Dix-huit mois avant les prochaines élections nationales (du moins en théorie), la favorite des sondages continue sa guerre d’usure contre le bloc central mais ne veut toujours pas entendre parler de l’union des droites.
Suite d’hier. Relire la première partie.
Causeur. C’est vintage socialo-communiste… Faudrait-il dresser contre l’extrême gauche un cordon sanitaire à la manière de celui que vous avez encore subi lors des dernières élections ?
Marine Le Pen. Non. LFI a sa place au Parlement. En 2022, j’ai considéré, en vertu du règlement intérieur, que toutes les sensibilités devaient être représentées au bureau de l’Assemblée nationale. Et donc j’ai œuvré pour qu’il y ait un vice-président Insoumis.
Mais ça ne vous inquiète pas que des gens votent pour ce parti qui passe son temps à insulter la police et à prôner le désordre ?
Bien sûr que si. Seulement ma réponse est de combattre ce parti lors des campagnes électorales, et de tâcher de convaincre les citoyens de ne pas voter pour lui. En revanche, je suis opposée à tout ce qui peut représenter une mise à l’écart de ses électeurs. En plus, c’est contre-productif. Quand des Français, quels qu’ils soient, sont traités en parias, on se coupe de toute capacité à les convaincre de l’erreur de leur choix.
En parlant de parias, on peut dire que depuis le 7-Octobre, l’accusation d’antisémitisme contre vous est irrecevable. En revanche, les institutionnels juifs continuent à vous snober. Ça vous énerve ?
Ça ne m’énerve pas, ça me désespère ! Pendant un certain nombre d’années, en considérant le Rassemblement national comme un danger, ils ont détourné l’attention de ceux qui pouvaient lutter contre les islamistes. Et ils ont laissé monter l’antisémitisme d’extrême gauche sans rien dire.
Il y a aussi des partis qui vous accusent d’homophobie, alors que vous êtes probablement la formation dans laquelle il y a le plus d’homosexuels affichés…
Précisément, parce que dans notre parti, on est attaché à la liberté de dire les choses. Dans les autres formations, on trouve aussi sans doute beaucoup d’homosexuels, mais moins la liberté de le dire. Cela dit, honnêtement, les mœurs n’ont jamais été une préoccupation dans notre camp politique.
Au congrès de Tours, où vous avez pris la présidence du parti, il y avait une belle brochette d’abbés tradis en soutane. Il y a toujours eu une branche catho auprès de votre père.
Oui, mais il disait qu’on n’était pas là pour faire « la politique du slip ».
Enfin il a quand même été très virulent contre la loi Veil en 1974, alors que vous avez voté pour la constitutionnalisation de l’IVG l’an dernier.
C’est vrai, mais par la suite il a été le premier à se moquer des anti-IVG qui, selon lui, avaient souvent le plus à se reprocher.
Éric Zemmour veut mobiliser nos racines judéo-chrétiennes (et singulièrement catholiques) pour défendre l’identité française. Qu’en pensez-vous ?
Les racines judéo-chrétiennes de la France font bien entendu partie intégrante de l’identité française. Mais mener un combat religieux m’apparaît tout à fait contraire à l’ADN de notre pays. Je ne me glisserai pas dans cette faille. Contrairement à Éric Zemmour, je considère qu’en France, chacun peut choisir sa religion. Quand j’ai fait la distinction entre l’islam, qui est une religion, et l’islamisme, qui est une idéologie politique et totalitaire à combattre au même rang que le communisme ou le nazisme, il m’a violemment combattue.
Ça s’appelle le désaccord. Mais vous ne pouvez pas nier que beaucoup d’expressions de la religion musulmane ne conviennent pas à nos mœurs.
C’est vrai, et j’y vois le signe que les fondamentalistes islamistes ont pris le pouvoir sur l’islam en France. Pour y remédier, il faut donc combattre l’idéologie, pas la religion. Voilà ce qui me dérange dans le positionnement d’Éric Zemmour.
Que pensez-vous de Sarah Knafo ? Elle n’était pas aux affaires, vous ne pouvez pas lui reprocher d’avoir bradé le pays. Vous n’aimeriez pas avoir une fille talentueuse comme elle dans vos troupes ?
