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Mourir à Marseille


Mourir à Marseille

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En France, l’été est meurtrier, particulièrement à Marseille. Trois jeunes hommes sont morts de mort violente en quelques semaines. Le 9 août, un étudiant est égorgé, probablement pour un téléphone portable. Le 18 août, c’est un petit voyou qui meurt de ses blessures après une « rixe », comme on dit dans les journaux, l’opposant à d’autres petits voyous à la sortie d’une boîte de nuit. Agresseurs qui avaient d’ailleurs continué d’agresser en allant se faire soigner à l’hôpital où ils ont blessé, toujours à l’arme blanche, un infirmier des urgences. Pour finir, le lendemain, 19 août, c’est un jeune homme de 25 ans qui est abattu de plusieurs balles de 9mm dans le quartier de l’Estaque pourtant plus connu pour sa douceur de vivre ouvrière façon Marius et Jeannette que comme annexe du Chicago. Lui aussi n’était pas un « inconnu des services de police », comme on dit encore dans les journaux, puisqu’il s’agissait d’un règlement de comptes.

L’émotion est vive, bien entendu. On envoie des excellences et quelques moyens. On débattra de la nécessité du tout-répressif, du tout-préventif ou d’un mélange intelligent des deux. La droite – qui sait par infusion de la Grâce ce qu’est la sécurité, même quand elle supprimait des postes de policiers à la pelle au nom de la RGPP – attaquera la gauche pour angélisme quand bien même Valls et sa rhétorique sarkozyste font plus penser à Jules Moch qu’à Saint François d’Assise[1. Je me souviens d’un temps pas si lointain où la droite fustigeait « l’angélisme » de Jospin. Aujourd’hui, Valls critique reprend les mêmes mots pour critiquer l’inefficacité du maire UMP de Marseille. Ce dernier se dit « stupéfait » de ces procès en laxisme, dont la droite est d’habitude si friande. Bref, le scénario est écrit d’avance…].

Mais j’ai l’impression que d’autres choses, plus profondément enfouies dans ces faits divers, interrogent de manière différente qui veut s’en donner la peine.

La jeunesse des victimes, la concentration dans la même ville, et sans doute plus diffuse mais prégnante, l’impression d’absurdité de voir la mort honorer de tels  rendez-vous alors que c’est l’été radieux, que la grande bleue est là et que tout devrait inciter, au contraire, à une sorte d’utopie balnéaire. On pourra relire à ce propos les pages d’Albert Camus sur L’été à Alger dans Noces : « à Alger, pour qui est jeune et vivant, tout est refuge et prétextes à triomphes : la baie, le soleil, les jeux en rouge et blanc des terrasses vers la mer, les fleurs et les stades, les filles aux jambes fraîches. » Ce n’était pas il y a mille ans, c’est en 1950, dans une ville où la Casbah de Pépé le Moko valait bien les Quartiers Nord de Marseille.

Et puis, en plus, on se tue et on tue pour des motifs dérisoires. On dirait que la hiérarchie des sanctions mises en place par la société qui d’ailleurs refuse désormais d’appliquer la peine de mort n’a plus cours chez les délinquants et les criminels qui forment une contre-société, un double en négatif de la nôtre. Il y eut un temps où elle avait aussi, cette contre-société, des règles et des lois à elle, des gradations dans les sanctions. Il ne s’agit pas de mythifier un quelconque âge d’or de la truanderie, spécialité bien française, qui aurait eu son code de l’honneur et autre billevesées. Un maquereau, un dealer ou un braqueur même idéalisés sous les traits de Bernard Blier, Lino Ventura ou Jean Gabin dans un film de Jacques Becker restaient des maquereaux, des dealers et des braqueurs. Mais, tout de même, ils ne défouraillaient pas pour un rien.

Il faut croire que le crime qui sera toujours présent dans la plus idéale des sociétés ressemble en fait à cette société. Une société en bonne santé a un crime en bonne santé. Entendons-nous bien, un crime en bonne santé reste criminel mais ne sombre pas dans la sauvagerie dérégulée. Et une société en mauvaise santé, sans repère, dévastée par des plaies économiques de plus en plus suppurantes aura un crime en mauvaise santé qui lui renverra un reflet d’elle-même particulièrement désagréable.

Motifs dérisoires à ces crimes, disions-nous. Oui, mais il y a encore des motifs. Ce n’est déjà plus le cas aux USA qu’il ne faut jamais regarder comme un voisin dans l’espace mais comme notre futur de plus en plus immédiat. Dans la ville de Duncan, en Oklahoma (là on n’est plus chez Albert Simonin, mais chez Jim Thompson, le Céline américain), deux adolescents de 15 et 16 ans, dans une voiture conduite par un troisième de 17 ans ont tué un jogger australien de 22 ans en vacances chez sa petite amie en lui tirant dans le dos.

La déclaration du chef de la police de Duncan, après cette mort, nous promet de beaux jours qui feront paraître Marseille presque aimable : « Ils s’ennuyaient et voulaient simplement tuer quelqu’un. »

*Photo : Banlieue 13.



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