La chute du prix du pétrole ne menace pas la stabilité du régime saoudien


La chute du prix du pétrole ne menace pas la stabilité du régime saoudien

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Spécialiste dans le domaine de l’énergie et les matières premières, Francis Perrin a créé en 2012 Stratégies et Politiques Energétiques (SPE), dont il est le directeur de la publication et de la rédaction. Il est par ailleurs toujours rédacteur en chef des revues Pétrole et Gaz Arabes et d’Arab Oil & Gas.

Gil Mihaely. L’Arabie saoudite vient de boucler son deuxième budget déficitaire consécutif. Son gouvernement impute essentiellement cette contre-performance à la baisse du prix du pétrole. Or, cette baisse est – au moins partiellement – due à une décision prise il y plus d’un an par le précédent roi qui avait augmenté l’offre de pétrole afin de faire chuter le prix du baril et de nuire à la Russie et à l’Iran. Cette stratégie est-elle réaliste et efficace ?

Francis Perrin. Le déficit des budgets 2015 et 2016 de l’Arabie Saoudite est effectivement la conséquence de la chute des prix du pétrole. Mais celle-ci n’a pas été au départ, c’est-à-dire à l’été 2014, provoquée par l’Arabie Saoudite. L’excédent de l’offre pétrolière mondiale sur la demande est d’abord la conséquence de l’augmentation, depuis plusieurs années, de la production des États-Unis et du Canada, elle-même due à la hausse de leur production de pétrole non conventionnel. À l’automne 2014, l’Arabie Saoudite puis l’OPEP ont décidé de ne pas réduire leur production, contrairement à la stratégie habituelle de l’OPEP, et cette production OPEP a même augmenté en 2015. Les motivations du royaume saoudien sont cependant davantage pétrolières et économiques que politiques. Certes, la chute des prix frappe durement les économies russe et iranienne, ce qui n’est pas pour déplaire à l’Arabie Saoudite, mais c’est là l’un des impacts du changement de stratégie de ce pays et de l’OPEP il y a un peu plus d’un an et pas son principal objectif.

Par ses conséquences économiques néfastes, ce virage stratégique menace-t-il la stabilité du régime saoudien ?  

Cette stratégie est en partie efficace mais risquée. Des prix très bas du pétrole contribuent à relancer la consommation mondiale de pétrole et à faire diminuer la production de pétrole à coût élevé. La production pétrolière des États-Unis a commencé à baisser en mai 2015 et l’offre pétrolière non-OPEP devrait décliner en 2016. Ces tendances vont contribuer à un rééquilibrage entre offre et demande sur le marché pétrolier mais ce processus prend un certain temps et les conséquences négatives sur les pays producteurs en développement ou émergents, qu’ils soient ou pas membres de l’OPEP, sont très importantes. Je ne pense cependant pas que la stabilité du régime saoudien soit menacée car le pays dispose encore de réserves considérables – plus de $600 milliards – et les prix du pétrole ne vont pas rester éternellement à des niveaux aussi bas.

Les perdants de la stratégie saoudienne – notamment l’Iran et la Russie – peuvent-ils la contourner et faire en sorte que le prix des hydrocarbures augmente ?  

Au sein de l’OPEP comme en dehors de l’organisation, plusieurs pays producteurs de pétrole sont opposés à la stratégie saoudienne (que soutiennent les Émirats Arabes Unis, le Koweït et le Qatar) mais, pour que l’OPEP réduise sa production, il faut une décision unanime en ce sens au sein de cette organisation, ce qui n’est pas possible du fait des divergences entre États membres. Les pays non-OPEP, dont la Russie, ont toute liberté pour réduire leur production mais ils ne le font pas. Soit il y a un accord entre l’OPEP et plusieurs pays non-OPEP pour une réduction concertée de leur production, soit le rééquilibrage se fera par le marché et cela peut être brutal. Dans tous les cas, il n’est pas facile de contourner le premier exportateur mondial de pétrole.

Les mesures annoncées par le gouvernement saoudien ressemblent à un début de sevrage des sujets du royaume dopés aux subventions et habitués à un Etat-providence extrêmement généreux. L’Arabie Saoudite espère-t-elle inciter ses citoyens à développer des activités économiques émancipées du secteur public et du pétrole ?

Oui, en partie, et ces objectifs sont louables mais très ambitieux. Il est fort difficile de changer des habitudes aussi bien ancrées. Le pays annonce maintenant qu’il va réduire sur cinq ans ses subventions massives sur les produits pétroliers, l’électricité et l’eau et de fortes hausses des prix des carburants viennent d’entrer en vigueur. La potion est amère et le changement brutal.

Pour ce qui concerne le développement du secteur privé, il ne s’agit pas d’un objectif nouveau mais la chute des prix du pétrole est une raison supplémentaire pour aller dans ce sens et pour accélérer cette tendance.

Quelle est la situation dans d’autres pays exportateurs d’hydrocarbures comme le Qatar et les Émirats arabes unis ?

La situation budgétaire de ces deux pays est meilleure que celle de l’Arabie Saoudite mais chacun d’entre eux devrait enregistrer un déficit en 2016 même si celui-ci ne sera pas forcément très important. Leurs politiques budgétaires sont très prudentes et ils ont pris des mesures d’adaptation plus rapidement que ne l’a fait l’Arabie Saoudite.

Les pays du Golfe persique ont-ils des réserves de devises leur permettant de tenir aussi longtemps que l’Arabie saoudite ?  

C’est effectivement l’un des points communs entre l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, le Koweït et le Qatar. Ces quatre pays ont accumulé des réserves au niveau de leurs banques centrales et/ou de leurs fonds souverains pendant les années de prix du pétrole élevés, notamment entre 2011 et la fin du premier semestre 2014. Ils sont donc en situation de résister à la chute des prix plus longtemps que les autres producteurs, ce qui est un atout considérable dans la partie de bras de fer qui se déroule actuellement au sein de l’OPEP et entre pays OPEP et non-OPEP.

Est-il envisageable que le Qatar ne puisse pas tenir ses engagements à moyen terme, comme par exemple assurer la tenue de la Coupe de monde de football, faute de moyens ? 

Non. Il en va de sa crédibilité. Le Qatar a engagé des investissements liés à cet événement sportif majeur depuis des années et a les moyens de les poursuivre. Certains projets pourront être revus à la baisse et les autorités tenteront de réduire les coûts mais les chantiers clés se poursuivront.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00702761_000012.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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