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La loi Travail ne marchera pas


La loi Travail ne marchera pas
Crédit photo : Soleil.

Tout en favorisant les entreprises, les projets de Macron pour le droit du travail ne suffiront pas à créer un véritable choc de compétitivité. D’autant plus qu’on ne s’attaquera pas au mammouth du secteur public…


On nous le répète sur tous les tons : seuls quelques retardataires attachés aux droits acquis peuvent ne pas souscrire au projet de réforme qui doit, selon les termes consacrés, « moderniser et alléger » le droit du travail sur le territoire de la République. Le patronat, les médias économiques, les « think tanks », Bruxelles et, par-dessus tout, Berlin l’ont réclamé, dans un chœur touchant. L’ennui c’est que nombre de nos compatriotes ne savent pas exactement de quoi il retourne même quand ils y seraient plutôt favorables. On parle bien sûr de faciliter les licenciements pour inciter symétriquement à l’embauche, de sortir du carcan historique constitué par le contrat à durée indéterminée, de rapprocher l’application du droit du travail du lieu où le travail est exécuté. Mais la technicité du sujet l’entoure d’un voile d’obscurité. Au moment où un texte d’habilitation de la réforme doit être présenté au Parlement pour un vote dès juillet[tooltips content=’Ce qui permettra à Angela Merkel de se présenter devant les électeurs en septembre en s’appuyant sur ce témoignage de la bonne volonté française.’]1[/tooltips], il faut tenter de percer ce voile. Deux préalables s’imposent.

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Premièrement, il faut rappeler que le projet sera circonscrit au secteur privé, le secteur public restant, selon la tradition, l’enceinte sacrée de l’exception française. Pourtant, le statut de la fonction publique date de 70 ans déjà ! Surtout, s’il s’agit de réduire le coût global de fonctionnement du système national, on devrait prendre en compte le secteur public, comme l’ont du reste fait les Allemands. Mais les néolibéraux au pouvoir ne semblent pas vouloir tenter le diable.

Deuxièmement, on omet de préciser les objectifs exacts de la réforme. S’agit-il d’améliorer l’emploi, de réduire le handicap de compétitivité ou les deux ? Or la chose est essentielle si l’on veut juger de l’adéquation des mesures projetées. Nous partirons du principe que les deux objectifs sont à l’agenda de la réforme.

Avant tout, l’entreprise

Nous héritons d’un système de normes hiérarchisées établi sous les Trente Glorieuses. Dans le contexte d’une prospérité sans précédent, le législateur et les partenaires sociaux avaient cherché à englober toutes les entreprises et tous leurs salariés dans un filet protecteur, constitué par la loi et les conventions collectives de branche professionnelle[tooltips content=’Dont la négociation a été initiée par une grande loi de 1950.’]2[/tooltips]. Quand les partenaires sociaux parvenaient à un accord consolidant les droits ou les avantages des salariés, sauf cas d’espèce, le ministre du Travail prenait un arrêté d’extension qui obligeait toutes les entreprises de la branche à appliquer l’accord, y compris celles qui n’étaient pas adhérentes à la profession signataire. Cette obligation partait du pari que, dans un contexte de prospérité maintenue, toutes les entreprises pourraient s’adapter à la nouvelle contrainte. Elle reflétait aussi une volonté d’égalité entre les agents économiques concernés.

La remise en cause de cette hiérarchie des normes devrait être l’une des pierres de touche de la réforme. Elle inaugurerait un nouveau droit du travail basé sur le contrat de travail individuel et l’accord d’établissement ou d’entreprise. Il faut ouvrir la voie à un droit du travail de terrain, nous disent les tenants de la réforme, mais c’est un véritable changement de paradigme qui se profile.

Tentons d’y voir plus clair quant aux effets de ce changement. De quoi traiteront les accords d’établissement ou d’entreprise dérogatoires à la loi ancienne ou aux accords de branche ? De la durée du travail bien sûr. Aucun des gouvernements de droite ou de gauche n’ayant eu le courage de revenir sur la bévue commise en 1997, les dirigeants d’entreprises auront désormais la faculté de passer un « deal » avec les représentants de leurs salariés pour revenir sur le régime des trente-cinq heures. Nous devons nous attendre à de multiples négociations d’entreprises, tout spécialement dans les secteurs à la traîne. L’enjeu primordial de ces négociations sera de réduire le coût salarial, pour lequel l’allongement de la durée devrait constituer un élément essentiel, avec une contrepartie : l’engagement de l’entreprise de maintenir un certain volume d’emploi grâce à des investissements programmés dans la durée. La tenue des négociations devrait être favorisée par une réforme adjacente consistant à fusionner les institutions représentatives du personnel. En clair, permettre aux entreprises de signer des accords sans passer par les délégués syndicaux nommés par les centrales nationales. C’est encore un renversement de la hiérarchie…

La fin du CDI ?

