L’assassinat atroce d’Axelle Dorier, il y a cinq ans, n’est pas un simple fait divers et encore moins un accident de la route. La condamnation, l’année dernière, des coupables scandalise toujours par la relative légèreté des peines et interroge sur une possible «préférence diversitaire» qui s’exprime à travers certains verdicts de la justice. Tribune.
Le 18 juillet 2020, à Lyon, Axelle Dorier, 22 ans, meurt traînée sur plus de 800 mètres par une voiture. Elle avait simplement tenté de faire valoir ses droits, après que le conducteur d’une Golf a percuté son chien. Une altercation s’ensuit, brève. Puis le conducteur redémarre brutalement. Axelle est happée, traînée, déchiquetée. Elle décède dans des conditions que la presse, pudiquement, évite de décrire.
Le 12 juillet 2024, quatre ans plus tard, le verdict tombe : 12 ans de réclusion criminelle pour Youcef Tebbal, reconnu coupable de violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le passager, Mohamed-Amine Yelloule, écope de 5 ans de prison, dont 3 avec sursis.
Pas de meurtre. Pas d’intention de tuer. La justice a retenu l’impulsivité, l’instant de panique, la perte de contrôle. Le crime devient alors une suite de « violences mal maîtrisées » et non une volonté de nuire.
Mais pour beaucoup de citoyens, ce verdict ne passe pas.
Pas seulement en raison de la peine – jugée trop légère pour un acte d’une telle sauvagerie – mais à cause du décalage croissant entre la gravité des faits et le traitement judiciaire lorsqu’il s’agit de certains profils ethniques ou culturels.
Justice : deux poids, deux mesures ?
Il faut poser les mots : de plus en plus de citoyens ont le sentiment qu’en France, l’origine de l’auteur compte autant que l’acte commis.
Quand le prévenu est Français d’origine étrangère, et en particulier maghrébine, l’appareil judiciaire semble gagner en prudence, en nuance, en indulgence. On parle alors de parcours difficile, de discrimination subie, d’intégration ratée, de fragilité sociale. Une grille de lecture compassionnelle se superpose à l’acte.
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Mais si l’auteur avait été un « Français de souche », et la victime issue d’une minorité visible ? L’indignation aurait été nationale. La presse aurait embrasé les colonnes. Des ministres auraient pris la parole. Des marches silencieuses se seraient organisées. Le verdict aurait été scruté comme un test moral.
Dans l’affaire Dorier, il n’y a rien eu de tout cela.
Une barbarie banalisée
Ce n’est pourtant pas une banale affaire de dérapage routier. C’est une scène de crime. La voiture est utilisée comme une arme. L’acte est sauvage. La victime meurt dans une agonie mécanique. Pourtant, la requalification pénale – « sans intention de donner la mort » – efface cette réalité. Elle dilue la violence dans le lexique du malheureux concours de circonstances.
Pour beaucoup, c’est un signal terrifiant : la vie d’une jeune femme peut être broyée sans que la justice n’y voie une volonté de tuer. Une barbarie sans coupable véritable, un meurtre sans meurtrier.
Préférence diversitaire : mythe ou réalité ?
Le terme dérange. Pourtant, la “préférence diversitaire” est un concept de plus en plus invoqué dans le débat public. Il désigne cette asymétrie de traitement – judiciaire, médiatique, symbolique – qui protège davantage certains groupes sous couvert de lutte contre les discriminations.
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Ce n’est pas une théorie complotiste. C’est une mécanique idéologique bien réelle, à l’œuvre depuis des années dans certains cercles politiques, universitaires ou médiatiques : toute critique envers un individu issu de l’immigration est suspecte ; toute rigueur appliquée à ces profils est perçue comme un risque de stigmatisation. Résultat : une réticence à punir pleinement. Un effacement des responsabilités au nom de l’origine. Une tendance à excuser là où il faudrait juger.
Un pacte républicain affaibli
La République repose sur une promesse : la même loi pour tous. Pas selon le prénom. Pas selon le passé. Pas selon les blessures familiales ou coloniales. Ce pacte, pour beaucoup, est aujourd’hui affaibli.
L’affaire Axelle Dorier n’est pas un accident judiciaire isolé. C’est le révélateur d’un climat : celui où l’impunité semble devenir conditionnelle à l’origine. Où les victimes sans capital communautaire, sans étiquette minoritaire, sans surmoi militant, sont reléguées au silence.
Axelle est morte deux fois : une première fois, traînée par une voiture ; une seconde fois, trahie par le gouvernement des juges.
Il faudra bien un jour rouvrir les yeux.




