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«Vortex», sur France 2: au temps pour nous

Plongée dans notre vortex culturel


«Vortex», sur France 2: au temps pour nous
Tomer Sisley et Camille Claris dans la série "Vortex" © Louis-Adrien Le Blay/FTV/Quad Drama

La série de science-fiction soi-disant avant-gardiste de France télévisions déçoit. Notre contributrice en profite pour inviter la télé publique à une vaste refonte des programmes.


Diffusée depuis le 2 janvier sur France 2 et accessible en intégralité (Six épisodes de 52 minutes) sur la plateforme de France télévision, « Vortex » est la mini-série « évènement » de ce début d’année 2023. Réalisée par Slimane-Baptiste Berhoun, sur un scénario de Camille Couasse et Sarah Farkas, elle est classée « série policière de science-fiction ».

Une morte dans la France affligeante d’aujourd’hui

Ludovic Béguin (Tomer Sisley), 52 ans, capitaine de police judiciaire à Brest, est chargé d’enquêter sur le crime d’une femme retrouvée sans vie au pied des falaises de la pointe de Corsen (29), à l’endroit même où sa première épouse Mélanie (Camille Claris), juge d’instruction, avait trouvé la mort 27 ans auparavant…

Voilà pour le côté « policier ». Côté « science-fiction », le scénario risque a priori de décevoir les amateurs de récits d’anticipation : l’histoire se passe en 2025, les voitures font le plein d’essence et passent au lavomatique, Juliette, la fille aînée de Ludovic, a une petite amie,  son jeune fils Sam, qu’il a eu avec sa seconde épouse Parvana (Afghane sans-papiers désormais artiste) est accro à sa tablette et plutôt tenté par le polyamour, Ludovic donne rendez-vous à Mélanie  (au cœur d’une faille temporelle de 27 ans) «à 13h00 à la pause déj », et Hector Delavigne, l’ami d’enfance, est, de son propre aveu, « une quiche en français » mais a tout de même eu 20 au Bac. Autrement dit, l’affligeante banalité de la France d’aujourd’hui déclinée en toile de fond. Deux éléments ramènent heureusement cette série policière vers le genre de la science-fiction : l’option latin qu’Hector Delavigne dit avoir pris en classe de 3ème et la paire de lunettes de réalité virtuelle du SRPJ de Brest, grâce à laquelle Ludovic parvient à communiquer avec Mélanie, la prévenir de sa mort imminente et tenter avec elle de déjouer les plans du destin… « On peut peut-être empêcher ça, changer ton futur. C’est pas une fatalité ». Une chose est sûre, Ludovic Béguin n’a pas, lui, pris option latin en classe de 3ème car il saurait sinon que le « fatum » est irrévocable. Bâtie autour du principe de « l’effet papillon », phénomène suivant lequel un évènement minime est suivi de conséquences d’envergure, la série nous entraîne dans un tourbillon temporel de six heures (le fameux « vortex ») où, lunettes de réalité virtuelle vissées sur le nez, Ludovic tente de sauver Mélanie tout en essayant de préserver sa vie avec Parvana et Sam.

Au ping-pong temporel, il y a mieux

Que dire ? Certains aimeront sans doute ces allers-retours un chouïa vomitifs entre 1998 et 2025, d’autres penseront au bout de quelques minutes, comme Parvana, la femme de Ludovic, que « cette histoire de vortex, faut qu’ça s’arrête », certains nostalgiques compareront avec l’indépassable Retour vers le futur (1985), d’ailleurs cité dans le film par l’un des protagonistes, les plus marrants penseront aux  Visiteurs (1993) et aux œufs de caille oubliés par l’enchanteur Eusebius dans sa potion destinée à remonter convenablement les couloirs du temps, les plus intellos en profiteront pour proposer une énième analyse de Minority Report (2002) sur fond de Precogs, de pré-crime et de justice prédictive. Quant aux autres, ils se demanderont si la télévision publique n’est pas elle-même prise dans un vortex inquiétant, sorte de tourbillon de récits qui se touchent et se rejoignent d’une chaîne à l’autre, d’une émission à l’autre, jusqu’à se mélanger et interchanger scénarios, dialogues et intentions didactiques. Car quelle différence y a-t-il, au fond, entre Vortex et l’émission Quand l’histoire fait dates, diffusée en 2018 sur Arte et que les éditions du Seuil viennent de publier en octobre dernier sous la forme d’un livre « librement » inspiré des épisodes télévisés ? Les éléments du scénario de cette longue série de 30 épisodes (ramenée heureusement à 10 dans sa version papier) sont en effet à peu de choses près les mêmes que ceux de la mini-série franco-belge diffusée ce 2 janvier : la faille spatio-temporelle comme unique exigence intellectuelle structurante (cela s’appelle «défriser le cours du temps »), l’histoire du monde vue avec les mêmes lunettes de réalité virtuelle que Ludovic, des chapitres aux intitulés énigmatiques, à tendance poético-fantastique  («Ici et pas ailleurs : ça a eu lieu », « Catastrophes ou fausses chutes », « Des traces à demi effacées », « Ce qui aurait pu être »). Écrite par l’historien Patrick Boucheron, scénariste des temps faibles de l’histoire de France, cette série de science-fiction est d’ailleurs, avouons-le, un Vortex aux effets spéciaux bien plus démonstratifs et sans doute plus à même de satisfaire les amateurs de science-fiction que la mini-série de Slimane-Baptiste Berhoun : jouer le rôle  de « l’historien du passage qui mène d’Akhenaton au 17 octobre 1961 » (sic), c’est tout de même un peu plus palpitant que de passer des heures dans la salle de réalité virtuelle de la SRPJ à faire des sauts de puce de 2025 à 1998 ou de 1998 à 2025.  Mais Ludovic n’a malheureusement pas pris option histoire.

Changement de programmes !

Essayons de remettre un peu d’ordre et sifflons la fin du vortex généralisé : retirons des émissions culturelles de la télé publique les distorsions, uchronies et autres associations fantaisistes propres aux scénarios de séries de science-fiction. Et remplaçons-les par les phrases édifiantes proférées par les protagonistes de séries censées nous emmener loin dans le temps et l’imaginaire. Car « jusqu’où iriez-vous pour changer le passé », « quand on change le moindre détail, ça fout la merde derrière », « toucher au passé n’est pas sans conséquence », « on est en train de faire n’importe quoi » (Vortex) sont des remarques et des interrogations fertiles qui devraient davantage inspirer les concepteurs de programmes culturels que les réalisateurs de séries et de films policiers lesquels, de leur côté, gagneraient à reprendre les concepts de « chemins de traverse », de « passages secrets qui traversent l’ordre chronologique », de « forces des imaginaires et faiblesse des mémoires » ou encore « d’école buissonnière, la plus exigeante des écoles puisqu’elle apprend à reconnaître le bruissement du temps » (Quand l’histoire fait dates), concepts suffisamment farfelus cette fois pour être le point de départ de jolies fictions.

Attendons, et voyons si France Télévisions parvient, en 2023 à s’extraire de ce vortex culturel : ce sera, sans doute, la série « évènement » de l’année !

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Georgia Ray est normalienne et professeur (sans -e).

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