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Esprit de Noël, es-tu là?


Esprit de Noël, es-tu là?
Acte V des Gilets jaunes, Marseille, décembre 2018. SIPA/ GILLES BADER. Numéro de reportage : 00888312_000012

Au terme d’une année de Gilets jaunes, (re)lisons l’historien des couleurs Michel Pastoureau qui vient de publier le beau livre Le jaune (Editions du Seuil).


Les Français ont la passion de l’histoire. La grande et la petite. On se déchire sur le récit national. On écrit sur Napoléon. La correspondance des Poilus entre dans la littérature. Mais à côté de cette histoire, il y a l’histoire des sociétés. Et rien de tel que les couleurs pour nous la raconter. C’est ce que fait, depuis vingt ans, avec un art inégalé, Michel Pastoureau, historien et anthropologue éminents, dans ses livres sur les couleurs dont vient de sortir Le jaune aux éditions du Seuil.

Peur bleue, voir rouge, rire jaune

Pourquoi parler d’une histoire des couleurs ? C’est que si nous rêvons en noir et blanc, nous pensons, parlons et vivons en couleurs. Nous avons une peur bleue, nous voyons rouge, nous rions jaune. Certains broient du noir, d’autres ont le blues. Sur le stade, nos Bleus font des merveilles. En politique, nous agitons des chiffons rouges. Nos nuits sont blanches. Nous appelons le numéro vert. L’autorité est en noir ainsi que la mariée d’un film célèbre. Les couleurs structurant les contes sont symboliques : à la Pentecôte, le petit Chaperon a une robe rouge, très visible, son pot de crème est blanc, le loup est noir. Quant au drapeau national, son histoire mouvementée témoigne de la continuité de notre Histoire.

L’histoire des couleurs fait découvrir le commerce, la publicité, les sciences, la religion, la philosophie, les institutions, l’Europe. Telle la guerre, par exemple, des teinturiers du rouge et du bleu au Moyen Age, la concurrence commerciale du pastel et de l’indigo, avec les Antilles, liée à l’esclavage, au XVIIIème, l’exclusion, par Newton, du noir et du blanc, de l’axe coloré, le bleu consensuel des institutions européennes.

Le jaune est devenue couleur de Judas

Venons-en au jaune dont Pastoureau vient d’écrire l’histoire. Emblématique de l’ambivalence de toute couleur, sa symbolique est difficile à saisir et sans doute est-elle en train de changer. Chez les Anciens, c’était une couleur positive, signe de richesse et de fertilité. Au XVème siècle, elle devient négative : c’est la couleur de Judas et des faux-monnayeurs. Déjà le traître Ganelon était habillé de jaune. Les maris trompés sont de jaune vêtus. C’est l’étoile jaune de sinistre mémoire. Couleur infamante jusqu’à ce que les peintres de plein air et les impressionnistes, la lumière électrique, peut-être, changent la donne. Que l’on pense aux tournesols de Van Gogh. Au « petit pan de mur jaune » que Swann veut voir avant de mourir. Dans le sport, c’est « le maillot jaune » devenu le symbole du vainqueur lors même que le maillot jaune est rose comme en Italie. C’est le carton jaune du football. C’est le jaune du citron sur les bouteilles Perrier. C’est le soleil acide et plein de vie des desseins d’enfants.

A la fin du XIXème siècle, le jaune est la couleur des syndicats félons qui font le jeu du patronat à la différence des syndicats rouges qui roulent pour le peuple. Pastoureau dit avec humour son… inquiétude quand il a vu que les tracts du parti présidentiel, après le premier tour, étaient faits de papier jaune et que le camembert de LREM était en jaune !

« Attention au pouvoir d’achat ! Sauvons la France ! »

Esprit de Noël, es-tu là ? Le jaune, ce n’est pas l’or, la myrrhe et l’encens. Mais il ne faut pas être grand clerc pour voir, dans la crise sociale que nous vivons sur les quais de gare et dans les trains fantômes, une répétition de celle des Gilets jaunes. Comme toute couleur, la symbolique du jaune est ambivalente. Le jaune est lié à la signalisation routière, à la sécurité : c’est la ligne jaune. Elle est liée aux abeilles qui parsèment le manteau impérial. Mais le jaune est aussi lié à la maladie : une crise de foie donne le teint jaune. Dans le mouvement des Gilets jaunes, le jaune était lié à l’essence, il signifiait, selon Pastoureau : « Attention au pouvoir d’achat ! Sauvons-le ! Sauvons la France ! » Le choix du jaune peut aussi s’expliquer par son absence sur la roue politique des couleurs : ce fut donc une belle trouvaille que de le choisir comme emblème. Le jaune, en effet, est peu employé sauf par le parti libéral allemand, le FPD, dont le logo est jaune et qui navigue… de droite à gauche. Faudrait-il lire, alors, dans ce jaune la difficulté à situer ce mouvement sur un échiquier politique et, pour ce mouvement lui-même, à trouver une issue politique ? La symbolique de cette couleur est plus fluctuante que pour d’autres couleurs. Le président Macron a appelé chacun à ses responsabilités. Sans doute sait-il qu’un briseur de grève est dit « un jaune ». En attendant Lavera est en grève : l’or noir va peut-être manquer. Nul doute que les grévistes comptent en faire voir de toutes les couleurs à la France. Rira bien qui rira le dernier, dit-on. Attention au rire jaune ! Lié au safran, qu’on croyait la cause d’une certaine folie, il est incontrôlable.

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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