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La boîte à souvenirs (1)

Les Dessous chics


La boîte à souvenirs (1)

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Pascal Lainé DR.

J’adore lire. Ma Sauvageonne aussi. Lorsque je l’entraîne dans les salons du livre où je signe mes ouvrages, elle ne s’ennuie jamais ; elle passe un temps considérable à baguenauder dans les allées, s’arrête à chaque stand, à chaque auteur, ouvre les opus, découvre, papote avec les auteurs. Un vrai bonheur. Le souci, c’est qu’elle a envie de tout acheter. La rémunération mensuelle de mes piges chez Causeur n’y suffirait pas. Il m’arrive d’être contraint de la stopper dans son élan. (Il n’y a pas que les livres qui la pousse à commettre des folies. L’autre jour, à la faveur d’une sortie entre copines à Lille, en compagnie de son amie Corine, elle a dépensé une sacrée somme en vêtements, sacs, chaussures. Bref : c’est une fille!) Oui, disais-je, j’adore lire. Lorsque je passe devant la boîte à livres de mon quartier, je ne peux m’empêcher de m’arrêter et de fouiller, farfouiller. C’est comme un vice. Il y a peu mon attention a été attirée par L’Ecume des jours, de Boris Vian, en collection de poche 10/18, avec en couverture, une photographie de l’auteur qui ressemble comme deux gouttes d’eau (des Vian) à notre tant aimé (lol!) président, l’Amiénois Emmanuel Macron. Je la contemple ; je souris. Puis, je m’égare dans des souvenirs forts lointains. C’était en 1971 ; j’arrivais en classe de seconde (pourquoi dire « seconde » et pas « deuxième » puisqu’il y a deux autres classes au-dessus : première et terminale ?) à mon cher lycée Henri-Martin, à Saint-Quentin. Notre professeur de français, une trentenaire très brune, au physique d’actrice italienne et au nom de famille italien lui aussi, venait de Paris. Elle était mystérieuse, portait des lunettes fumées ; elle nous fascinait. Était-ce parce qu’elle ressemblait à Albertine Sarrazin dont j’avais lu L’Astragale, opus que j’avais adoré ? Peut-être. À peine arrivée qu’elle nous avait vivement conseillé de lire L’Ecume des jours. Qu’est-elle devenue, cette enseignante ? Je me le demande encore. Un seul indice : quelques années plus tôt, je l’avais croisée au collège Joliot-Curie de Tergnier où j’étais élève de cinquième ou de quatrième. Je n’avais pas eu la chance de l’avoir comme professeur. En ce début des années soixante-dix, il est fort probable qu’elle eût côtoyé Pascal Lainé, alors jeune professeur de philosophie au lycée technique de Saint-Quentin qui, fort de cette expérience, avait écrit, la même année, le sublime L’Irrévolution (Gallimard-coll. Le Chemin ; prix Médicis 1971), puis, trois ans plus tard, La Dentellière (Gallimard, coll. Le Chemin, 1974). Deux ouvrages qui m’avaient bouleversé. Notre professeur au physique d’Albertine Sarrazin allait-elle boire des bières pression au Grand Café de l’Univers en compagnie de Pascal Lainé qui, lui, s’y rendait très souvent ? (Il l’avait écrit.) Lorsque qu’en 1979, je revins à Saint-Quentin comme journaliste localier à L’Aisne Nouvelle, j’entrepris une enquête sur le passage de Lainé dans la capitale du Vermandois. Je voulais savoir qui avait été Pomme, le personnage central de La Dentellière, dont le narrateur, professeur de philosophie dans un lycée technique dans « un département en forme de betterave » (comme par hasard ; ce sont les premières lignes du roman). Vivait-elle encore ? Où résidait-elle ? Je publiais mon enquête. Quelques jours plus tard, une dame m’appela en affirmant qu’elle était Pomme. Je tremblais d’émotion. Je lui demandais son identité et lui proposais que nous nous rencontrassions. Sa voix s’étrangla comme prise dans le siphon d’un sanglot. Et elle raccrocha. Je n’ai jamais su si cette voix anonyme était réellement celle de Pomme. Au début des années 2000, alors que je venais d’arriver comme reporter au service culture du Courrier picard, à Amiens, j’ai appris que Lainé revenait au lycée technique de Saint-Quentin pour y rencontrer des élèves et parler de ses livres d’inspiration axonaise. Ni une, ni deux : je pris rendez-vous avec lui pour  – enfin ! – l’interviewer. Il accepta. Nous nous retrouvâmes à la brasserie du Carillon sur la place de l’Hôtel-de-Ville de Saint-Quentin. L’entretien dura presque deux heures. Je buvais ses paroles et les souvenirs qu’il égrenait. A la fin de notre rencontre, je me lançais : « Et Pomme, qui était-elle ? Qu’est-elle devenue ? » Il me regarda droit dans les yeux, visiblement troublé, caressa sa barbe d’ancien professeur de philosophie et changea de conversation. Pomme, si vous me lisez, écrivez-moi à Causeur. Il n’est jamais trop tard pour se perdre dans la merveilleuse forêt de la littérature.


(1) La boîte à souvenir, premier volet. J’espère pouvoir écrire un deuxième (et pas un second) et peut-être un troisième volet de ce même type de chronique inspirée par ma sacrée boîte à livres. On verra bien…



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Il a publié une vingtaine de livres dont "Des Petits bals sans importance, HLM (Prix Populiste 2000) et Tendre Rock chez Mille et Une Nuits. Ses deux derniers livres sont : Au Fil de Creil (Castor astral) et Les matins translucides (Ecriture). Journaliste au Courrier Picard et critique à Service littéraire, il vit et écrit à Amiens, en Picardie. En 2018, il est récompensé du prix des Hussards pour "Le Chemin des fugues".

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