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Le drame discret de la bourgeoisie

Louis-Henri de La Rochefoucauld publie « L’Amour moderne » (Robert Laffont)


Le drame discret de la bourgeoisie
L'écrivain français Louis-Henri de La Rochefoucauld © Ph. Matsas

Loin de l’autofiction à la mode, Louis-Henri de La Rochefoucauld signe avec L’Amour moderne un vaudeville chic et décalé. Irrésistible.


Qui a dit qu’il ne se passait jamais rien dans les beaux quartiers ? Sûrement pas Louis-Henri de La Rochefoucauld qui, dans son nouveau roman, offre la preuve éclatante et terrifiante du contraire.

L’affaire a lieu en 1993 derrière les grilles d’une propriété du 16e arrondissement de Paris au nom modianesque en diable : Villa Vermeer. Vit là une famille bon chic bon genre qui respire l’équilibre et inspire l’ennui: la famille Dubois. Jusqu’au jour où tout bascule. Le père polytechnicien, il ne faut gager de rien, assassine sa femme et ses deux enfants. Pour Ivan, alors élève en CE2 à Loyola, appellation derrière laquelle on reconnaît sans peine les jésuites de Franklin, la perte de son ami Alexis tiré « comme un lapin » par son père est une tragédie dont il ne se remettra jamais.

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L’histoire commence véritablement en 2023. Ivan Kamenov, devenu un auteur dramatique à succès, a essuyé un divorce et traîne son spleen entre le square Pétrarque et le cimetière de Passy qu’il sait être son ultime demeure. Mais que faire d’ici là ? Il y a certes les déjeuners à La Rotonde de la Muette avec sa tante Catherine, personnage haut en couleur, mais cela ne suffit pas à lui faire oublier le désert qu’est devenu sa vie et, plus inquiétant encore, cette panne d’inspiration qui s’éternise. Ivan n’écrit plus. Pas une ligne. Même si sa cote reste au zénith, il y a urgence. La vie étant bien faite et ce roman aussi, voici qu’entre en scène un certain Michel Hugo surnommé « Hugo le petit » par opposition à Victor, « notre monument national ». Michel Hugo donc, producteur de cinéma, véreux comme il se doit, est marié à Albane Blanzac, actrice légendaire n’ayant pas tourné depuis longtemps, dont on découvre qu’elle a un lien avec l’affaire Dubois. Mais ne divulgâchons pas. Michel Hugo souhaitant revenir dans la lumière grâce au théâtre qu’il possède, propose à Ivan d’y créer une pièce avec sa femme dans le rôle principal. Son titre : L’Amour moderne. À ce stade, tout est en place pour 250 pages de lecture jubilatoire. Ivan n’écrira pas une ligne et tombera amoureux d’Albane Blanzac, héroïne fragile et évanescente particulièrement attachante. On rit beaucoup aux tribulations du mari, de la femme et de l’amant. Cocasse des situations, répliques qui fusent, portes qui claquent, nous sommes dans l’esthétique du vaudeville chic dont raffole le théâtre privé sur lequel Ivan règne en maître. Mais l’envers du décor est tout autre. Derrière la légèreté, les drames. Dubois qui assassine sa femme, Hugo qui violente la sienne. #MeToo est passé par là et l’auteur à la plume ironique, voire assassine, n’épargne ni ses personnages masculins ni le milieu bourgeois dont ils sont issus. Ivan seul passe entre les gouttes, éternel rêveur qui « malgré ses farces demeurerait à jamais un enfant triste du XVIe arrondissement ».

Avec L’Amour moderne Louis-Henri de La Rochefoucauld réalise un tour de force : celui d’avoir écrit un roman aussi drôle que mélancolique.


L’Amour moderne, Louis-Henri de La Rochefoucauld, Robert Laffont, 2025. 256 pages




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Alexandra Lemasson est critique littéraire. Elle collabore au JDD et à la Revue des deux mondes. Elle est l'auteur de : Virginia Woolf aux Editions Gallimard et La petite folie aux Editions Léo Scheer.

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