Une adaptation mémorable de La Promesse de l’aube de Romain Gary, qui déjoue les poncifs-attendus et redonne son lustre à un roman empoussiéré par le culte, irritant parfois, qui lui est souvent rendu. Ici: le contraire. Pur régal.
« Cette suprême lucidité qu’il faut pour continuer à lutter et qui s’appelle l’aveuglement. »
Romain Gary, Clair de femme

Il l’ignore mais dans cinq ans, il tournera encore avec son adaptation de La Promesse de l’aube. « Il », c’est l’épatant Tigran Mekhitarian et sa troupe (ici Delphine Husté, qui crève l’écran en mère de Romain Gary, et Léonard Stefanica, homme-orchestre qui scande la pièce de sa musique, slave – entre autres).
Je suis content de prendre les paris de la prolongation indéfinie de ce spectacle – et d’être certain de le gagner. Je récapitule.
Gary d’abord : j’aime, de lui, essentiellement UN titre – mais « beaucoup-beaucoup ». Lequel ? Clair de femme (Folio) – un des secrets les mieux gardés de son œuvre polymorphe, que sa légende caricaturale offusque. Légende qui fait que, par ailleurs, longtemps j’ai ignoré Romain Gary.
Donc Clair de femme. Vous savez : « Michel, le bouche à bouche peut ramener à la vie, mais ce n’est pas une façon de vivre. » Ou : « Je sais qu’il existe des amours réciproques mais je ne prétends pas au luxe. » Ou : « La ‘’sagesse’’, cette camomille empoisonnée que l’habitude de vivre verse peu à peu dans notre gosier avec son goût doucereux d’humilité, de renoncement et d’acceptation. » Ou, une ultime – tellement dingue : « Elle était ‘’morte’’, comme on dit couramment chez ceux qui ne doutent de rien. » Bref : Clair de femme.
Puis j’ai appris à découvrir Gary, derrière les oripeaux. Et La Promesse de l’aube m’a, in fine, tardivement, conquis. Tout le monde le sait ou presque : c’est l’histoire des débuts dans la vie d’un futur écrivain-aviateur-Compagnon de la Libération-diplomate, etc., et un portrait « hénaurme », bouleversant parfois, de sa mère, et de leurs rapports complètement « hors normes » (euphémisme). Du rôle de cette mère, aussi, dans le destin de Gary. De la Pologne à Nice, de Paris à… Londres, et retour.
Ce qu’en a fait Tigran Mekhitarian est stupéfiant : tout est juste, drôle – tellement drôle -, émouvant, « exemplaire » (il est vrai que la matière – le roman – y contribue grandement). Ce jeune homme presque inconnu – Tigran M. – ne le restera pas longtemps (il monte, par ailleurs, en mars, Le Misanthrope au Théâtre Antoine – ce qui signifie qu’il commence à être sérieusement repéré quand même).
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Pareil pour Delphine Husté qui joue la mère : elle ressemble un peu, physiquement, à Irène Némirovsky, mais comme actrice, elle ne ressemble à personne : tellement juste, avec son accent venu du fond de la Russie ou de la Pologne. C’est peu dire qu’elle a « de l’abattage ». Inénarrable. Quant au troisième larron, Léonard Stefanica, qui joue tous les autres personnages (outre la musique, donc) : il est à la mesure de ses deux complices – c’est assez dire.
Ces gens – Gary, sa mère ; Kessel, sa mère aussi (l’« autobiographie » de celle-ci vient de paraître chez Arthaud, c’est pour cela que l’on ose le rapprochement, pertinent après sa lecture) – ces gens, donc, étaient vraiment bigger than life. Ils ont tellement – TELLEMENT – aimé la France, cru en la France. Ils lui ont tout donné. Elle leur a beaucoup rendu, aussi. Gary, Kessel, aujourd’hui, sont des classiques.
Courez – vraiment – voir ce spectacle : cela dure 1H30 – et c’est un des plus jolis moments de théâtre que j’ai vécus cette année.
NB – Pour plus de précisions à propos de Gary, j’aimerais signaler un tout petit livre, trop méconnu. Cela s’appelle Le sens de ma vie (Folio, 108 pages !) et c’est un long entretien accordé peu de temps avant que Gary ne mette fin à ses jours (décembre 1980).
Il y a dans les mots de ce géant (voir Kessel donc, ou Druon), une telle charge d’humanité, une telle affirmation de vulnérabilité – manifestation sophistiquée, comme à rebours, de sa puissance, de son énergie – qu’on n’a qu’une envie l’entretien achevé : relire Gary.
Réentendre sa voix, retrouver cette éthique impeccable, ce souci du monde comme il ne va pas, ce courage physique et moral, cette ardeur – cet amour de la France… et de la féminité, aussi. Si peu de triche – de jeu – chez cet homme d’action et de réflexion.
A part Malraux, Saint-Exupéry, et Drieu sans doute (en dépit des apparences), qui ? Combien sont-ils à enseigner lorsqu’ils se montrent ? Rares. Lisez. Édifiant. Sens strict.
Et surtout – n’oubliez pas : Tigran Mekhitarian, Delphine Husté et Léonard Stefanica au Théâtre de la Contrescarpe. Celles (ou ceux) qui n’aimeraient pas ce spectacle me seraient – totalement – étrangers.
La Promesse de l’Aube, de Romain Gary, adapté et mis en scène par Tigran Mekhitarian. Théâtre de la Contrescarpe (0142018188). Du jeudi au samedi, 21H. Samedi à 16H30 (et 21H parfois), Dimanche à 15H.
NB Comme « prévu » : pas de date de fin signalée dans le programme de la Contrescarpe : ils savent. (Sourire).
Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France et d’ailleurs.
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