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Gloire et chute d’Horatiu Potra et des mercenaires roumains d’Afrique

Connaissez-vous RALF ?


Gloire et chute d’Horatiu Potra et des mercenaires roumains d’Afrique
Horatiu Potra. DR.

La Haute Cour de cassation de justice roumaine vient de déclarer en ce mois d’août que les « mercenaires de Potra » font désormais l’objet d’une enquête pour tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel, non-respect de la législation sur les armes et les munitions, commerce illicite de produits pyrotechniques et incitation publique. Avant de se trouver dans le collimateur de Bucarest, le RALF (Rassemblement des anciens légionnaires français d’origine roumaine) était une unité de mercenaires bien connus en Afrique équatoriale. Récit.


En République démocratique du Congo (RDC) comme à Bucarest, un certain Horatiu Potra, ancien légionnaire français fait beaucoup parler de lui.

Le « processus de Doha » est une initiative diplomatique de Donald Trump dont on parle peu en France. Entamé sous les auspices du président américain il y a environ trois mois dans la capitale qatarie, il réunit autour d’une même table les principaux acteurs de la guerre du Kivu, ce terrible conflit qui ravage l’Afrique des grands lacs depuis plus de vingt ans. Dès le 27 juin, les premiers résultats ont été obtenus avec la signature à Washington d’un traité de paix entre RDC et le Rwanda. Le 19 juillet, c’est le mouvement rebelle M23 qui faisait également un pas important en validant un accord de cessez-le-feu avec le régime de Kinshasa.

Rien ne permet pourtant de dire que l’enfer des combats a pris fin dans la région. Ces derniers jours, on a en effet rapporté une reprise des hostilités. Dans cette zone grande comme deux fois la Belgique et située à l’Est de la RDC, le M23, qui est en position de force, subit à nouveau les attaques sporadiques de milices pro-congolaises. Le niveau de tension reste cependant nettement plus faible qu’en janvier dernier lors de la bataille de Goma. Appuyés militairement par le Rwanda voisin, le M23 avait alors mis en déroute les forces gouvernementales en quelques jours seulement. Au prix d’un bilan humain très lourd : près de 3000 morts, parmi lesquels un grand nombre de civils.

A l’issue de ces effroyables affrontements, l’ONU avait fait une curieuse annonce. On apprenait en effet que des mercenaires roumains, jusqu’alors au service de la RDC, avaient déposé les armes et demandé la protection des casques bleus présents sur place. Après des négociations avec les autorités de Bucarest, très gênées, ces 290 hommes surentraînés, qui n’étaient manifestement pas prêts à mourir pour le Kivu, ont été promptement rapatriés dans leur pays par avion charter via Kigali. Leur nom : les RALF.

On serait tenté de présenter les RALF comme les jumeaux roumains du fameux groupe paramilitaire russe Wagner.  A une nuance près toutefois. Alors que Wagner opère en Afrique, notamment au Soudan, au Mozambique ou au Mali, en coordination étroite avec Moscou, la soldatesque RALF, elle, a des rapports exécrables avec sa mère patrie. Il faut dire que son patron, Horatiu Potra, un quinquagénaire ayant combattu dans sa jeunesse au sein de la Légion étrangère française, est visé par des poursuites judiciaires à Bucarest, où, comme on le verra plus loin, il est soupçonné d’avoir conspiré contre la démocratie.

Se faisant appeler « Lieutenant Henry » – un pseudonyme qui lui vient sans doute de ses cinq années passées sous nos drapeaux -, Potra s’est lancé à son compte dans l’activité de « sous traitance militaire » dès les années 90, après avoir rendu son képi blanc et obtenu une naturalisation française « par le sang versé ».

Selon la légende, il est alors embauché comme chef de la sécurité personnelle de Hamad ben Khalifa Al Thani, l’émir du Qatar. À Doha, il pose les jalons de ce qui deviendra RALF (Roumains ancien de la Légion française), en puisant dans le vivier des centaines d’anciens légionnaires originaires de son pays, comme lui souvent détenteurs d’un passeport français extrêmement recherché car il permet de voyager facilement dans de nombreux pays.

Dès cette époque, les RALF se forgent une certaine notoriété dans le milieu du mercenariat. Mais selon un bon connaisseur, lui-même ancien de la Légion étrangère et citoyen franco-roumain, « ce n’est pas la plus professionnelle des sociétés du secteur », contrairement à ce que laisse penser son prestigieux acronyme. « La débâcle de RALF à Goma en janvier s’explique toutefois par l’absence d’un train logistique qui avait pourtant été promis par Kinshasa », nuance-t-il cependant.