Écoutez, pour l’instant, son objectif a été de m’empêcher d’être au second tour de l’élection présidentielle et de nous empêcher d’avoir le nombre d’élus que nous avons obtenus à l’Assemblée. Sans oublier qu’elle me traite régulièrement de socialiste, tout en me reprochant de ne pas faire l’union des droites. Ce qui est assez incohérent, vous en conviendrez.
Reconnaissez qu’elle a émergé cette dernière année de façon assez spectaculaire.
Surtout sur CNews !
Est-ce rédhibitoire ? Ne faut-il pas se féliciter que CNews batte en brèche le monopole médiatique de la gauche ?
Évidemment, c’est une grande chance d’avoir cette forme de pluralisme face à un écosystème politico-médiatique qui a intérêt à ce que la vérité ne transparaisse pas.
À ce sujet, voulez-vous toujours privatiser l’audiovisuel public ?
Oui. En gardant juste trois médias d’État : une radio généraliste, pour passer les consignes importantes en cas de crise ; une télévision d’outre-mer, parce que c’est une question de continuité ; et une chaîne d’information internationale, afin de porter la voix de la France dans le monde.
D’après Éric Dupond-Moretti, vous parlez de CNews comme si c’était « votre chaîne ».
Il dit n’importe quoi. Sur CNews, on voit surtout s’épanouir un courant de pensée, que je trouve assez naïf, qui passe son temps à chercher un nouveau sauveur pour la France et à lui dérouler le tapis rouge, pour en général terminer terriblement déçu.
A relire : « La France, c’est le pire du libéralisme et le pire du socialisme »
Saluez-vous l’action de Donald Trump ?
Je ne suis ni russophile ni américanophile, mais francophile. Cela dit, je reconnais que Trump a apporté la démonstration que la volonté politique fonctionne, alors que nous sommes englués depuis trente ans par des gens qui nous disent « ce n’est pas possible ». Il a fait cette démonstration au Moyen-Orient. Il ne s’agit pas pour autant de le prendre comme modèle. De Gaulle se méfiait, à juste titre, des États-Unis, parce qu’il comprenait qu’ils défendent leurs intérêts. Il arrive que nos intérêts convergent, mais il arrive aussi qu’ils créent des trucs pourris (je pense par exemple aux politiques wokistes) et qu’ensuite ils nous les exportent.
Peut-on dire que vous êtes trumpienne sans être trumpiste ?
Il faudrait peut-être plutôt dire que Trump est lepéniste ! Parce que Jean-Marie Le Pen a annoncé, bien avant le président américain, que le temps des nations était venu. La globalisation est finie, c’est une étoile morte. L’Union européenne crève de ne pas comprendre ce phénomène.
Les manières de Trump sont déconcertantes, on se dit que, si on l’énerve, il va envahir le Groenland. La politique semble condamnée à la vulgarité à l’ère des réseaux sociaux. En souffrez-vous ?
Une chose est sûre. Le discrédit organisé méthodiquement contre le fait politique, contre la décision politique et donc contre les politiques détourne un certain nombre de personnes de la politique. Cela m’inquiète beaucoup. Trump, lui, a une méthode de chef d’entreprise. Il fonctionne à l’intimidation. Il se sert des avantages de son pays, dont le premier est la puissance, pour obtenir ce qu’il souhaite. Cela nous paraît brutal, excessif, mais quand on est président des États-Unis, ça marche redoutablement bien. En revanche, si vous êtes Premier ministre de la Hongrie, ça marche beaucoup moins bien.

Et si vous présidez la France ?
Nous sommes une nation particulière. Malgré toute l’énergie que nos élites ont employée à le faire oublier, la France est une puissance.
Une puissance qui se fait marcher dessus par l’Algérie. Quand vous voyez Trump se payer la tête de Macron, que ressentez-vous ?
Je suis malheureuse pour mon pays. C’est une humiliation nationale. On peut penser que Macron l’a bien cherché, mais c’est le pays qui est humilié.
Et que pensez-vous de Giorgia Meloni ?
Je la connais depuis très longtemps. Elle est incontestablement une vraie politique, une femme de caractère et de convictions. Des gens possédant son sens politique, sa force politique et ses convictions, on n’en rencontre pas beaucoup. Néanmoins je me méfie de la manière dont on nous vend le miracle économique italien. On oublie de dire qu’il doit beaucoup aux 240 milliards du plan de relance européen, donc à notre fric. Nous participons à hauteur de 18 % au budget de l’Union. Si on recevait l’équivalent de ce que Rome a touché ces dernières années, il serait plus facile de boucler le budget de la France. Tout cela explique que je sois souvent en contradiction avec Giorgia Meloni. Elle défend les intérêts de l’Italie. Et ils s’opposent parfois aux nôtres.
