Stéphane Simon et Pierre Rehov ont signé il y a trois mois un essai sur la guerre secrète, alors impensable, que mène Israël depuis le 7-Octobre contre la « pieuvre » islamiste au Proche-Orient. Ils racontent pour Causeur le dernier chapitre de cette histoire: l’opération « Rising Lion ».
Le 26 juin, les spéculations autour de la mort d’Ali Khamenei – et dans un même souffle, de son fils Mojtaba – se sont répandues à une vitesse vertigineuse sur les réseaux sociaux et dans les milieux diplomatiques. Il se murmure alors que le guide suprême iranien pourrait avoir succombé à une crise cardiaque après un bombardement. Pour une grande partie de son peuple opprimé, et pour ses ennemis historiques, sa disparition ouvrirait la voie à une rupture politique sans précédent depuis la chute du shah. Las, la rumeur se dégonfle vite, avec la publication d’une vidéo où le vieux tyran apparaît essoufflé, récitant un communiqué de victoire auquel il ne doit pas croire lui-même.
Sang-froid
Cette vraie fausse « baraka » fait écho à la mort d’un autre ennemi juré d’Israël, Yahya Sinwar, le 16 octobre 2024, au premier jour de Soukkot. C’est à la fin de cette fête religieuse, un an plus tôt, que s’était déroulé le plus grand massacre de civils de toute l’histoire d’Israël, le 7 octobre 2023. Une coïncidence presque mystique, pour les Israéliens les plus portés sur la chose. Le chef du Hamas, cerveau de l’attaque, n’a pas été tué par une frappe ciblée ni par une unité d’élite, mais par une simple patrouille de jeunes soldats israéliens, à peine sortis de l’entraînement, qui a frappé une maison à Rafah, ignorant l’identité du terroriste qui s’y trouvait. Mais l’élimination de celui qui dirigeait de facto la bande de Gaza s’inscrit pleinement dans la logique israélienne de riposte, pensée dès les premières heures de l’horreur.
Car cette guerre n’est ni improvisée ni chaotique. Elle est structurée, pensée avec sang-froid, et menée avec une précision chirurgicale. Dès le 8 octobre, le commandement israélien a mis fin à la doctrine purement défensive héritée de ses premières guerres existentielles. Désormais, la doctrine de « défense offensive » est la norme du haut commandement militaire. En d’autres termes, l’État hébreu ne tolérera plus aucune force hostile à ses frontières, qu’il s’agisse d’un groupement terroriste ou d’une puissance étatique.
Ce revirement stratégique s’est traduit par une offensive conduite simultanément sur cinq fronts : Gaza, Liban, Syrie, Yémen et Iran. Alternant les bombardements massifs – comme ceux sur des entrepôts d’armement en Syrie ou les infrastructures houthistes à Sanaa et Hodeida – et les opérations clandestines destinées à décapiter l’état-major de l’« Axe de la résistance » – comme la fameuse opération « bipeurs » au Liban –, Israël a mobilisé l’ensemble de ses ressources militaires, technologiques et humaines.
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Ainsi la réduction de la redoutable armée du Hezbollah à une simple entité terroriste sans plus aucune envergure régionale a conduit à la fin du régime de Bachar Al-Assad à Damas. Et à Gaza, le Hamas a été saigné à blanc, ses tunnels détruits, sa chaîne de commandement désorganisée. Enfin, à la frontière libanaise, la dissuasion israélienne a retrouvé toute sa vigueur.
Malheureusement, à ce jour, plusieurs dizaines d’otages israéliens, parmi lesquels au moins 20 seraient encore en vie, n’ont toujours pas été libérés, malgré tous les moyens de pression de Tsahal et les tentatives de résolution par la voie diplomatique qui se sont heurtées à l’entêtement des derniers leaders du Hamas, sans aucun doute soutenus par le Qatar, fer de lance des Frères musulmans, et ce qui reste du commandement iranien.
Mais au-delà des armes, c’est l’innovation technologique et l’utilisation des espions qui ont fait la différence. Le travail des services secrets a encore été décisif dans la préparation de l’offensive sur le sol iranien de la nuit du 12 au 13 juin, car avant le survol des bombardiers F-15 israéliens, c’est le Mossad qui a permis de prendre le contrôle du ciel.
Base camouflée sur le sol iranien
Depuis 2015, Israël prépare discrètement une attaque de grande envergure face à la menace nucléaire iranienne et aux provocations répétées du régime des mollahs. Le Mossad, particulièrement bien infiltré à tous les niveaux de la société iranienne, avait localisé les centres névralgiques du programme nucléaire de Téhéran, identifié les membres-clés des Gardiens de la révolution et mis sur écoute les réseaux de communication ennemis. Encore plus incroyable, il a réalisé l’exploit d’entreposer un stock de drones au fil des ans dans la périphérie de Téhéran ! C’est à partir de cette base camouflée que se sont envolés, les 12 et 13 juin, ces engins volants furtifs pilotés à distance et capables d’anéantir les batteries anti-aériennes protégeant le territoire iranien et la capitale des avions israéliens.
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Résultat de l’attaque éclair : plusieurs bases des Pasdaran ont été touchées, notamment près d’Ispahan, de Natanz et de Parchin. Des installations souterraines liées à l’enrichissement d’uranium ont été sévèrement endommagées. Simultanément, le Mossad a fait exploser, grâce à une ligne téléphonique piégée, un QG des Gardiens de la révolution où étaient réunis pas moins de 30 hauts gradés iraniens. Plusieurs scientifiques nucléaires de haut niveau ont été éliminés, souvent à leur domicile. En vingt-quatre heures, Israël est parvenu à neutraliser une partie importante du commandement opérationnel iranien, à désorganiser sa défense antiaérienne et à paralyser plusieurs composantes de son programme nucléaire. Un choc total pour Téhéran, qui a riposté contre la population civile israélienne à grand renfort de missiles, causant 24 morts et des centaines de blessés.
Jamais Israël n’avait autant tiré parti de son avance en matière de renseignement humain ou électronique, de guerre cybernétique et d’intelligence artificielle militaire. L’État hébreu dispose de drones autonomes, d’armes à rayon laser, de satellites d’analyse comportementale et d’outils d’identification faciale en temps réel, qui permettent une efficacité sans précédent. Les hostilités se jouent dans les airs, sous terre et dans le cyberespace. Une guerre résolument du troisième millénaire alternant périodes « secrètes » et « ouvertes ».
Et si le « Nouveau Moyen-Orient », ce serpent de mer dont on nous parle depuis Shimon Peres, finissait par voir le jour à la faveur de ce terrible conflit ? Certes son accouchement promet d’être encore long. Mais il se murmure en ce début de mois de juillet qu’un arrêt des combats à Gaza est en préparation et qu’une extension des accords d’Abraham à plusieurs pays de la région, dont la Syrie, pourrait être annoncée plus vite qu’on ne le croit. Certains parlent même d’un « grand deal » entre les acteurs de la région. Si ces perspectives se concrétisaient, nous aurions la joie d’ajouter un chapitre dénué de sang et de larmes à notre ouvrage sur la lutte acharnée qu’Israël mène depuis bientôt deux ans contre ses ennemis existentiels.





