À Saint-Denis puis à Paris, un hommage a été rendu hier aux 132 victimes des attentats islamistes du 13 novembre 2015. En début de soirée, le président Emmanuel Macron a inauguré un jardin mémoriel (notre photo) sur la place Saint-Gervais, à proximité de l’Hôtel de Ville de la capitale. Il est temps de relever la tête, affirme Charles Rojzman. Il est temps de reconnaître que toutes les cultures ne se valent pas. Il est temps de combattre l’islamisme qui s’enracine sur notre sol.
Le rituel se répète : gerbes déposées, visages fermés des autorités, discours calibrés, violons qui pleurent comme s’ils pleuraient pour nous, pour masquer l’essentiel. Les commémorations officielles des attentats du 13 novembre ressemblent de plus en plus à une liturgie républicaine sans foi, sans courage, sans vérité. Quelques minutes de silence, un dépôt de fleurs, et l’on se félicite d’avoir « tenu bon ».
Mais dans cette parole officielle, un mot se dérobe, un mot que l’on enfouit sous des euphémismes : l’islamisme.
Lente fatigue morale
Ce ne sont pas des « exclus », des « paumés », des « déséquilibrés » qui ont criblé Paris de balles et transformé des terrasses en morgue : ce sont des soldats d’une idéologie millénaire, patiemment nourrie, patiemment justifiée, patiemment importée.
On commémore, mais on ne nomme pas. On pleure, mais on ne comprend pas.
On s’incline, mais on ne se relève pas.
Comme si nommer l’islamisme constituait un blasphème dans une société qui préfère commémorer ses morts que protéger ses vivants. Comme si la République avait peur d’elle-même. Peur de rompre avec ses fictions, ses illusions d’un « vivre-ensemble » dont les plus lucides savent déjà qu’il n’existe que dans les brochures ministérielles.
C’est ici que commence le retour de la barbarie.
Non seulement dans les actes terroristes eux-mêmes — ils sont la pointe du glaive — mais dans ce renoncement préalable, dans cette lente fatigue morale qui consiste à éviter le mot juste, à diluer la réalité dans la compassion institutionnalisée.
Car les violences collectives issues du monde arabo-musulman ne surgissent jamais de manière soudaine. Elles ne sont ni des accidents de l’histoire ni des éclats imprévisibles. Elles sont patiemment préparées, longtemps à l’avance, dans le silence des frustrations accumulées, dans les replis amers des ressentiments communautaires. Elles germent dans les failles de sociétés fracturées, rongées de l’intérieur par la défiance, le mépris mutuel, la haine contenue.
Lorsque l’économie vacille, que les structures sociales se disloquent, que les élites perdent toute légitimité, les sociétés cherchent un point d’ancrage. Ce besoin d’identité devient obsessionnel. Et lorsqu’il n’est pas satisfait de manière saine — par l’éducation, la culture, le débat — il se pervertit : identités rigides, mythes simplificateurs, fabrication d’ennemis.
Régressions
On désigne l’hérétique, l’apostat, le riche, le Juif, l’Occidental, la femme trop libre, la laïcité. Peu importe la cible, ce qui compte, c’est la haine comme anesthésiant, comme certitude.
Ces révoltes ne sont pas les signes d’une avancée démocratique. Trop souvent, elles accouchent de régressions. Derrière la colère contre l’injustice se cache parfois une soif de soumission.
Les printemps arabes ont vu naître, après l’espoir, des automnes islamistes. L’histoire européenne a montré que la colère des peuples peut engendrer le fascisme.
Ces « révolutions » n’éveillent pas les consciences : elles les endorment. Elles rejettent l’autorité au nom de la liberté, mais pour mieux adorer ensuite un gourou, un Prophète de substitution, une Vérité révélée. Elles crient à l’émancipation tout en réclamant l’idéologie qui pense à leur place. Ce n’est pas un progrès : c’est une démission, une abdication, une régression spirituelle.
