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Le bourgeois de la Rue Vavin: carrément méchant, jamais content?

Presse et réseaux sociaux se moquent d'un quartier parisien bourgeois voyant d'un mauvais œil l'arrivée d'une supérette...


Le bourgeois de la Rue Vavin: carrément méchant, jamais content?
Dans le chic 6e arrondissement, c'est le drame, un sympathique magasin de jouets Oxybul va être remplacé par un supermarché © L. Rabouille

Alors que la polémique concernant l’ouverture prochaine d’une supérette Carrefour City était à peine naissante, nos intrépides reporters ont fait un tour chez les autres commerçants du fameux quartier. Les signataires de la pétition (qu’ils l’aient vraiment signée, comme l’écrit le magazine du Monde, ou finalement pas) militent pour la préservation du caractère historique d’une rue qui est déjà largement amochée et où la plupart des commerces sont des franchises.


C’est un petit écrin parisien, enchâssé entre le jardin du Luxembourg et la silhouette de la tour Montparnasse, à trois coups de pédale en Vélib’ du Panthéon, de l’Institut et d’Assas. Le charme du VIème arrondissement qui n’a pas échappé aux producteurs d’Emily in Paris. Au croisement des rues Bréa et Vavin, une bohème intellectuelle y a fait souche. Le quartier a son histoire : jadis lieu de cabaret, l’arrivée des comédiens, intellectuels ou universitaires l’a fait gagner en valeur et l’a rendu unique : on peut y croiser un maoïste devenu éditeur de poésie voisin d’un journaliste économique, d’un ancien haut fonctionnaire et d’une amicale Charles Péguy.

Rive gauche, à Paris, adieu mon pays…

Ici, l’immobilier frise les 20 000 euros du mètre carré. Les enfants font souvent leur scolarité à Stanislas ou Henri IV. Le charme discret de la bourgeoisie façon Éric Rohmer… qui pourrait être bientôt ternie par le bruit et l’odeur des livreurs à 6h du matin ! Il fallait oser : une supérette Carrefour City, ouverte de 6h à 22h, avec tout ce que cela implique de mendiants et de lycéens dévoreurs de PastaBox, au rez-de-chaussée d’un immeuble signé de l’architecte Henri Sauvage.


Déjà, il y a vingt-cinq ans, Alain Souchon chantait: «Les marchands malappris/Qui ailleurs ont déjà tout pris/Viennent vendre leurs habits en librairie». Aujourd’hui, c’est un magasin de jouets Oxybul qui fait les frais de ce grand remplacement commercial. Un choc, une offense pour le terroir germanopratin ! Assez pour que la bohème chic sorte les fourches et déclenche une micro-insurrection d’élégance. Lancée par Bruno Segré, ex-journaliste économique, une pétition s’opposant à la supérette a fait le tour du quartier. La liste des signataires ? Presque un casting à la Ardisson années 90 : chanteurs anarchistes ou actrices embarqués aux côtés d’académiciens et d’écrivains conservateurs… tous réunis dans une improbable convergence des luttes.

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Dans cet ancien fief janséniste, foyer des frondes parlementaires sous l’Ancien Régime, on se mobilise comme on milite : en chuchotant. Quelques-uns se défendent d’avoir signé toute pétition, à l’image de Pierre Richard, flottant en artiste au-dessus des contingences : « Je ne sais même pas ce que c’est, un Carrefour City ».

Il se dégage/ Des cartons d’emballage

« On a bien abordé le sujet une fois au magasin, oui… » nous confie la commerçante de primeurs, « mais vous aurez du mal à trouver quelqu’un pour en parler ». Dans le VIème, au beau milieu du mois de juillet, à peu près tout le monde est déjà à la Baule ou à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Il ne reste que les salariés d’astreinte, ce dimanche, lesquels évidemment, n’habitent pas les lieux. « On en parlait pendant la brocante, certains voulaient afficher la pétition, dans le commerce » nous confie le primeur. « Vous aurez du mal à trouver des gens pour être franchement contre », nous confie un tavernier qui parle « de tabou ». « Ah c’est sûr que c’est sans doute moins charmant d’avoir un Carrefour City qu’un vieux magasin de jouets… » lance débonnaire le client d’un bar.