Meloni incarne aussi une méthode politique : l’union des droites, grâce à laquelle elle gouverne l’Italie depuis trois ans. Pourquoi ne pas suivre cette voie, qui lui a si bien réussi ?
Je sais bien, Sarah Knafo et Marion Maréchal me pressent de la prendre en exemple. Mais il faudrait arrêter le fantasme ! Je rappelle comment fonctionne l’union des droites en Italie. Chacun présente des candidats dans toutes les circonscriptions, donc partout vous avez le choix entre des candidats berlusconistes, des candidats salvinistes et des candidats melonistes. Après, et seulement après les élections, ils font une coalition gouvernementale. Rien à voir avec l’union des droites réclamée en France par les candidats de Reconquête, qui veulent qu’on leur laisse des circonscriptions pour se faire élire avec nos voix. Quel intérêt pour nous ?
Pour la première formule, à l’italienne, vous seriez d’accord ?
Bien sûr ! J’ai dit qu’à partir du moment où demain nous avons une majorité relative, on ira chercher dans l’Assemblée nationale des gens pour pouvoir faire une coalition gouvernementale sur des éléments qui nous paraissent essentiels. Je n’ai aucun problème avec cela.
Avez-vous des divergences avec Jordan Bardella, notamment sur le plan économique ? D’ailleurs, il cite Nicolas Sarkozy comme une de ses références.
Une erreur de jeunesse (rires).
Donc pas de friture entre vous ?
Il existe une différence d’images entre lui et moi. Mais de différence réelle, pour l’instant, je n’en ai pas vu. On peut avoir des discussions, comme sur la flat tax, mais jamais de divergences.
Vous savez très bien que ce genre de duos finit souvent par une rivalité. Qu’est-ce qui vous rend tellement sûre que vous l’éviterez avec Jordan Bardella ?
Je suis la candidate de Jordan à la présidentielle, mais je ne vais pas y retourner vingt-cinq fois de suite. Quand je dis cela, personne ne me croit, parce que tout le monde part du principe qu’en politique, tout le monde a un égo démesuré. Pas moi.
C’est peut-être un problème, non ?
Oui, peut-être, ou alors ce qui fait ma différence par rapport aux autres. L’idée de pouvoir être remplacée un jour non seulement ne m’empêche pas de dormir, mais me permet de mieux dormir. C’est pour cela que j’ai transmis le parti à Jordan. Alors que tout le monde m’incitait à le garder. Eh bien non. L’idée qu’il y ait derrière moi des gens pour mener ce combat, c’est l’une de mes grandes fiertés.
En somme, vous lui avez transmis le parti comme votre père vous l’avait transmis ?
Oui, sauf que je ne suis pas assise sur l’épaule de Jordan matin, midi et soir pour lui dire : « Ça, il ne faut pas faire, et ça, oui. » Ce que mon père avait quand même tendance à faire (rires).
Mais croyez-vous que les votes en votre faveur se reporteront automatiquement sur lui ? Quelles que soient ses qualités, sa jeunesse ne peut-elle pas effrayer ?
Je suis convaincue que ceux qui veulent redresser la France le soutiendront s’il devait reprendre le flambeau dès 2027. Et que ceux qui ont peur se rassurent, la jeunesse, ça ne dure pas.
Vous êtes l’une des personnalités politiques dont on connaît le moins la vie sentimentale. On ne connaît pas le visage de vos enfants, par exemple. Le seul détail de votre vie privée actuelle auquel le grand public ait accès, ce sont les chats.
Et encore, c’est un concours de circonstances. Le fait que mes chats soient célèbres ne leur cause aucun préjudice, alors que mes enfants pourraient pâtir d’une exposition médiatique. Si je protège ma vie privée, c’est d’abord pour protéger la leur. Rien n’est pire que d’être défini par son patronyme ou les choix politiques de ses parents. Je l’ai vécu moi-même, et j’ai voulu que mes enfants aient la liberté d’être appréciés tels qu’ils sont, eux, et pas telle que je suis, moi.