Selon le journaliste roumain Sorin Melenciuc, c’est Paul Barril qui, dans les années 2000, a initié le Lieutenant Henry aux affaires africaines. L’ex-numéro 2 du GIGN était alors une figure reconnue dans le secteur de la sécurité privée sur le continent noir. « Potra ne se vante pas de cette collaboration passée, note toutefois Melenciuc, Il préfère cultiver une image de proximité avec Moscou… même si elle est fausse !  » Une autre source confirme le peu de crédit qu’il faut accorder à la réputation d’agent du Kremlin que le mercenaire roumain se plaît à alimenter lui-même : « Potra est un semi-mythomane, un aventurier vantard, avide d’argent et de reconnaissance, qui espère être aussi connu qu’Evgueni Prigogine, le créateur du groupe Wagner. »

De sérieux indices tendent d’ailleurs à montrer que les activités des RALF ont pu être couvertes dans le passé par au moins une agence d’espionnage roumaine (soit le Service de renseignements internes soit le Service de renseignements externes). Interrogés par le média roumain PressOne, d’anciens employés de Potra ont accrédité cette thèse en affirmant que la douane a longtemps fermé les yeux lorsque, dans le cadre de leurs opérations en Afrique, ils embarquaient ou débarquaient aux aéroports de Sibiu ou Targu Mures, dans le sud de la Roumanie, ce qui leur permettait de transporter autant d’armes et de liquidités qu’ils souhaitaient.

Mais à partir de 2010, la complaisance des autorités roumaines cesse. Potra rentre dans le collimateur de Bucarest. Il est arrêté sur ordre de la DIICOT (Direction roumaine des enquêtes sur le crime organisé et le terrorisme), qui mène des investigations sur un trafic de drogue international de grande envergure. Lors des perquisitions, les policiers découvrent que plusieurs de ses collaborateurs possèdent des armes à feu, des grenades, des munitions et du matériel de surveillance. Si l’enquête finit par innocenter le Lieutenant Henry, elle révèle que la singulière entreprise RALF fonctionne selon des principes paramilitaires.

En 2015, les RALF refont parler d’eux. Un des leurs camarades de combat, un dénommé Iulian Ghergut, est enlevé au Burkina Faso par des jihadistes ralliés à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) alors qu’il travaillait comme vigile armé dans une mine de manganèse détenue par Frank Timis, un homme d’affaires australo-roumain. L’otage ne sera libéré que huit ans plus tard, grâce à l’intervention de Bucarest.

Ce n’est qu’en 2022 que la presse commence à rapporter la présence des RALF à 5000 kilomètres de là, en République démocratique du Congo. Opérant sous le statut officiel – qui ne trompe personne – de formateurs pour l’armée régulière, plusieurs d’entre eux sont tués ou gravement blessés lors de combats auxquels ils participent activement dans la région du Kivu. D’après nos sources, les RALF sont alors payés par la société Agemira, contrôlée par Olivier Bazin, un homme d’affaires franco-roumain proche du régime de Kinshasa.

L’avenir d’Horatiu Potra semble pourtant se jouer désormais en Roumanie. Deux mois avant la prise de Goma, la police l’arrête alors qu’il se rend à Bucarest en compagnie d’une vingtaine d’affidés. On trouve dans leurs véhicules diverses armes à feu et armes blanches ainsi que d’importantes sommes d’argent. Dès qu’elle a vent de l’histoire, les journaux font le lien avec l’annulation des élections présidentielles roumaines prononcée deux jours auparavant par la Cour constitutionnelle, au motif d’une enquête contre le candidat Călin Georgescu, arrivé en tête au premier tour et accusé d’avoir bénéficié d’une ingérence russe massive à travers le réseau social TikTok. Or Potra, qui, rappelons-le, se plaît à faire croire qu’il est en cheville avec Moscou, est décrit par certains médias comme le chef de la sécurité de Georgescu.

Selon Sorin Melenciuc, la réalité est un peu différente. Le chef des RALF ne joue pas le rôle central qu’on lui prête dans l’équipe du candidat pro-russe. « Le véritable responsable de la protection de Georgescu s’appelle Eugen Sechila, assure le journaliste. C’est un ex-sergent-chef des commandos parachutistes de la Légion étrangère, qui a vécu dix ans en Autriche avant de retourner en Roumanie. Potra s’est associé à lui seulement après le premier tour des élections. Personne ne pensait que Georgescu ferait un si bon score. »

Les RALF préparaient-il un coup d’Etat en Roumanie ? Sont-ils au contraire la cible d’une tentative d’intimidation du pouvoir ? Impossible de répondre à ce stade. Mais une chose est certaine: les connexions congolaises de Potra et sa russophilie brandie en étendard pèsent lourd dans son dossier. Tout comme elles continuent d’attirer les candidatures. Nombreux sont encore aujourd’hui les hommes en quête d’adrénaline et d’aventure qui rêvent d’appartenir au groupe RALF. Même incarnée par un soudard aux nombreux déboires, la Légion étrangère n’a pas fini de fasciner.

Gabriel Robin avec l’aimable participation de Sorin Melenciuc



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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