Synode sur la famille: en avant les réformes!


Synode sur la famille: en avant les réformes!

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Vingt-six théologiens expliquent pourquoi les évolutions souhaitées par le pape François sont à la fois nécessaires et possibles ! En décembre 2014, quelques semaines à peine après la clôture de la première session du Synode sur la famille, le Vatican adressait aux conférences épiscopales une nouvelle liste de «questions» auxquelles les fidèles étaient appelés à répondre, dans la perspective de la seconde session d’octobre 2015. L’idée est alors venue aux responsables de la Conférence des évêques de France, de solliciter l’expertise de théologiens : prêtres, religieux ou laïcs, invités à s’emparer des thèmes qui leur semblaient les plus en résonance avec leur domaine d’expertise. Vingt-six théologiens francophones de renom, hommes et femmes, ont accepté de relever le défi. Un ouvrage, judicieusement initié par Bayard éditions, rend désormais leurs contributions accessibles à un large public[1. Synode sur la vocation et la mission de l’Église et de la famille, dans l’Église et le monde contemporain. Bayard.]. La lecture en est tout simplement passionnante.

Allons à l’essentiel : les uns et les autres s’accordent sur cette idée que les réformes pastorales souhaitées par le pape François, concernant l’enseignement de l’Église catholique sur le mariage et la famille, sont tout à la fois nécessaires et possibles.

Nécessaires parce que la crise qui traverse aujourd’hui le couple et le mariage, dans le monde occidental, touche également le couple et le mariage chrétiens. Et qu’il serait trop facile de n’y voir que l’effet dévastateur de la sécularisation. Si crise il y a, analysent nos auteurs, c’est bien parce que le mariage n’est pas une institution universelle, dans son principe et ses modalités, comme le démontrent les anthropologues, pas plus que le «mariage chrétien», tel que nous le connaissons aujourd’hui, ne peut être «traduit» immédiatement de la Bible. Marie-Jo Thiel pose sans doute une question essentielle lorsqu’elle interroge : «Est-ce que le mariage sacramentel, tel qu’enseigné par l’Eglise catholique, est une bonne nouvelle susceptible de donner sens à la vie entière d’un couple et plus largement des personnes qu’il réunit sous le vocable famille ?» En transformant l’idéal en norme juridique, l’Église ne contribue-t-elle pas à rendre le mariage sacramentel «non désirable» ?

La place donnée à la famille jugée excessive

Si une réforme est nécessaire, analyse le jésuite Christoph Théboald, c’est aussi sur la place centrale, excessive, accordée par l’Eglise catholique à l’institution du mariage. Une vision qui, selon lui, transparaît des textes préparatoires au Synode. Sévèrement, il écrit à ce propos : «Il faut critiquer la tendance de la Relatio synodi (conclusions de la première session du Synode) de mettre les époux et leur famille dans une position ecclésiologique privilégiée», position que les textes du Concile (Lumen Gentium, Gaudium et Spes) ne lui accordent pas. Une dérive qui selon lui, risque de donner, dans l’Église, et de manière théologiquement infondée, une place symbolique disproportionnée au couple et à la famille, par rapport aux «autres baptisés» notamment aux célibataires, dont le témoignage de vie dans l’Église est pourtant tout aussi essentiel.

Une approche sélective de l’exégèse biblique

Plusieurs contributeurs de l’ouvrage reprochent au magistère, d’une manière générale, une approche utilitariste de l’exégèse biblique. L’Église négligerait volontairement le travail des spécialistes, préférant ne retenir de la Bible que ce qui sert et conforte son enseignement, sans chercher à en vérifier les fondements de manière permanente, notamment au regard des progrès de l’exégèse biblique. André Wénin écrit en ce sens : « A l’exégèse du texte, on préfère une herméneutique qui rend le texte compatible avec l’enseignement que l’on souhaite fonder.» Et de noter, par exemple, que la «fraternité» est sans doute une valeur plus centrale dans la morale évangélique, que la famille vis à vis de laquelle Jésus a parfois des paroles très dures.

Mais si les réformes souhaitées par le pape François apparaissent possibles, c’est bien au regard du travail d’intelligence de la foi effectué par les théologiens, qui ouvre à de nouvelles interprétations de la Bible. Un exemple. Sur la question centrale de l’indissolubilité du mariage, le magistère met systématiquement en avant l’Épitre de Paul aux Éphésiens (5, 21-35) toujours enseigné selon l’interprétation d’Isidore de Séville : «Le mariage représente l’union du Christ et de l’Église, or l’union du Christ et de l’Église est indissoluble, donc le mariage humain est indissoluble». Plusieurs théologiens, dans le livre, font valoir qu’on oublie trop systématiquement le contexte culturel de la Lettre aux Éphésiens et le fait qu’en tout état de cause l’analogie n’est pas tenable.