La haine est fille de l’humiliation. Mais elle devient poison lorsqu’elle se fait doctrine. Dans un monde désorienté, la pensée complotiste est une drogue douce: elle rassure, elle simplifie, elle déresponsabilise. Mais surtout, elle rend la violence légitime.
A lire aussi, Isabelle Marchandier: Ils n’auront pas notre haine?
Le fanatisme religieux n’a pas le monopole du mal. Le mal s’habille de toutes les couleurs : croix gammée, faucille, croissant. Les djihadistes invoquent le Coran comme les nazis invoquaient la Germanie éternelle. Boko Haram — « l’éducation occidentale est un péché » — ne dit rien d’autre que les Croisés exaltés ou les révolutionnaires de la Terreur : penser est un crime, la nuance une hérésie.
Ce n’est pas une lutte pour la justice : c’est une revanche contre la complexité, contre la liberté d’être autre. Une guerre contre les Lumières et la dignité humaine.
Frapper un policier, incendier une voiture, décapiter un enseignant, mitrailler une foule dans une fosse de théâtre ou sur des terrasses de café : voilà le visage moderne de la barbarie. Ce ne sont pas des actes de courage, mais de lâcheté.
Et que certains intellectuels les excusent au nom d’un antiracisme dévoyé est une trahison — la plus grande.
Meutes lâches
Le fanatique ne s’attaque jamais aux puissants réels : il vise les faibles, les isolés, les enseignants, les symboles. Il hait ce qu’il désire mais n’atteint pas : la liberté, la connaissance. Il agit en meute, comme les lâches. Son idéologie n’est qu’un alibi : ce qu’il aime, c’est détruire.
Et nous, durant ce temps, reculons. Nous hésitons à enseigner Voltaire. Nous craignons de nommer l’islamisme de peur d’être accusés d’islamophobie. Nous appelons « culture » des traditions qui justifient le viol ou l’excision. Nous transformons l’école en champ de bataille idéologique. Nous acceptons, au nom de la tolérance, l’intolérable.
La question de la barbarie est aussi est ici, chez nous : dans les rues d’Europe où l’on crie From the river to the sea sans comprendre que cette phrase signifie l’effacement d’un peuple. Dans les universités américaines où l’on célèbre le Hamas comme on célébrait jadis Che Guevara. Dans les plateaux télé où les journalistes, bardés de moraline, accusent Israël d’être ce qu’ils n’ont pas le courage de nommer ailleurs : un rempart.
Le 7 octobre n’a pas seulement révélé la barbarie des tueurs : il a révélé notre propre barbarie douce — celle du déni, du relativisme, de la lâcheté. Nous sommes devenus les clercs du renversement moral : ceux pour qui la culpabilité occidentale doit être payée par procuration. Et quoi de mieux, pour expier, que de désigner Israël comme le miroir de nos crimes ?
L’Europe, lassée d’elle-même, se lave les mains dans le sang juif. Elle retrouve, sans le savoir, la vieille jubilation des temps obscurs : accuser le Juif pour ne pas se regarder.
C’est là le secret obscène du progressisme contemporain : il hait le Juif en se croyant antiraciste, il justifie le meurtre en se croyant humaniste, il adore la victime quand elle tue au nom du Bien.
Nous sommes à la croisée des chemins. Ce que nous voyons n’est pas un simple accès de violence, mais une bascule. Une menace directe contre ce que l’humanité a mis des siècles à construire.
Le fanatisme avance parce que nous reculons. Il est fort de notre faiblesse, de nos renoncements, de notre peur d’affirmer que certaines valeurs valent mieux que d’autres.
La barbarie revient, mais pas en haillons : elle revient avec micros, réseaux, tribunes, soutiens universitaires. Elle infiltre l’école, les médias, les institutions. Et ceux qui devraient la combattre la justifient. Il est temps de relever la tête. Il est temps de dire que toutes les cultures ne se valent pas. Il est temps de refuser. De combattre. Car le prix du silence est l’effondrement. Et le prix de la complaisance, la soumission. Le combat pour la civilisation n’est pas un luxe : il est vital. Le perdre, c’est condamner l’avenir.




