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Perchiste ou carpiste?

Les Dessous chics


Perchiste ou carpiste?
Étangs de Méricourt, septembre 2025 © Photo Pascale Pigny

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


J’adore lire, allongé sur le lit. Cela indispose ma Sauvageonne. Elle soutient que s’allonger avec ses vêtements « c’est dégoûtant ». De plus, elle est certaine qu’au final, je vais en profiter pour dormir. L’Ébouriffée a des convictions ; il est difficile de lutter contre. Pourtant, ce dimanche-là, je me sentais l’âme d’un rebelle. « J’ai envie de lire ! », fis-je à son endroit, d’une voix à la fois lasse, plaintive et sensuelle, persuadé que je parviendrais, ainsi, à la convaincre. Elle observa un long silence, se mit à réfléchir très fort. Elle devait m’imaginer allongé, en train de roupiller, avec, sur le ventre Patrick Modiano, Kléber Haedens, Blaise Cendrars ou Roger Vailland. Subtile et rusée comme une fille (qu’elle est puissance 100 ; je lui dis souvent : « Sauvageonne, tu es une vraie fille » ; alors, elle se met à ronronner comme une jeune chatte), elle retourne la situation à son avantage : « Et si on allait lire au bord des étangs de Méricourt, vieux Yak ? On prendra des couvertures », lance-t-elle en secouant sa crinière blonde. « C’est un endroit splendide ; je vais souvent m’y balader avec ma copine Corinne. » Que répondre à ça ? « Si elle y va avec sa copine Corinne, je n’ai plus qu’à obtempérer », songeai-je. Quarante-et-une minutes plus tard, nous nous retrouvâmes sur les rives incertaines (comme eût dit Robert Mallet) d’un magnifique et vaste étang. Nous déployâmes les couvertures et je m’allongeai ; ma moitié préféra réviser la pièce qu’elle joue actuellement au théâtre, confortablement assise sur une chaise pliante. Il faisait beau ; c’était agréable. Bientôt, notre attention fut attirée par un carpiste installé sur la rive d’en face. Il semblait concentré, très concentré en observant le bouchon de sa ligne. Soudain, le fil se tendit ; on aperçut une énorme carpe commune qui se débattait. Un homme équipé d’une caméra surgit d’un bosquet ; il filma la capture du monstre. Pour mettre sur YouTube, sur un site spécialisé dévolu aux carpistes ? Mystère. On ne le saura jamais. Le pêcheur finit par remonter la grosse brune aux écailles brillantes ; il l’emprisonna dans l’épuisette, l’exhiba au caméraman, et, « no kill », la relâcha. Le mot « Fin » apparut sur l’onde verte ; la séance était terminée. La Sauvageonne et moi replongeâmes dans nos lectures. Une heure plus tard, nous décidâmes de rentrer. Alors que nous nous dirigions vers la voiture, nous croisâmes un couple ; l’homme était équipé d’une petite canne à carnassier. Il m’expliqua qu’il revenait de la vieille Somme, toute proche. « J’ai chopé une belle perche ! », me dit-il, souriant. Nous lui racontâmes le carpiste, la capture de l’énorme carpe. « Moi, je n’y vais jamais à la carpe ; ce n’est pas de la pêche. L’étang est rempoissonné régulièrement en carpes ; il n’y a plus rien de sauvage. » Et de sortir la perche de sa musette : « Regardez, ça, c’est du sauvage ! Vous la voulez ? » J’acceptai de bonne grâce. La chair de la perche est l’une des plus fines parmi celles de tous les poissons d’eau douce. Le lendemain, je dépouillais la jolie zébrée pour en extraire deux beaux filets que je trempais dans la panure (deux œufs, lait, chapelure). Un peu d’huile dans la poêle. Ce fut un régal. Est-il nécessaire de préciser que quand j’attrape une perche dans l’étang du Courrier picard, à Longpré-lès-Amiens, je ne pratique pas le « no kill » ; je suis un perchiste, moi Monsieur ; pas un carpiste ! À la casserole, les zébrés ! Ma Sauvageonne me dit que je suis cruel. Ah, les filles !…

Phioto : Philippe Lacoche


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Il a publié une vingtaine de livres dont "Des Petits bals sans importance, HLM (Prix Populiste 2000) et Tendre Rock chez Mille et Une Nuits. Ses deux derniers livres sont : Au Fil de Creil (Castor astral) et Les matins translucides (Ecriture). Journaliste au Courrier Picard et critique à Service littéraire, il vit et écrit à Amiens, en Picardie. En 2018, il est récompensé du prix des Hussards pour "Le Chemin des fugues".

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