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La double vie d’Angela Merkel

Les deux visages de la "dame de fer au grand coeur"


La double vie d’Angela Merkel
Angela Merkel en conférence de presse le 28 octobre 2020 à Berlin. © Action Press/Shutterstock/SIPA, Numéro de reportage : Shutterstock40801674_000004

La chancelière allemande est un véritable animal politique avec deux personnalités. Celle d’une femme qui ne transige pas avec ses valeurs, et celle d’une dirigeante pragmatique qui défend coûte que coûte les intérêts allemands. Portrait.


À la fin du mois de septembre dernier, alors que Recep Tayyip Erdogan défiait la Grèce en mer Méditerranée, que l’Azerbaïdjan et l’Arménie s’enfonçaient dans une guerre de plus en plus meurtrière et que l’Union Européenne s’était retrouvée devant la menace de deux de ses états-membres, la Hongrie et la Pologne, de bloquer la ratification du plan de sauvetage économique à 750 milliards d’euros, Angela Merkel s’est précipitée au chevet du célèbre youtubeur et opposant politique russe Alexeï Navalny. Qui se remettait dans un hôpital berlinois après le terrible empoissonnement présumé des services secrets de son pays.

Cette rencontre privée, loin des caméras et en dépit des crises politiques majeures avec un citoyen russe qui irrite au plus grand point l’un de ses partenaires principaux sur la scène internationale résume parfaitement la personnalité de la chancelière allemande. Plus précisément sa double personnalité. Celle qui lui a valu le surnom de « la dame de fer au grand cœur » par les journalistes. Celle qui a fait d’elle, depuis quinze ans déjà, la femme la plus puissante de la planète et très probablement, LA personnalité politique de ce début de 21ème siècle.

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Née à Hambourg, elle a grandi dans une banlieue de Berlin-Est. Petite-fille d’un émigré polonais catholique converti au protestantisme et fille d’un pasteur qui travaillait dans un pays communiste, la jeune Angela Kasner n’avait pas d’autre choix que de développer très tôt un double cerveau. L’un pour sa famille dont une partie continuait vivre de l’autre côté  du mur, l’autre pour le régime de son pays et la Stasi, le service secret de RDA, qui ne pouvait pas rester indifférent à l’histoire de cette famille.

L’Allemagne réunifiée avait besoin d’un leader politique qui connaissait l’Est et l’Ouest

Le jour de la chute du mur de Berlin, elle est allée au sauna avec une amie, comme à son habitude tous les jeudis soir. Il en aurait fallu beaucoup plus pour impressionner la physicienne, passionnée par la langue russe et Dostoïevski. Et puis elle s’est lancée en politique dans l’Allemagne réunifiée, mais méfiante de ses deux moitiés, séparées depuis plusieurs décennies. Le pays avait besoin de quelqu’un comme Merkel et sa dualité culturelle pour que les Ossis et Wessis puissent se reconnaitre les uns les autres. Faut-il s’étonner que durant les longues années de son mandat au sommet du pouvoir, la chef des démocrates-chrétiens se soit trouvée à gouverner à la tête d’une coalition avec ses rivaux politiques les plus virulents ?

Sa posture de maitresse d’école qui ne hausse jamais la voix et use de son autorité naturelle pour imposer ses points de vue (et distribuer les bonnes et les mauvaises notes) lui permet de ne pas uniquement faire la loi dans son pays, mais également d’assurer le leadership sur la scène européenne et dans la relation avec les premières puissances mondiales. Mais derrière Angela l’infatigable défenseuse des Droits de l’Homme et de la rigueur budgétaire, se cache Merkel l’animal politique hors pair, capable du pragmatisme et d’indulgence vis avis des régimes les plus autoritaires. Chaque fois que les intérêts de son pays et sa réussite politique sont en jeu.

Pragmatique dans les relations internationales

L’ex-président des Etats-Unis Barack Obama l’a qualifié  d’ «une partenaire extraordinaire », « prête à se battre pour ses valeurs ». Merkel en effet a été d’une loyauté précieuse à l’égard du président américain grand promoteur de la politique de libre-échange et des valeurs progressistes. Lequel a loué la gestion exemplaire de la chancelière de la crise des réfugiés syriens accueillis généreusement sur le sol allemand, et a bien profité de son soutien pour imposer de lourdes sanctions à la Russie après l’annexion par celle-ci de la Crimée en 2014. Pendant ce temps Merkel a surtout veillé à l’évolution de son excédent commercial aux États-Unis et dans le monde entier. En 2016, la dernière année du règne d’Obama, cet indicateur a atteint le record historique de 252,9 milliard d’euros.

Et quand Donald Trump découvre furieux ce bilan comptable, inacceptable à ses yeux pour l’Amérique, Merkel ne s’éternise pas pour attendre les contre-mesures du président-protectionniste et se tourne vers la Chine et la Russie. Pour bien équilibrer les éventuelles pertes économiques sur le front américain.

En 2019 Merkel pense déjà au deuxième semestre de l’année 2020, celui de la présidence de l’Allemagne au Conseil de l’Union Européenne pour signer un accord stratégique sur les investissements (CAI) entre l’UE et la Chine. La vague de pandémie importée entretemps par l’éventuel partenaire asiatique aurait pu brouiller cette perspective. Certains pays européens dont la France ont même annoncé l’arrêt progressif de la coopération avec Huawei sur la 5G. Pas Merkel. Et surtout, les discussions sur le grand accord se poursuivent et l’objectif de sa signature avant la fin de cette année reste valable.

Angela « la Russe » prend le soin de rétablir la bonne entente avec son vieux compagnon de route Vladimir Poutine. En 2018, les deux chefs d’états se sont engagés dans un partenariat historique sur la construction du gazoduc Nord Stream 2. Celui-ci laissera à la Russie fournir 40% du gaz consommé en Allemagne. Une dépendance qui ressemble bien à une promesse de fidélité faite dans une salle de mariage.

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D’ailleurs, Alexeï Navalny n’était pas encore sorti du coma quand Merkel a porté une précision importante : son gouvernement a bien l’intention d’achever la construction du nouveau gazoduc avec le pouvoir russe. L’opposition social-démocrate n’a pas trop contesté cette annonce. L’Allemagne a ce luxe d’avoir deux chancelières pour le prix d’une.



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est directeur marketing chez Orange. Son livre « L'Homo Globalis Numericus » est paru au début de l’année aux Editions du Panthéon.

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