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Deux euros pour le prix d’un?


Deux euros pour le prix d’un?
Soleil
gréau euro nord sud
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Il faudra que les bureaucrates européens et les économistes bien-pensants se fassent une raison. Le débat sur l’euro n’est pas près d’être clos – à moins, évidemment, que la monnaie unique ne s’effondre sur ses bases à la faveur d’une nouvelle crise financière au sein de la zone. En effet, les sacrifices consentis par les États pour sauver les pays en faillite – Grèce à trois reprises, Irlande, Portugal, Chypre, Espagne pour ce qui est de ses banques – n’ont pas permis de réinstaller l’ensemble du système sur une trajectoire stable de prospérité et d’assainissement financier. La croissance reste anémique en dépit de l’amélioration notable des conditions d’emprunt sous l’impulsion de la banque centrale de Francfort. Et les dettes publiques sont plus élevées que jamais, sauf dans la surpuissante Allemagne. L’Espagne elle-même, qui s’enorgueillit de la meilleure croissance économique en Europe, ne réussit pas à stabiliser une dette publique qui atteignait 35 % du PIB en 2007 – une misère – mais culmine aujourd’hui à 100 %. Nous comprenons intuitivement que les dettes publiques ne pourront être ramenées à une proportion raisonnable sans abandon de créances par les prêteurs des États. Mais comment réaliser cet abandon sans mettre en péril les prêteurs à leur tour, qu’il s’agisse des banques, des sociétés d’assurances ou des fonds de placement ?

La solution cartésienne de Joseph Stiglitz

Face à cet horizon bouché, un bon esprit libéral, couronné par le prix Nobel, vient de jeter sa gourme. Joseph Stiglitz a pris le risque de s’exposer à la critique des bien-pensants en proposant de couper l’euro en deux : un euro pour le Nord, un euro pour le Sud. Ce n’est pas tant l’idée qui est nouvelle, elle a déjà été suggérée, c’est la personnalité de son auteur, qui s’est affranchi des conventions pour relancer le débat, en consacrant son dernier livre à la question[1. The Euro: How A Common Currency Threatens the Future of Europe, W. W. Norton & Company, 2016.].  [access capability= »lire_inedits »]

Son diagnostic de l’expérience de l’euro est sans nuances. L’euro était supposé apporter la prospérité et renforcer la solidarité – nous dirions plutôt la convergence. Il a mené, à l’opposé, des dépressions dans certains pays encore plus sévères que durant la Grande Dépression. Et, par-dessus tout, Stiglitz rejette les critiques opportunistes. L’échec ne provient pas, ou pas seulement, de politiques d’austérité excessives ni de réformes de structures insuffisantes. Stiglitz soutient, comme un vulgaire eurosceptique, qu’il y a des problèmes plus fondamentaux à l’origine dudit échec. « L’euro était mal conçu à la base[2. « Put simply, the euro was flawed at the base »] », nous dit-il. Ses créateurs avaient décidé de supprimer le mécanisme d’ajustement par le change, c’est le principe de la monnaie unique, mais aussi le mécanisme d’ajustement par les taux d’intérêt avec une politique monétaire unique qui n’étaient pas obligatoires. L’expérience s’est déroulée de surcroît dans un contexte normatif d’inflation réduite et de baisse des déficits publics qui la rendait encore plus problématique.

C’est bien entendu l’impossibilité de corriger les déséquilibres extérieurs qui a été décisive. « L’alternative à l’ajustement des taux de change monétaires est l’ajustement des taux réels – on fait chuter les prix grecs vis-à-vis des prix allemands. » Soit par des gains de productivité grecs supérieurs aux allemands, mais ne rêvons pas, dit Stiglitz, soit par la déflation. Et c’est ainsi que le sauvetage de l’euro a abouti aux dépressions économiques.

Quelle que soit l’âpreté de sa critique, il ne faut pas cependant voir en Stiglitz un jusqu’au-boutiste : il admet que des politiques plus accommodantes de dépenses publiques ou des transferts de ressources au profit des pays les moins productifs pourraient jouer de manière positive. Mais cela ne remédierait pas au vice de conception initial. L’euro applique à sa manière une vieille recette, la fixation de taux de change irrévocables, qui a toujours mené aux récessions et aux dépressions. Il faut donc sortir de la souricière où les apprentis sorciers de la monnaie unique nous ont fourrés. Stiglitz préconise « un divorce à l’amiable » prononcé entre les pays du Nord, dotés d’un euro fort, et les pays du Sud, bénéficiaires d’un euro faible, mais à condition de traiter la question essentielle des dettes héritées du passé. Il demande que celles des pays du Sud soient reconverties dans la nouvelle monnaie, sous peine d’accabler à nouveau les économies déjà à la peine.

Le cartésianisme à l’épreuve de l’économie réelle et de l’idéologie européenne

Le propos sans fard, honnête et courageux du prix Nobel mérite le respect. Mais la solution qu’il imagine, cohérente dans le principe, se heurte encore à des obstacles de fond.

Deux euros, cela signifie deux banques centrales et deux organismes de coordination des politiques économiques, sociales et financières. Toutes les difficultés seraient-elles surmontées si l’on installait une deuxième banque centrale à Madrid ou à Rome ? De nouvelles tensions n’apparaîtraient-elles pas dans le nouveau contexte ? Car, et c’est là le paradoxe le plus irritant de la situation présente, l’Allemagne tant décriée pour son dogmatisme monétaire a tout de même permis le maintien, vaille que vaille, du système euro grâce à sa position de garant financier en dernier ressort. Qui serait le garant en dernier ressort de l’euro du Sud ? Ni l’Italie ni l’Espagne ne peuvent y prétendre sans ridicule. Or Stiglitz range la France parmi les pays du Nord. On comprend mal pourquoi, alors que notre compétitivité s’étiole, que notre industrie décline chaque jour un peu plus et que le déficit commercial culmine. Paris, cher Joseph Stiglitz, n’est ni au Nord ni au Sud.

Autre problème majeur, la conversion des dettes en euros du Sud préconisée par Stiglitz ne va pas de soi. Autant elle semble nécessaire, autant elle semble difficile à imposer. L’expérience néolibérale a rendu les grands financiers, banques, assurances, fonds de placement, maîtres de la dette publique. L’échappatoire qui consistait, dans les temps anciens, à réduire les droits des créanciers, quand il s’agissait de particuliers épargnants, est désormais interdite. Nous ne voyons pas comment faire plier ces financiers. Ils restent à ce jour les maîtres, et les États leurs serviteurs.

Enfin, le dernier mot va aux politiques, au moins tant qu’un nouveau séisme financier n’aura pas brisé leurs illusions. Stiglitz le dit à sa manière. « La monnaie unique était envisagée comme un moyen au service d’une fin, elle est devenue une fin en elle-même. » Il appréhende ainsi la nature idéologique de la monnaie unique, sans en tirer les ultimes conséquences. Tant que les politiques qui ont voulu du projet et fait carrière en son nom continueront d’y adhérer, il n’y aura pas d’issue possible. Et d’ailleurs, avez-vous entendu les candidats républicains débattre de la monnaie unique ? Inutile de tendre l’oreille, l’euro demeure tabou. [/access]

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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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