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Ne pleure pas, Babeth!

Le Premier ministre doit-il se cacher pour pleurer?


Ne pleure pas, Babeth!
Le Premier ministre Elisabeth Borne, 18 mars 2023, Paris © RAPHAEL LAFARGUE / POOL/SIPA

Par la voix de son ministre du Travail, Elisabeth Borne a vite démenti avoir versé des larmes après l’annonce du 49-3. À contre courant de la mode lacrymale très actuelle.


À l’image du pays, les députés français sont ingérables depuis le lancement jupitérien de la réforme des retraites. Jeudi 16 mars, le Premier ministre, Elisabeth Borne, aurait versé quelques larmes à la sortie de l’hémicycle, après un discours annonçant le recours obligé à l’article 49-3 devant une Assemblée nationale déchainée.

Une empathie de courte durée

Ces larmes, inattendues de la part d’une femme à qui l’on reproche son manque d’empathie, l’ont brusquement rendue humaine. Elisabeth Borne, connue pour préparer minutieusement ses dossiers, s’est engagée en « bon petit soldat », perchée sur une falaise de verre [1], assumant d’être le « fusible » de cette réforme. Laisser ses émotions poindre est un outil puissant de communication. Si ses larmes sont dues à la tristesse, cela favorise la réconciliation. Si elles sont dues à de la frustration, elles seraient légitimes.  

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Mais patatras ! Ce potentiel capital sympathie généré par les larmes d’Elisabeth Borne est aussitôt effacé.

Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, donne rapidement à la presse une explication: «Non, la Première ministre ne pleure pas ». Et il rassure : « Mais vous savez, la Première ministre est solide » [2].

Un ministre du Travail assez vieux jeu

C’est donc de cela dont il s’agit ? De « solidité » ? Barack Obama, Theresa May ou même Elizabeth II, qui n’ont pas retenu leurs larmes en public, n’étaient pas solides, alors ? À la décharge du malheureux Olivier Dussopt, il persiste en France une méfiance à l’égard des émotions, depuis le très cartésien Descartes et le siècle des Lumières. Sont depuis cette époque en toutes circonstances privilégiées la raison et la science, la séparation de l’esprit et du corps, la supériorité du raisonnement sur tout le reste… Aujourd’hui, les neurosciences démontrent pourtant que « ressentir des émotions est indispensable à la mise en œuvre de comportements rationnels » [3]. En management, les émotions permettraient la mise en mouvement des collaborateurs, et même à un leader d’embarquer ses équipes et de dénouer les situations inextricables…  

L’entourage d’Elisabeth Borne s’est montré soucieux de ne pas laisser soupçonner une quelconque « faiblesse », dans l’épreuve de force terrible du 49-3. Dommage: l’occasion était pourtant belle pour le leadership d’Elisabeth Borne de s’incarner. C’est presque à pleurer…


[1] Dans le monde de l’entreprise, la falaise de verre consiste à nommer des femmes en dernier recours à des postes dans des situations désespérées.

[2] Interview d’Olivier Dussopt, sur BFMTV le 17 mars 2023

[3] Voir l’ouvrage L’erreur de Descartes, par Antonio R.Damasio, Odile Jacob, 2006.



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Diplômée de Sciences Po Paris en économie finance, DESS Finance de marchés de capitaux. Auteure chez Eyrolles (Décider ça se travaille ! On ne naît pas bon décideur, on le devient, 2019)

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