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La preuve par Rubens


La preuve par Rubens

rubens philippe muray 27 septembre 1987 | La maison de Rubens, façade hollandaise, palais italien à l’intérieur. Pays-Bas dehors, Italie dedans. Nord externe, Sud interne. Tout vient de Rubens. Tout commence à Rubens. Rubens causa prima. […] Je dois écrire un petit livre sur lui, pas plus de deux cents pages.
29 septembre 1987 | Rubens : comme toujours mes modèles doivent être Nietzsche, Michelet, Malraux, Céline. Le grand style de la narration par la pensée en flammes. Je peux (je dois) me payer le luxe d’intervenir en personne. […] J’ai donc maintenant un troisième sommet à monter, celui de l’essai d’art. J’ai à faire parler et penser cette pulsion qui a failli faire de moi un peintre, quand j’avais entre douze et dix-sept ans.
6 octobre 1987 | Qu’est-ce qu’être abondant dans un monde petit, avare, parcimonieux ? Qu’est-ce qu’être un artiste joyeux, coloré, bondissant, dans l’univers d’art qui s’est ouvert après les carrés blancs sur fond blanc ? Voilà quelques interrogations qui concernent Rubens. Qu’est-ce que parler d’un grand artiste, alors qu’il y a encore des gens, des peintres, des « plasticiens », qui s’appellent artistes, qui osent se qualifier ainsi parce qu’ils ne savent tout simplement rien faire d’autre, qu’il y a un « marché », que leur arrogance égale leur absence de talent et leur paresse, qu’ils auraient mieux fait de rester dans leurs banlieues et dans leurs fermes, et que nous vivons dans un univers où l’un des mots d’ordre démagogiques est que tout le monde peut (doit) devenir un artiste (parce que tout le monde a en soi, etc.) ?…[access capability= »lire_inedits »]
 26 octobre 1988 | Un mois que je travaille sur mon Rubens. Qu’est-ce que j’ai trouvé ? Que l’idée de cet essai doit être un éloge de la non-culpabilité. La non-culpabilité mise en images par Rubens. Le baroque contre les guildes (associations-lobbies). La chair contre la Vertu. La métaphore ou le déguisement contre l’authentique. La surcharge contre la transparence (glastnost). L’équivoque, la dissimulation contre la Vérité du Vécu.
L’appétit contre la règle fixe. Devons-nous admettre que la souffrance soit une meilleure preuve de la vérité que le bonheur ? Ou la pulsion de mort le seul critère de l’authentique ? Ou l’artiste inachevé, avec son seul paquet de fragments, le seul possible (parce que le seul qui ressemble à tout un chacun) ? Ou le cri, la plainte, les seules preuves de soi (de quoi ?) ? Comme autrefois le macabre, les sorcières ?… En voulons-nous à Rubens de n’avoir pas été sourd comme Goya, suicidé de la société comme Van Gogh, ruiné à la fin comme Rembrandt, susceptible de calomnies comme Baudelaire (impuissant !!!), suspect (mais positivement) d’homosexualité comme (mille noms) ? En voulons-nous à Rubens d’avoir eu horreur du vide, du néant, du manque, etc. ? De ne pas avoir été malade ? De ne pas avoir laissé le tourment de vivre, lui, à sa place à lui ? D’être sans spiritualité (alors que Rembrandt…) ? Sans dettes (R. de nouveau) ? Sans sorcières comme Goya, Hals, etc. ? De ne pas avoir connu le conflit, la discorde – le procès ? De crever le mur (trompe-l’oeil) ? De tordre la colonne (baroque) ?
9 mars 1990 | La Gloire de Rubens : dans quelle mesure, à quel prix et jusqu’où est-il possible de tenir un discours qui ne doive rien aux valeurs des temps modernes ?
28 décembre 1990 | Il faut pousser la haine de son siècle, jusqu’à ne partager aucun de ses goûts sexuels. Sinon, rien de fait. En ce sens, mon éloge des « grosses femmes » de Rubens est essentiel.
1 mars 1991 | Hier et aujourd’hui, correction épreuves Rubens. Je ne parle d’art que parce que j’ai réussi à identifier l’art aux femmes et les femmes à l’art. Je juge les tableaux comme je juge les femmes, je les prends et j’en jouis comme il m’arrive de les prendre, elles, et d’en jouir. De la même façon aussi, je les oublie. Le Beau est une femme, sinon il n’est rien (justification sexuelle du fait qu’il ne peut, comme on sait, y avoir de définition objective du Beau). Le Beau a toujours été une femme, quels que soient les prétextes idéalistes ou spiritualistes invoqués par les conceptions d’art successives en usage dans la civilisation. C’est pour représenter des femmes, des « Vénus », que le réalisme a été inventé, qu’un système de représentation mentale de plus en plus raffiné a été élaboré. Je vais à l’art par bouffées. Je ne peux aller à l’art que par bouffées. Je vais, je monte, je désire. […] Et, de même que l’« idéal féminin » c’est toujours une fille aussi belle qu’intelligente, de même, en art, l’idéal c’est de la peinture aussi belle qu’intelligente.[/access]

*Photo: Wikipedia commons.

Mai 2013 #2

Article extrait du Magazine Causeur



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Philippe Muray, écrivain, est mort le 2 mars 2006 d’un cancer du poumon, échappant de peu à la prohibition inaugurée ce 2 janvier. Ce texte, reproduit avec l’aimable autorisation de son épouse Anne Séfrioui et des éditions Mille et Une Nuits, prouve qu’il vit encore.

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