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Champagne: la revanche des «petits»


Champagne: la revanche des «petits»
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Le monde du champagne est entré dans une nouvelle ère. À l’ombre des grandes maisons, une centaine de vignerons indépendants élaborent des vins peu gazeux et profonds qui ont leur identité propre, tels de grands Bourgogne. Les amateurs en raffolent, et ils sont de plus en plus nombreux.


« Avant, le champagne, c’était des bulles. Aujourd’hui, c’est du vin ! En tout cas, c’est ce que nous essayons de faire, nous autres petits vignerons… » Ces quelques mots prononcés par Didier Vergnon, au village du Mesnil-sur-Oger, montrent bien que le monde du champagne est entré dans une nouvelle ère ces dernières années. Oui, l’essentiel est dans le vin, et donc dans les raisins, dans la terre, cette terre bénie que les moines champenois goûtaient autrefois pour savoir quel goût aurait leur vin en fonction des parcelles, pas dans ces satanées bulles (certains vignerons, comme Cédric Bouchard, les détestent et s’en passeraient bien !), ces bulles qui servirent longtemps aux grandes maisons de « cache-misère » alors qu’elles ne sont en réalité que les messagères des secrets du vin.

Pionniers

L’idée selon laquelle on pourrait faire en Champagne des vins authentiques et profonds, ayant une identité, à la manière des grands vins de Bourgogne, est (ré)apparue au début des années 2000 essentiellement chez trois vignerons de génie : Anselme Selosse, Pascal Agrapart (tous deux implantés au village d’Avize) et Francis Egly-Ouriet (à Ambonnay). Peut-être y en a-t-il eu d’autres (la maison Philipponnat passe pour avoir été la première à produire un champagne de parcelle, le Clos des Goisses). En tout cas, si la notion de « vin de Champagne » a un sens, c’est bien chez ces trois pionniers dont les champagnes peu dosés, issus de petits rendements et élevés en fûts de chêne, se vendent aujourd’hui à prix d’or et au compte-gouttes (inutile donc d’aller les voir).

Historiquement, la révolution a germé dans les années 1970 quand une poignée de vignerons s’est révoltée contre le productivisme chimique qui était en train de détruire la nature (les poubelles de Paris étaient alors acheminées pour servir d’engrais, et à certains endroits, les plastiques jonchent les sols cinquante ans après !). Rendons hommage à ces pionniers : Jacques Beaufort (Ambonnay), Jean Bliard (Hautvillers), Serge Faust (Vandières), Roger Fransoret (Mancy), Georges Laval (Cumières), Yves Ruffin (Avenay-Val-d’Or), Pierre Thomas (Oger).

Si vous voulez donc découvrir le goût que peut avoir un vrai champagne de vigneron, voici une liste de gens que j’aime et chez qui on peut encore acheter des bouteilles sur place, sachant que sur les 16 000 vignerons champenois, la plupart vendent toujours leurs raisins aux grandes maisons, 400 seulement sont répertoriés comme « indépendants » et une centaine, à mon avis, élaborent des vins remarquables : Benoît Déhu à Fossoy, Benoît Lahaye à Bouzy, Benoît Bernard à Dizy, Pierre Larmandier-Bernier à Vertu, Julien Launois au Mesnil-sur-Oger, Anthony et Clémence Toullec à Rilly-la-Montagne, Davy Dosnon à Avirey-Lingey, Marianne et Jean-François Gamet à Mardeuil, Olivier Horiot aux Riceys. Allez-y les yeux fermés !

Escapade

J’ai toujours aimé l’idée d’escapade : on part tôt le matin et l’on s’en va explorer le vignoble champenois, façonné au lendemain du baptême de Clovis (le jour de Noël 496) par des générations d’évêques et de moines ! (Un peu trop catho tout cela, non ?)

Prenez donc la direction du village du Mesnil-sur-Oger, à 14 kilomètres d’Épernay. On est ici au sud de la côte des Blancs. Les vins y sont exclusivement à base de chardonnay. Ciselés et tendus, fins comme de la dentelle, ils possèdent un éclat unique. Construit à flanc de coteau, ce village marqué par la guerre de 14-18 est mondialement connu pour ses deux champagnes de légende : Clos du Mesnil de Krug et Salon.

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Né ici, Didier Vergnon est un vrai Champenois, têtu, fier et cabochard ; il se souvient du bruit des sabots des chevaux sur les pavés, de tous les commerces qui faisaient vivre son village: « Il y avait trois boucheries, deux boulangeries, une épicerie, un coiffeur, un bar-restaurant, un cordonnier… » Aujourd’hui il n’y a plus rien: « Il ne nous reste plus qu’à boire. »

Le père de Didier, Jean-Louis, a créé son domaine en 1950, un geste rare à l’époque, où tous les vignerons préféraient vendre leurs raisins à la coopérative du Mesnil, alors que cultiver la betterave rapportait plus. Quatre hectares situés exactement sur le même terroir que Krug et Salon, mais chez les Vergnon, la bouteille se vend à partir de 36 euros, un peu comme si on trouvait du Pomerol à ce prix-là sur le terroir de Pétrus ! « Mon père a été le pionnier du champagne peu dosé. Ce style tendu et minéral était une nouveauté à l’époque, aujourd’hui, c’est la marque des champagnes de gastronomie. Il est mort devant son pressoir en 1989. »

Didier a passé le relais à son fils Clément qui, à 36 ans, perpétue le savoir-faire familial: « Les raisins sont toujours récoltés manuellement et pressés lentement sur place. On bloque la fermentation malolactique par le froid afin de privilégier la vivacité et la fraîcheur », nous dit-il.

En buvant leurs champagnes, élevés dans de vieux fûts de chêne qui leur apportent élégance et complexité, on sent bien le vin, la craie, le citron, la pomme verte et les fleurs blanches ; en vieillissant, ils développent des senteurs de frangipane et de brioche. Ils se marient bien avec la cuisine asiatique. À Paris, Pierre Gagnaire et Yannick Alléno les ont inscrits sur leur carte, une belle reconnaissance pour de « petits » vignerons.


Domaine Jean-Louis Vergnon, 1, grande rue, 51190 Le Mesnil-sur-Oger, Tél. : 03 26 57 53 86, champagne-jl-vergnon.com.

À table !

Pour déjeuner, précipitez-vous à La Grillade Gourmande à Épernay.

Né à Lyon en 1967, Christophe Bernard a été formé chez Paul Bocuse qui lui a transmis le flambeau de la cuisine française généreuse avec des os, de la crème, de la sauce et des produits qui ont le goût de ce qu’ils sont. Sa force est la cuisson des viandes et des poissons au feu de bois qui les dégraisse et apporte des arômes subtils. Il faut découvrir ses rouelles de homard à l’escalope de foie gras chaud grillé sur la braise, son pigeonneau désossé au chou, cuit en feuilleté, avec une sauce parfumée à la truffe noire… Un régal avec un rosé de saignée bien vineux !

La Grillade Gourmande, 16, rue de Reims, 51200 Épernay, menus à 29, 47 et 69 euros, lagrilladegourmande.com.




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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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