la vie, en un mot son existence même. Si les motivations soigneusement exposées dans le formulaire disponible en ligne (sauf si la case recherchée n’est pas prévue, les rédacteurs savent être prévoyants) ne satisfont pas l’administration, c’est le refus (non motivé, sauf sur demande préalable) assuré : « Nous vous informons que l’autorisation de penser (ou de vivre) ne vous a pas été accordée ».

*Photo : wikicommons.



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est professeur des universités. Dernier ouvrage paru : Polémiques entre païens et chrétiens (Belles Lettres, 2012).

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