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Les schtroumpfs à l’horizon 2015


La politique est devenue une véritable aubaine pour ces marchands de savoir que sont les économistes, les statisticiens, les sociologues ou les géopolitologues. Nous vivons, paraît-il, le siècle de la connaissance. Cette attirance pour les choses de l’esprit serait une bonne nouvelle si elle ne donnait carrière aux experts. Voyez Bouvard et Pécuchet : entre la bêtise générale et le savoir spécialisé, il n’y a souvent qu’un pas. C’est justement ce pas que nos experts ont décidé de franchir avec une naïveté qui laisse pantois.

Assister à un débat politique aujourd’hui – que ce soit sur l’immigration, le nucléaire ou la cueillette des champignons – c’est regarder des spécialistes se battre au nom des faits. Comment peut-on prendre au sérieux des gens pareils ? Un esprit scientifique, par exemple, ne s’exprimera jamais au nom des faits. Il sait que les faits dépendent étroitement du modèle théorique qu’il se donne, cette armature fragile dont le caractère éphémère incite, non à la certitude, mais à la prudence. Un romancier, pour sa part, préférera s’intéresser aux fictions que les gens se racontent lorsqu’ils s’imaginent aimer pour de bon, ou vivre pour de vrai.

Parler au nom des faits est la manie intellectuelle des escrocs. Chacun va répétant qu’il connaît la réalité mieux que son adversaire, et lorsque le débat est lancé, il n’y en a jamais un pour rattraper l’autre. « Je suis désolé, dira l’un, je suis allé en banlieue, je sais de quoi je parle » . « Vous seriez étonné d’apprendre où j’habite », répondra l’autre. Le plus comique dans cette histoire est que l’expert a toujours l’air d’avoir passé un certain temps avec les faits. On dirait que les faits vivent dans leur petit monde, à la manière des Schtroumpfs, et que l’expert a dû se plier en quatre pour les étudier.

Il serait formidable qu’un expert reconnaisse publiquement la seule vérité qui vaille, à savoir que son savoir repose sur des bases extrêmement douteuses (ce qui n’a rien de déshonorant). Une telle attitude nous ferait basculer, subitement, dans le royaume de l’honnêteté intellectuelle. Cette éventualité est-elle envisageable à l’horizon 2015 ? J’en doute.



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