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Parler pour ne rien dire

Le président Macron est sorti de son silence hier, mais pas de l’ornière politique dans laquelle il est bloqué


Parler pour ne rien dire
Allocution télévisée d'Emmanuel Macron le 22 juin 2022 © Jacques Witt/SIPA

Lors de sa prise de parole à la télévision, hier soir, à 20 heures, le président Macron a reconnu que «la majorité présidentielle est en effet relative». Mais, alors qu’un gouvernement d’union élargie est exclu, et que les LR se refusent à jouer la variable d’ajustement, il n’est pas parvenu à convaincre les Français qu’il n’était pas contraint à l’immobilisme. «Vous avez fait des choix clairs, ma responsabilité est de les faire vivre» a-t-il énigmatiquement avancé. Dans les prochaines semaines, les chroniqueurs politiques ne devraient pas s’ennuyer!


Il y avait de quoi s’interroger en attendant l’allocution présidentielle. Qu’allait bien pouvoir dire un président à qui les électeurs viennent de mettre un énorme camouflet au point qu’à peine réélu, le pays lui montre toute sa défiance en restreignant sa capacité à gouverner ? Qu’avait donc de si urgent à nous dire le président, alors qu’un sondage venait de révéler ce dont toute la classe politique se doutait: les Français ne veulent pas d’une union sacrée, ils veulent que loi par loi le président ait à chercher une majorité et soit obligé de faire des compromis car ils n’ont confiance ni dans son projet ni dans sa personne.

Une allocution plus courte que ce à quoi il nous avait habitués

De crises en crises, Emmanuel Macron a usé et abusé des grandes figures de la manipulation politique. De la fausse contrition de l’arrogant qui redécouvre la valeur de l’humilité, aux excuses sirupeuses du privilégié qui aimerait faire oublier son mépris de classe, ce jeune président provocateur nous a habitués à faire profil bas pour aussitôt retomber dans la morgue. Hier soir, c’est la comédie de l’autocrate qui redécouvre les valeurs du dialogue qui nous a été jouée. Le problème c’est que le coup de l’épreuve qui grandit les hommes et force au changement collectif a déjà été fait avec les gilets jaunes et le covid. A la fin, une fois que le vent du boulet a séché ses mèches, notre jeune président retombe toujours dans les mêmes ornières et retrouve ce mépris du peuple qui signe le technocrate. Il faut reconnaître néanmoins que l’exercice médiatique n’est pas facile, quand on ne contrôle plus rien et quand on veut quand même apparaître au-dessus de la mêlée.

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Sur ce point l’exercice n’a pas été convaincant. Il fallait oser commencer cette allocution en mettant en avant l’élection présidentielle comme la marque d’un renouvellement de confiance, alors que les législatives ont montré que c’était en grande partie un choix par défaut. On est au tout début de cette prise de parole et déjà l’agacement pointe.

Une crise de légitimité?

Il faut reconnaître que les conditions de la prise de parole étaient difficiles, et que le champ des postures était limité: Emmanuel Macron n’a pas grand chose à dire, si ce n’est reconnaître qu’il ne peut plus contrôler le parlement et faire voter ses lois sans l’apport d’une aide extérieure. Alors, comme toute personne dépassée par les circonstances, il cherche à en imposer et à se rassurer. Et ce faisant il montre encore plus combien le roi est nu. La mise en avant de sa réélection et l’insistance sur sa légitimité dit justement que cette légitimité est contestable. L’élection est parfaitement légale, il n’y a pas de doute là-dessus, mais la légitimité est la mesure de ce lien de confiance qui unit le représentant aux électeurs, de sa capacité à les mettre en mouvement et à leur faire partager ses objectifs. La légitimité, c’est le cœur de la représentation. Ce n’est pas juridique mais purement politique. Elle se dit rarement car elle va de soi ou pas. Insister sur son existence, c’est souvent avouer qu’elle est faible. Après une telle claque, quand on n’a toujours aucune ligne politique claire à dessiner, il ne reste qu’une solution: transformer le désaveu en future accusation d’irresponsabilité à l’égard de son opposition.

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C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre certaines phrases particulièrement absconses qui ont émaillé ce discours: « II faudra clarifier dans les prochains jours la part de responsabilité et de coopération que les différentes formations à l’Assemblée nationale sont prêtes à prendre » ou encore « Pour avancer utilement, il revient maintenant aux groupes politiques de dire en toute transparence jusqu’où ils sont prêts à aller ». Les tournures sont révélatrices de la manipulation qu’elles contiennent et d’une forme d’irresponsabilité inquiétante. Ce n’est pas à l’opposition de dire ce qu’elle veut mais au président. Parce qu’il a perdu, Macron n’est plus un arbitre, il n’en a pas les moyens, il doit chercher le compromis et c’est sa responsabilité que de le trouver. Or aussi courte qu’ait été l’intervention du président, elle est restée très floue. Incapable de donner un quelconque sens ou une quelconque densité aux interrogations des Français qu’il dit percevoir sur le pouvoir d’achat, la sécurité, l’énergie, l’éducation ou l’écologie, il enchaîne les mots mais rien de tout cela ne dessine un avenir, une direction ou un horizon. L’homme essaie de ressortir la martingale du « dépassement politique ». Le retour du « ni droite du gauche » ? A moins que ce ne soit le « et droite et gauche » ? On ne sait pas, on ne sait plus et visiblement lui non plus ! Ce qui est sûr, c’est que cette référence à la « grande histoire » macronienne de la conquête du pouvoir n’entre plus en résonance avec rien et ne réveille aucune mystique politique. C’est un flop symbolique.

À trop vouloir faire croire, contre toute évidence, que la gestion d’une situation qui exprime la défiance de Français à l’égard du pouvoir qu’il incarne, incombe aux oppositions, Emmanuel Macron apparaît comme un homme qui croit qu’une bonne communication peut lui permettre d’échapper au réel. C’est ce qui a fini par transformer son premier mandat en une forme de fuite en avant, c’est ce qui risque de faire du second un chemin de croix.



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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