La question du contrat à durée indéterminée est symbolique. Ce contrat a constitué la poutre maîtresse du code du travail issu du développement de ce que certains économistes appellent le « fordisme ». Pour s’assurer de la fidélité, de l’assiduité et de la qualité du travail fourni, l’employeur acceptait un régime contractuel favorable au salarié qui pouvait tabler sur le maintien de son emploi sauf dans les périodes de crise aiguë sans espoir de reprise à court terme. Tous les pays développés sans exception ont connu ce régime inauguré aux États-Unis au début du siècle dernier. On ne saurait parler à ce sujet d’exception française ou européenne.

Les groupes français vont pouvoir faire jouer plus pleinement la concurrence salariale entre leurs différents sites de production

Or cela fait vingt ans maintenant que les chefs d’entreprises, soutenus par nombre d’économistes, réclament de sortir de ce régime. On envisage de lui substituer un « contrat de projet » courant sur une durée déterminée pour l’exécution d’un chantier du BTP par exemple, pour la création d’une usine nouvelle, pour l’exécution d’un projet industriel comme la mise sur le marché d’un nouveau produit industriel ou un nouveau logiciel par exemple : les durées concernées iraient de douze mois à sept ou huit ans. Au terme desquels l’entreprise qui ne renouvellerait pas le contrat, délivrée du souci de faire un plan social plus ou moins coûteux, mettrait un terme définitif à la relation de travail en s’acquittant d’une indemnité fixée dans le contrat. Il saute aux yeux que le nouveau contrat compléterait le nouveau droit issu des négociations d’entreprise. Tandis que les nouveaux accords réduiraient instantanément les coûts du travail, le passage au contrat de projet pour les nouveaux embauchés constituerait une sorte de régime de croisière du système économique.

Le licenciement « low cost »

Last but not least, la limitation des indemnités versées par les entreprises par suite d’une décision de la juridiction prud’homale sanctionnant un licenciement abusif. De fait, beaucoup de PME ont souffert, jusqu’à disparaître, de la charge excessive imposée par les tribunaux. On doit observer cependant que le projet de réforme n’entend pas entrer dans les détails des procédures qui ont rendu le licenciement prohibitif. Il enjambe le problème par un passage sous la toise simple et radical. Les entreprises importantes devraient en bénéficier aux côtés des PME, les directions des ressources humaines pouvant comptabiliser par avance le coût maximal qu’elles supporteraient en cas de litige.

Incertitudes

Ne jouons pas les esprits forts. Nous ignorons dans quelles conditions le nouveau système pourrait s’instituer. Beaucoup dépendra du contexte économique de sa mise en œuvre. Ou bien une relative prospérité se maintiendra et les entreprises pourront inscrire sans obstacles dirimants la nouvelle conduite de leur politique de ressources humaines. Ou bien un nouveau choc économique fera s’écraser le nouveau régime. C’est la première incertitude, d’ordre économique.

Mais il existe aussi un champ d’incertitudes juridiques. Qu’adviendra-t-il si les employeurs s’avèrent, pour quelque raison que ce soit, incapables de tenir leurs engagements en matière de maintien de l’investissement et de l’emploi ou d’exécution jusqu’à leur terme des contrats de projet ? Le nouveau régime du droit du travail repose sur la vision passablement idéalisée d’employeurs capables d’anticiper avec justesse l’évolution de leurs marchés et les menaces de la concurrence. Sinon, face à la force majeure représentée par un mauvais investissement, on peut prévoir des conflits d’un nouveau type que les tribunaux d’abord, le législateur ensuite auront à traiter.

Restent quatre certitudes

Premièrement, les groupes français vont pouvoir faire jouer plus pleinement la concurrence salariale entre leurs différents sites de production. Peugeot pourra exercer une pression renforcée sur les usines françaises, en concurrence avec l’Angleterre, l’Allemagne, la Slovaquie, l’Espagne, au moment de choisir le site de production d’un nouveau modèle, d’un nouveau moteur, d’une nouvelle boîte de vitesses. La déflation salariale est de plus en plus à l’ordre du jour, dans le monde et au sein de l’Europe.

Deuxièmement, il ne suffit pas de changer de paradigme pour résoudre le problème de la compétitivité française vis-à-vis d’une Allemagne qui représente la moitié de notre déficit extérieur. Le jeu combiné des trois mesures majeures ne saurait atteindre le chiffre fatidique de 20 % du coût du travail avancé par les économistes de l’OCDE qui ont évalué la sous-compétitivité française.

Troisièmement, la France sera encore plus le pays de l’inégalité entre son secteur public dont l’emploi, les salaires et les retraites sont protégés et le secteur privé traité comme une variable d’ajustement de l’économie dans le contexte d’une concurrence passablement sauvage.

Quatrièmement, Angela Merkel, satisfaite de l’élève Macron, pourra lui accorder quelques bons points et l’accueillir comme un partenaire privilégié dans la nouvelle Europe en voie d’intégration renforcée. On attend avec impatience qu’il lui remette sa copie !

Été 2017 - #48

Article extrait du Magazine Causeur




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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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