Il est significatif, de ce point de vue, que le père Philippe Bordeyne, recteur de l’Institut catholique de Paris, écrive dès la préface de l’ouvrage : «La théologie sacramentelle aide à comprendre qu’il ne serait pas juste de faire jouer l’analogie entre l’union du Christ et de l’Eglise (…) et l’union conjugale de l’homme et de la femme, en oubliant la différence de nature entre ces deux unions.» Ce qui conduit Anne-Marie Pelletier à constater «le fait que la référence nuptiale Christ-Église soit présentement inaccessible à la très grande majorité de ceux qui reçoivent le sacrement de mariage». Et Marie-Jo Thiel de conclure : « L’engagement à vie et la fidélité sont essentiels en christianisme et il faut en maintenir l’exigence, tant ils disent le sérieux de la démarche, mais impliquent-ils pour autant un lien juridiquement indissoluble ? »

D’autres contributions illustrent, dans le même livre, le fait que sur la contraception, la conjugalité homosexuelle, ou les divorcés remariés des «avancées», souhaitées par les fidèles au nom de leur compréhension de l’Évangile, sont également possibles, sans trahir  l’un et l’autre Testaments.

La recherche au service de l’intelligence de la foi

On s’en doute, voilà le type d’ouvrage jugé insupportable dans certains milieux catholiques. L’un des premiers à dégainer a été le philosophe Thibaud Collin, sur son blogue hébergé par le site du quotidien la Croix. Reprenant l’accusation récurrente de vouloir «acclimater la morale sexuelle de l’Église à l’esprit du temps», il commente : «Ce volume, par nature composite, se signale cependant par sa très grande homogénéité : presque toutes les contributions sont en effet des critiques de l’enseignement de l’Eglise sur le mariage et la sexualité. À croire qu’il y a eu un grand vide magistériel sur ces sujets entre la fin des années 1960 et aujourd’hui.»

L’axe choisi pour sa critique est significatif. Il n’oppose pas l’analyse de ces théologiens à celle d’autres théologiens qui penseraient différemment, mais à l’enseignement du magistère. Illustration parfaite d’une certaine conception réductrice de la théologie qui devrait se cantonner à l’enseignement et à la justification des positions du magistère, alors qu’il est aussi dans la fonction du théologien de nourrir la recherche, au nom de la raison, pour aider l’Église à entrer toujours plus profondément dans l’intelligence de la foi. Sans ce travail théologique permanent, Vatican II dont les enseignements font désormais partie du magistère, eût été tout simplement impensable et impossible. Où l’on vérifie que le magistère d’aujourd’hui n’est jamais que le résultat de la recherche théologique d’hier et des siècles précédents.

Le travail de recherche en théologie est d’autant moins contestable dans son principe que les théologiens savent parfaitement – et ils l’acceptent – qu’in fine ce seront les dépositaires de l’autorité magistérielle dans l’Église qui trancheront. Dans la phase de consultation voulue par le pape François pour nourrir la réflexion des Pères du Synode dans la recherche d’un sensus fidei, la Conférence des évêques de France, critiquée par certains pour son initiative, était donc parfaitement légitime à solliciter ces théologiens, et eux-même à s’exprimer en toute liberté.

Dans l’entretien de 2013 accordé par le nouveau pape François aux revues jésuites, une phrase avait frappé nombre d’observateurs. Évoquant les raisons possibles de ce qu’il est convenu d’appeler le schisme silencieux, qui, en Occident, a vu des centaines de milliers – des millions – d’hommes et de femmes s’éloigner discrètement de l’Église au cours du dernier demi-siècle, il confiait : «Peut-être l’Église avait-elle des réponses pour l’enfance de l’homme mais non pour son âge adulte.»[2. Pape François, L’Église que j’espère, Flammarion/Etudes.] Ces «réponses pour l’enfance», comment ne pas les identifier, parfois, à certains enseignements du magistère qui ne sont plus ni reçus ni jugés recevables dans nos sociétés post-modernes où une majorité d’hommes et de femmes ont accédé à un haut niveau d’instruction et de conscience personnelle ? Et comment s’étonner que le pape François veuille en faire l’inventaire ?

À la veille du Synode romain, où fleurit toute une littérature pieuse plaidant l’immobilisme au nom de la fidélité à la Tradition, la réflexion de ces théologiens en liberté sera reçue par beaucoup, dans l’Église, comme un véritable bol d’oxygène intellectuel et spirituel. Et comme une grande espérance.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21640274_000007.



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