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L’union, combien de divisions?

Notre enquête sur une droite éparpillée façon puzzle


L’union, combien de divisions?
Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau, après leur entrevue avec Emmanuel Macron, à l’Élysée, 10 octobre 2025 © J.E.E/SIPA

Faire alliance avec le RN n’est plus un tabou. Certains ont franchi le pas avec Éric Ciotti, d’autres l’espèrent tel Éric Zemmour, mais chez les Républicains, déjà divisés par une guerre des chefs, une coalition avec Marine Le Pen est loin de faire l’unanimité. Une majorité de Français se dit pourtant favorable à un bloc de droite.


C’est l’Arlésienne de la politique française. L’union des droites, tout le monde en parle, mais on ne la voit jamais. Il faut dire qu’à l’exception notable d’Éric Zemmour, la plupart des dirigeants concernés n’en veulent toujours pas, malgré la séquence politique qui a sidéré les Français, fait ricaner à l’étranger et consterné économistes et chefs d’entreprise. L’implosion du gouvernement Lecornu I, résultat d’une bataille d’égos plus que de divergences idéologiques, a révélé la fragilité existentielle des LR. Pourtant, nombre de Républicains continuent d’exclure tout rapprochement avec le RN qu’ils feignent de confondre avec le FN. Il est vrai aussi que Marine Le Pen qualifie cette union de « fantasme réducteur ». En attendant, pour 55 % des électeurs LR, l’union est la seule voie susceptible de mener la droite au pouvoir : de LR au RN en passant par l’UDR et Reconquête, aucun n’a les reins suffisamment solides pour y parvenir en solitaire. La gauche socialiste et les Insoumis se délectent de voir le camp adverse incapable de s’unir. Eux qui n’hésitent pas à mêler leurs voix pour gagner des sièges guettent avec gourmandise les échéances de 2027 en se disant qu’avec pareille droite, le pouvoir est à portée de main. À moins que, comme l’observe Marianne, on assiste plutôt à « la fin d’un tabou » et à l’avènement d’un « front identitaire » en lieu et place du moribond front républicain. 

« Irresponsable »

Les LR sont plus divisés que jamais. Et pas franchement sur des questions doctrinales. Le chef du parti, Bruno Retailleau, a du mal à « cheffer », comme aurait dit Chirac – son véto à toute participation au gouvernement Lecornu II n’a pas empêché plusieurs de ses lieutenants d’accepter un ministère. Quant à Laurent Wauquiez, le chef du groupe à l’Assemblée, il prend le contrepied de son rival. Ainsi a-t-il opéré un tête-à-queue sur la réforme des retraites avec une facilité déconcertante. « Envisager de revenir sur la réforme des retraites sans proposer la moindre piste de financement, c’est irresponsable », disait-il en janvier dernier. En mai, il appelait les Républicains à « ne pas se diluer dans le macronisme ». Depuis que Bruno Retailleau a quitté le gouvernement, il est farouchement opposé à la censure. À la mi-octobre, il a refusé de voter la motion de censure du RN. « Nous nous engageons à des compromis nécessaires pour que les lois indispensables soient adoptées, pour que la France ne soit pas bloquée », s’est-il justifié. D’autres dirigeants y sont favorables comme David Lisnard. D’ailleurs, Alexandra Martin, la seule députée LR (Alpes-Maritimes) à avoir voté les motions de censure RN/UDR et LFI, est l’une de ses proches. « Si j’étais député, j’aurais voté la censure », affirme François-Xavier Bellamy, député européen LR. Florence Portelli, maire LR de Taverny, déclare la même chose, tout en déplorant ces « divisions ». « Il y a un clivage entre le parti (les militants et les fédérations) et les parlementaires qui considèrent qu’il fallait donner sa chance au produit Lecornu », dit-elle bizarrement, à la manière des gars du Sentier de La vérité si je mens.

