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Ô Corse, île d’amour


Je ne sais pas si, un jour, je remettrai jamais les pieds en France. Je ne sais si l’on m’accordera le visa. Ce pays, dont j’ai tant aimé les hommes et le vin, se transforme lentement en une effroyable dictature. Les Biélorusses n’ont qu’à bien se tenir : ils ne sont plus seuls au monde. C’est du moins ce que j’ai lu, ces jours-ci, en parcourant la presse française et en y apprenant que Tino Rossi venait d’être relevé de ses fonctions en Corse.

Sous quel régime, si ce n’est la plus achevée des tyrannies, obligerait-on un homme de cent un ans à travailler encore ? Ne pouvait-on pas laisser le vieux chanteur s’éteindre paisiblement jusqu’à son dernier râle qui aurait pris la forme grave d’un chi chiiii… ? Non ! L’hydre sarkozyste a interdit l’Ajaccien de chanson[1. Certainement pour ne pas faire de l’ombre à Johnny Halliday, de trois ans son cadet.] et a contraint le vieillard à devenir coordinateur des forces de sécurité en Corse.

Samedi, Tino Rossi a commis la première bévue de sa carrière en ne faisant pas tirer sur les manifestants réunis dans le jardin corse de Christian Clavier. Aux yeux de l’Elysée, la faute est impardonnable : on a aussitôt rapatrié le vieil homme à Paris. Certainement pour le piquer, non sans au préalable l’avoir torturé dans les caves élyséennes, où il aura pu bénéficier – du moins l’espère-t-on – du réconfort de ses compagnons d’infortune, détenus eux aussi dans les geôles de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Peut-être le vieux chanteur, la tête appuyée contre la mâle épaule de Dominique de Villepin, aura-t-il pu couper trente secondes la parole à Jean-François Kahn pour entonner une dernière fois un émouvant Vieni Vieni… Rien n’est moins sûr.

A l’heure qu’il est, Tino Rossi est certainement mort et c’est vers les manifestants corses que doit se tourner notre solidarité.

De quoi sont-ils coupables ? D’aimer le cinéma ! Est-ce devenu un crime de manifester, en France, contre le pire acteur de sa génération ? N’a-t-on plus le droit de critiquer le jeu d’un comédien qui est à Louis de Funès ce que les extraterrestres sont aux gendarmes de Saint-Tropez ? Ce n’est pas le fait que Christian Clavier soit un acteur de droite qui me gêne. Les Allemands ont montré, au cours des soixante-dix dernières années qu’ils savaient parfaitement collaborer avec tous les acteurs français, de droite comme de gauche. Non, ce qui me dérange, c’est que Christian Clavier ne soit pas un acteur du tout.

Je voudrais d’ailleurs vous y voir, vous. Imaginez-vous un seul instant compter dans votre voisinage un type comme Christian Clavier. Les préjudices ne sont pas mineurs : la voix d’un Johnny complètement pété qui vous réveille à 3 heures du matin parce qu’il se croit à Bercy, l’irruption de Jean Reno à l’épicerie du coin qui dézingue tout le monde parce qu’on ne lui pas rend assez vite la monnaie, l’hélicoptère présidentiel se posant à n’importe quelle heure du jour et de la nuit parce que Nicolas Sarkozy a décidé de venir prendre des conseils éclairés en matière de politique culturelle, les interminables bouchons qui se forment derrière la voiture de Doc Gynéco, sans compter Christine Angot sous un porche dans le noir (et vice-versa). C’est insupportable.

Comme le peuple corse est le peuple le plus intelligent de la terre (la chanteuse Alizée et Jean-Marie Colombani en sont), les manifestants n’ont pas argué de leur cinéphilie et de leur aversion envers Christian Clavier pour protester contre la présence de l’acteur sur l’Ile de Beauté. Ils savent, les pas bêtes, que de tels motifs auraient provoqué l’ire élyséenne et que l’on aurait vu le chef de l’Etat mobiliser immédiatement le contingent pour régler militairement la situation.

Les manifestants corses ont simplement avancé quelques raisons bien de chez eux, du style « la Corse aux Corses », « dehors les Français ». Que ne feraient-ils pas pour faire progresser la cause du 7e art ?

Septembre 2008 · N°3

Article extrait du Magazine Causeur



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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