La démarche des pétitionnaires n’a pas été comprise. On peut même dire que l’effet sur l’opinion a été désastreux. Les chroniqueurs sur LCI et CNews ont épousé la vague populiste et se sont rangés du côté des rieurs qui se moquent de cette révolte en tweed. « Les clodos, c’est universel ! Je ne comprends pas bien l’origine de cette opposition », nous dit cette serveuse d’un lieu culturel à proximité. Elle-même vient du XIXème arrondissement, « haut lieu du crack ». « En même temps, les habitants du VIème sont peut-être simplement attachés à leurs commerces de proximité », nuance son collègue. Des commerces de proximité ? Rue Vavin, il y en a. Un vendeur de mocassins avec une affiche « à céder » sur la devanture, et quelques primeurs donc. Pour le reste, tout est franchisé. Les Franprix, les boulangeries, les glaciers, la lingerie, le très bourgeois magasin de prêt à porter Armor Lux et les aussi peu comestibles qu’esthétiques Subway et O Tacos… et un détail qui dit tout : un coiffeur criard décoré façon Spiderman avec vitrophanie bleu électrique et sièges en skaï ! La défaite de la permanente après la défaite de la pensée…

Plus de touristes ploucs que de membres de l’intelligentsia en ce dimanche…

Difficile de croiser des riverains dans ces rues où déambule surtout le contingent du tourisme international en sac de randonnée urbaine, avec short, débardeur et tatouages. Les ploucs sont partout ! Et les bourges saturent, eux qui voyaient ce quartier comme un refuge bohème associant les vieux propriétaires parisiens aux figures émergentes de la culture et du journalisme. Selon le maire LR Jean-Pierre Lecoq, peu soucieux de son avenir électoral dans le quartier, il est normal que ces privilégiés à qui le personnel fait les courses, goûte à la vraie vie : « Un village d’enfants gâtés qui croient que tout leur appartient (…) une grande partie des pétitionnaires ont bossé ou bossent dans la finance. Ils ont contribué à financiariser l’économie et donc tuer les commerces de proximité les moins rentables1 ». « Il y a également un Carrefour 30 m plus loin, ça n’a pas attiré de voyous ou empêché le quartier de vivre, que je sache » assure un restaurateur. On peut se demander d’ailleurs pourquoi multiplier autant de supérettes dans un si petit périmètre. Pourtant, « c’est de la pure logique économique » nous assure-t-on. Et les riverains pétitionnaires seraient un peu moins nantis que ne le pensent les roturiers que cette révolte bourgeoise indigne. « Ces gens ont moins d’argent qu’on ne le pense. Le prix de l’immobilier s’y négocie à 20 000 € ou 30 000 € le mètre et ces gens qui héritent souvent de biens mobiliers ont certes du bien mais ils ne rivalisent pas avec les fortunes internationales » assure un connaisseur du quartier. « Ils n’ont même pas 30 € à mettre dans un déjeuner » peste la cuisinière. Et si c’était le vrai souci ? ce quartier, gentrifié depuis longtemps par la bourgeoisie française, l’est aujourd’hui par l’aristocratie financière internationale. Ce sont les franchises et les investisseurs internationaux – américains, qataris, ukrainiens – qui rachètent beaucoup de murs et fonds de commerces. Et les propriétaires d’appartements ou de magasins du coin préfèrent leur vendre à eux quand on leur propose les prix les plus attractifs.

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On fait des gorges chaudes sur ces nantis du VIème adeptes du NIMBY (Not In My BackYard), comme s’il était absolument scandaleux que les riverains s’intéressent à l’évolution de leur quartier. Les médias étaient beaucoup plus indulgents avec les révoltes anti-gentrification à Londres2, hostiles à l’implantation de bars à céréales dans des quartiers jadis populaires. Les pétitionnaires ne sont certes pas les damnés de la terre. Leurs biens valent des millions, quand beaucoup d’entre eux hésiteraient à s’offrir une bouteille de pommard un samedi soir au bistrot du coin… Alors que faire ? Liquider l’appartement pour passer la retraite au vert, et vendre l’âme du quartier ? Beaucoup cèdent à la tentation, forcément. Sans pétition, ni micro, ni assemblée de copropriété, sans aucune conscience patrimoniale, les nouvelles fortunes du monde rachètent mur par mur le quartier… Le quartier a connu ses heures de gloire, mais désormais avec le Qatar, les fonds de pension immobiliers ou les géants de la distribution, le mauvais goût et les touristes en short auront le dernier mot ! Et ceux qui rêvaient encore de vivre aujourd’hui « le monde d’hier » avec un quartier à la Stefan Zweig se réveillent avec Spiderman…


  1. https://www.cnews.fr/videos/france/2025-07-20/cest-un-village-denfants-gates-qui-croient-que-tout-leur-appartient-une ↩︎
  2. https://www.franceinfo.fr/monde/europe/a-londres-un-bar-a-cereales-attaque-par-des-manifestants-anti-gentrication_1102465.html ↩︎




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