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Autant dire que l’opinion ne comprend pas grand-chose aux tempêtes qui secouent les Républicains. « LR, j’ai du mal à suivre », ironise Marine Le Pen. « Wauquiez et toute la smala ont protégé Macron, on ne peut pas travailler avec ces gens-là », tranche le député de la Somme Jean-Philippe Tanguy.

Finalement, le seul point sur lequel la majorité des élus et responsables LR s’accordent encore, c’est pour refuser l’alliance avec le RN, jugé trop à gauche économiquement. Et les Français dans l’histoire ? Qui les écoutera, eux qui sont 52 % à se dire favorables à un gouvernement de coalition des droites (sondage IFOP pour Valeurs actuelles[1]) ? Médusés par ce spectacle incompréhensible ne savent plus à quel saint se vouer[2]. Oubliant qu’eux aussi ne sont pas d’une cohérence de fer : après avoir pesté et manifesté contre la réforme des retraites, beaucoup s’étranglent de voir Macron y renoncer (ou faire semblant).

Qui est pour qui est contre ?

Dans ce paysage, deux personnalités se déclarent nettement en faveur de l’union, outre Éric Zemmour et Sarah Knafo : Éric Ciotti, fondateur en 2025 de l’Union des droites pour la République (UDR), et Marion Maréchal (Identités et libertés) qui ne cesse de plaider pour le modèle italien.

« L’heure est venue de briser le cordon sanitaire et d’unir toutes les forces de droite, écrit Ciotti sur le site de son parti. Nous portons une alternative solide, fondée sur l’autorité, la liberté et l’identité. » De son côté, Marion Maréchal estime que « Georgia Meloni obtient un succès de gouvernement parce qu’elle a rassemblé toutes les droites ». Et la députée européenne de détailler : « C’est comme si en France, une partie d’Horizons [le parti d’Édouard Philippe] travaillait avec le RN, LR, DLF [Debout la France, de Nicolas Dupont Aignan] et Reconquête. » Le parti d’Éric Zemmour prône une union circonstanciée, sur un dénominateur commun : l’immigration et le budget. Et Reconquête vient d’investir 577 candidats en vue d’une dissolution, en se disant prêt à des désistements en cas d’accord avec le RN, LR ou Nouvelle Énergie de David Lisnard.

Cependant, au-delà de ces avocats de longue date du rassemblement à droite, les lignes bougent. En octobre, une alliance tactique s’est formée entre le RN, des macronistes et des LR, permettant au parti de Marine Le Pen de récupérer deux vice-présidences au bureau de l’Assemblée nationale. Cette entorse au sacro-saint front républicain a bien sûr suscité l’ire de la gauche. À vrai dire, l’appel au barrage commence à avoir du plomb dans l’aile. À LR, quelques personnalités font entendre leur petite musique : « Commençons par écrire le pacte de gouvernement et nous verrons si l’union est possible. J’ouvre la porte à une discussion programmatique rassemblant toutes les droites », déclare David Lisnard à Valeurs actuelles. « Bien sûr qu’il faut s’allier avec Sarah Knafo », affirme pour sa part Alexandra Martin. Reste à convaincre les apparatchiks. Et ça, c’est loin d’être gagné.

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Sophie Primas, ex-sénatrice LR des Yvelines et ex-porte-parole du gouvernement Bayrou l’a appris à ses dépens. Après avoir déclaré sur RTL « Nous n’avons pas que des désaccords avec le RN », elle doit dès le lendemain faire repentance sur son compte X : « De tout temps, opposée à l’Union des droites, je n’ai jamais changé de position. L’esprit de mon propos était d’indiquer qu’à ce moment épineux de notre vie politique, nous avons un impératif besoin de trouver une voie pour donner un budget à la France. » À l’évidence, elle s’est fait taper sur les doigts. Son ancien collègue Roger Karoutchi n’a pas les mêmes pudeurs. « Plutôt RN que LFI », lance le sénateur LR des Hauts-de-Seine. Mais ces rares et timides avancées vers une union se heurtent à des résistances solidement ancrées chez les Républicains, restés en ce sens très chiraquiens. « L’union des droites est un mirage », tranche l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.

