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Casta diva

"La Rivale" d'Éric-Emmanuel Schmitt / "Maria Callas" de Jean-Jacques Groleau


Casta diva
Maria Callas en 1952. DR.

Par le timbre de sa voix et la puissance de ses interprétations, Maria Callas a bouleversé l’art lyrique comme aucune autre chanteuse avant elle. Une biographie et un roman rendent hommage à cette femme qui a forgé son mythe.


Maria Callas a foulé les scènes les plus prestigieuses du monde. La Scala de Milan, le Metropolitan, à New York, Covent Garden, à Londres… Elle a été dirigée par les plus grands chefs d’orchestre – Giulini, Bernstein, Karajan –, a interprété les personnages les plus marquants du répertoire – Médée, Norma, Tosca –, mais est toujours restée profondément insatisfaite. Aussi n’a-t-elle cessé de travailler encore et toujours afin de s’améliorer. « Je ne crois pas avec Descartes, disait-elle, “je pense, donc je suis”. Avec moi c’est : je travaille, donc je suis. » Jean-Jacques Groleau, qui a été directeur de l’administration artistique de plusieurs grandes institutions lyriques, raconte avec brio la vie et l’œuvre de celle que l’on surnommait« la Diva ». Sa biographie entre d’emblée dans le vif du sujet : « Pour reconnaissable qu’il ait été, le timbre de la Callas ne fut pas le plus beau, loin de là. Dès ses premiers succès, c’est au contraire l’étrangeté de sa voix qui fut régulièrement stigmatisée.[…] Et pourtant cette voix vous happait immanquablement. »

Aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie, Maria Callas est la seule soprano « assoluta » du siècle dernier. Elle commence le chant à 14 ans, poussée par une mère qui rêvait de devenir comédienne. Dans la vie, Maria est une jeune fille bien en chair avec un visage ingrat mais, dès qu’elle monte sur scène, elle irradie et saisit l’auditoire par la force et la justesse de ses intentions de jeu. À ses débuts, sa voix au timbre si particulier séduit autant qu’elle révulse, rappelle le biographe. « Au lieu de vivre avec elle un moment de “beau chant”, le public est saisi par une tragédienne qui semble incarner jusqu’au plus profond de ses entrailles les moindres inflexions de sa voix. Les vocalises ne sont jamais l’occasion de faire valoir sa technique ; tout fait sens. »

Cette capacité d’allier le chant à l’incarnation de ses personnages révolutionne l’art lyrique. Brillante, virtuose, aussi à l’aise dans les tourbillons de vocalises que dans les suraigus, la Callas devient vite un phénomène vocal et musical unique. On se l’arrache dans le monde entier mais cela ne semble pas l’apaiser. Après avoir travaillé sa voix sans relâche, elle focalise son obsession sur son corps qu’elle dompte avec la même détermination farouche. Et la jeune femme ne cesse de maigrir jusqu’à obtenir la silhouette qu’elle imagine correspondre le mieux aux personnages qu’elle doit incarner. D’aucuns affirment que cette cure d’amaigrissement a un lien direct avec son déclin vocal. Peut-être. Les années 1955-1956 correspondent en effet à un ralentissement de son activité. Maria prend conscience que sa voix se refuse de plus en plus souvent à elle. Si elle se produit de moins en moins, elle devient, depuis qu’elle affiche une taille mannequin, la cible favorite des paparazzis. C’est à cette même époque qu’elle s’éloigne de son mari, Giovanni Battista Menneghini, pour se rapprocher de l’armateur grec Aristote Onassis. Leur liaison durera jusqu’à ce qu’il rencontre – et lui préfère – Jackie Kennedy.

Le 2 janvier 1958, à Rome, jour de la première de Norma, au milieu de l’acte I, l’impensable se produit : Maria Callas perd sa voix. La suite de la représentation est annulée. C’est le début de la fin.

Blessée et profondément bouleversée, la Diva ne donne plus, dès lors, que quelques représentations espacées. Notons celle, inoubliable, du 19 décembre 1958, où elle chante pour la première fois sur la scène de l’Opéra de Paris. Le succès est au rendez-vous et lui fait oublier sa mésaventure romaine. « Les Français, dira-t-elle, ont été les seuls à essayer de comprendre ce qui m’était arrivé. »Malgré ce triomphe, Maria désire privilégier sa vie intime. Mais enfermée dans le personnage qu’elle a elle-même créé, elle fait les choux gras de la presse à sensation qui contribue à faire d’elle une icône.

C’est cette statue patiemment élevée qu’Éric-Emmanuel Schmitt prend un malin plaisir à déboulonner dans son roman La Rivale. Par le biais de la fiction, il donne la parole à l’une des plus grandes rivales de la Callas. Non pas Renata Tebaldi, bien connue des amateurs, mais Carlotta Berlumi, personnage burlesque sorti tout droit de son imagination. La vieille dame, qui a survécu à la Callas, soutient mordicus avoir elle aussi connu son heure de gloire à la Scala. Elle raconte à un jeune homme passionné d’opéra ce qu’a été sa vie, toujours empêchée par celle de sa rivale,« cette grosse Grecque avec ses lunettes de myope, mal fagotée, boutonnée, boudinée, flanquée d’un mari sénile. » Le ton est donné et la mauvaise foi de rigueur. Tout est parfaitement exact, mais raconté du point de vue d’une vieille femme d’une jalousie maladive :« Callas ? Ça ne durera pas ! Vous verrez : bientôt plus personne n’en parlera », ne cesse de répéter cette dernière comme pour mieux s’en persuader. Hélas, pour la cantatrice oubliée de tous,« les événements donnèrent tort à cette prédiction : la renommée de la Callas se développait, excédant désormais celle d’une chanteuse lyrique, égale à celle d’une star de cinéma dont on commente les robes, les coiffures et les caprices ». Éric-Emmanuel Schmitt ne revient pas sans raison sur la myopie de Maria Callas. Celle-ci était telle que la chanteuse voyait à peine le chef d’orchestre et était obligée, pour compenser, de connaître sur le bout des doigts la direction orchestrale. Un perfectionnisme que ses détracteurs ne manquèrent jamais de mentionner. Roman cocasse et malicieux, La Rivale dessine par petites touches le portrait en creux d’une Callas méconnue. Celle que Maria a mis des années à faire oublier. Celle de cette jeune femme myope et boulotte qui, à force de volonté, est devenue la sylphide que l’on sait.

Adulée dans le monde entier, La Callas fait ses adieux à l’opéra avec un dernier triomphe dans Tosca, à Londres, en juillet 1965. Elle meurt seule, le 16 septembre 1977, dans son appartement parisien.


À lire :
Éric-Emmanuel Schmitt, La Rivale, Albin Michel, 2023.

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Jean-Jacques Groleau (préf. André Tubeuf), Maria Callas, Actes Sud, 2023.

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Mars 2024 – Causeur #121

Article extrait du Magazine Causeur




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Alexandra Lemasson est critique littéraire. Elle collabore au JDD et à la Revue des deux mondes. Elle est l'auteur de : Virginia Woolf aux Editions Gallimard et La petite folie aux Editions Léo Scheer.

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