Éric Ciotti à Levens pour promouvoir l’union des droites, 31 août 2025. SYSPEO/SIPA

La valse-hésitation des élus LR montre que le fameux « cordon sanitaire » théorisé par François Mitterrand et mis en place par Jacques Chirac en 2002 a la vie dure. Dans son dernier livre, Je ne regrette rien (Fayard), Éric Ciotti dénonce « le piège mitterrandien » qui pousse la droite à nouer des accords électoraux avec la gauche plutôt qu’avec le RN, comme on l’a encore vu en 2024 au Havre quand Édouard Philippe a favorisé l’élection du communiste Jean-Paul Lecoq contre la candidate RN. Cependant, la valse-hésitation des Républicains s’explique moins par des considérations morales que par une appréciation tactique : si l’union des droites les effraie, c’est parce que leur parti n’est pas en position de force pour négocier. Henri Guaino le reconnaît : « Si on parlait d’un programme commun, il serait à 90% RN. Ce ne serait pas une union mais une absorption ! » L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy rêve de voir renaître « un parti gaullo-bonapartiste », mais le problème dit-il, c’est qu’« il n’y a personne pour l’incarner ».

« Un cadeau empoisonné »

Le projet de réunion des droites françaises n’est pas nouveau. Il remonte aux années 1960 avec l’Union pour la nouvelle République (UNR), ancêtre des Républicains, qui visait à rassembler les forces gaullistes et conservatrices. Six décennies plus tard, l’idée continue de hanter le microcosme, mais peine à se concrétiser. Pourtant, ça marche ailleurs : en Italie, en Croatie et en Finlande, les partis ont fini par s’allier pour gouverner. Qu’est-ce qui empêche la droite française d’en faire autant ? Nos institutions, répond en substance le politologue Dominique Reynié : « L’élection présidentielle est un cadeau empoisonné. Elle empêche tout compromis. Elle amène tous les acteurs à jouer leur partition seuls. Il n’y a plus d’esprit national[3]. »

Quant au RN, malgré le mépris affiché par Marine Le Pen pour cette alliance des droites, il est ouvert à des alliances locales, comme l’a montré en octobre le retrait de Stéphane Ravier (proche de Reconquête) en faveur d’un candidat LR à Marseille. Toutefois, Marine Le Pen continue de rejeter tout rapprochement avec LR qu’elle accuse de proximité avec Emmanuel Macron. Les récentes prises de position de Laurent Wauquiez ne la feront pas changer d’avis. Si elle était finalement empêchée de se présenter, le plan B du RN, B comme Bardella serait sans doute plus enclin à nouer des alliances.

Paradoxalement, c’est peut-être la cacophonie au sein des Républicains qui pourrait pousser certains d’entre eux, de guerre lasse, à se tourner vers leur droite (selon la géographie de l’Hémicycle). Le risque étant, sinon, que LR se retrouve dans la configuration inverse de celle de 2007, quand Nicolas Sarkozy avait réussi à siphonner les voix du FN. Si la droite refuse de prendre en charge les demandes de ses électeurs, il se pourrait que ce soit le RN qui siphonne les voix de LR. Un retournement de situation qu’affectionne l’histoire politique.


[1] Toujours selon l’IFOP pour VA, ce soutien atteint 82 % chez les sympathisants de LR, 91 % chez ceux du RN et 100 % chez les partisans de Reconquête. Plus étonnant, 41 % des électeurs Renaissance se déclarent aussi favorables à une telle coalition.

[2] Les sondages se suivent et se contredisent : selon Elabe pour BFMTV, 56 % des Français ne souhaitaient pas la censure du gouvernement au lendemain du discours de politique générale de Sébastien Lecornu. Mais selon CSA pour CNews, Europe1 et Le JDD, ils étaient 68 % à réclamer une présidentielle anticipée.

[3] Sur Radio Classique, le 17 octobre.

Novembre 2025 – #139

Article extrait du Magazine Causeur




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