Migrants : Merkel, une chance pour l’Europe?


Migrants : Merkel, une chance pour l’Europe?

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Angela Merkel a beau bénéficier, au bout de dix ans de pouvoir, d’une cote de popularité stratosphérique et inoxydable – 77 % d’opinions favorables en juillet 2015 – et du titre envié de femme la plus influente de la planète, décerné chaque année par le magazine américain Forbes, elle doit, parfois, se soumettre aux diktats de l’équipe de communicants de la Chancellerie fédérale d’Allemagne.

Ainsi, ces derniers lui avaient mitonné, pour cet été, un programme de « dialogues citoyens », où elle est invitée à débattre des grands problèmes politiques du moment avec des gens « ordinaires », histoire de montrer qu’elle peut sortir des hautes sphères de la Weltpolitik et aller à la rencontre du peuple et de ses préoccupations. Le bain de foule, le serrement de paluches à la chaîne ou le casse-croûte paysan au cul des vaches n’étant pas vraiment la tasse de thé de la chancelière, ces rencontres prennent la forme d’une séance de formation continue où Angela Merkel, sérieuse comme une institutrice prussienne, explique, devant un pupitre, sa politique à l’assistance en faisant mine de répondre à ses questions. C’est ennuyeux comme la pluie tombant sur le Mecklembourg par une triste journée d’octobre, et cela désole les producteurs de télé chargés de diffuser ces images dans tout le pays…

Sauf que, le 15 juillet 2015, le débat organisé avec des élèves et des enseignants d’une école spécialisée pour handicapés moteurs de Rostock a suscité un émoi et une polémique à l’échelle nationale. Un extrait de cette rencontre long de 2 min 41 s, diffusé par un magazine d’actualité de la première chaîne publique ARD, montre en effet un échange entre Angela Merkel et Reem Sahwil, une jeune Palestinienne de 14 ans, souffrant d’un léger handicap moteur de naissance, arrivée en Allemagne illégalement en 2011 avec sa famille originaire d’un « camp » (en fait un quartier) de réfugiés palestiniens de Beyrouth.[access capability= »lire_inedits »]

Reem expose à la chancelière son désespoir de ne pas pouvoir faire des projets d’avenir comme ses camarades de classe, en raison du statut précaire de demandeur d’asile de ses parents. Angela lui répond qu’il n’est pas possible de donner aux dizaines de milliers de réfugiés palestiniens au Liban un signal leur laissant croire que les portes de l’Allemagne sont grandes ouvertes pour eux, alors même qu’ils ne sont pas en danger de mort, comme les Syriens… Reem éclate en sanglots, et la chancelière, quelque peu désarçonnée, s’approche d’elle et lui caresse la joue, sans pour autant céder sur le fond de son argumentation.

Dès le lendemain, la presse de gauche et les réseaux sociaux glosent ironiquement sur la « caresse de Merkel » et reprochent à la chancelière son manque de cœur et d’empathie face aux larmes de Reem. Le magazine Stern, sorte de Paris-Match allemand, plutôt orienté à gauche, fait sa couverture avec une tête lugubre d’Angela Merkel et le titre « La reine de glace »…

Depuis cette affaire, Reem est devenue une vedette en Allemagne, et les reporters défilent dans son HLM de Rostock. Un journaliste du quotidien conservateur Die Welt lui demande si elle considère aujourd’hui l’Allemagne comme sa patrie. Il utilise le mot Heimat, qui en allemand signifie la patrie au sens du « chez-soi », à la différence de Vaterland, patrie « patriotique ». « Non, répond-elle, ma vraie patrie c’est la Palestine où je souhaite pouvoir vivre un jour. » Elle montre au journaliste une carte du Proche-Orient collée au mur, où la Palestine occupe tout l’espace entre la Méditerranée et le Jourdain : « En Palestine, pas en Israël. Je voudrais qu’Israël disparaisse ! » Le journaliste lui fait valoir que les Juifs et les Allemands ont une histoire commune particulière et qu’elle vit aujourd’hui dans un pays où les propos antisémites sont punis par la loi. « Je sais, mais la liberté d’expression existe, et cela, on a le droit de le dire. » Elle apprend vite, la gamine ! Au bout de quatre ans en Allemagne, elle a trouvé la manière de dire « Mort aux Juifs ! » sans enfreindre la loi…

Angela Merkel a beau être surnommée « Mutti » (Maman) par ses concitoyens, comme naguère les Français surnommaient Mitterrand « Tonton », c’est sans doute la moins maternante des chefs de gouvernement européens : elle n’est pas l’assistante sociale en chef de la nation, elle fait de la politique, un dur métier laissant peu de place aux sentiments. La compassion envers les victimes de toutes sortes n’est pas de son ressort, il existe des institutions pour cela (Églises, ONG). Son job, en ce mois d’août 2015, c’est de gérer une situation critique, risquant de déstabiliser son pays plus encore que la crise grecque : l’afflux sans précédent des migrants de toutes origines prétendant au droit d’asile. Pour l’année 2015, les services du ministère de l’Intérieur allemand estiment leur nombre à 800 000, soit le quadruple des demandes enregistrées en 2014 !

Comme la charge de l’entretien des demandeurs d’asile, pendant l’étude de leur dossier, repose sur les Länder et les municipalités, la grogne des élus locaux monte. De plus, les incidents se multiplient entre les populations locales et des réfugiés vus comme des « parasites » du système allemand de protection sociale. L’émergence, en 2014, du mouvement Pegida, dénonçant l’islamisation rampante de l’Allemagne, a été le symptôme le plus spectaculaire de l’aggravation du problème. Angela Merkel, à la différence des responsables français, n’envisage pas le droit d’asile en termes de « valeurs » dont la République fédérale serait porteuse. Elle considère le problème sous l’aspect juridique et pratique : si le droit d’asile est imprescriptible dans nos démocraties européennes, il faut déterminer qui peut en bénéficier, et qui doit en assumer la charge. Le chaos actuel résulte selon elle de la diversité des usages en la matière dans les 28 pays de l’UE, qui permet aux migrants de postuler à l’asile dans les pays les plus généreux – ou laxistes envers les sans-papiers – même si leur situation n’entre pas dans le cadre de l’asile politique. L’engorgement bureaucratique provoqué par cet afflux rallonge indéfiniment les procédures d’examen des dossiers, créant des situations pénibles pour les déboutés de ce droit, comme dans le cas de la jeune Palestinienne.

La chancelière, qui a décidé de prendre ce problème à bras-le-corps, tape du poing sur la table européenne pour que cessent les belles paroles sur la scène publique et les coups fourrés derrière le rideau, comme les pratiques des Italiens et des Hongrois expédiant les migrants chez les voisins sans les enregistrer chez eux ainsi que le prévoit la réglementation de l’UE…

Grâce à elle, peut-être, les Français sortiront de la confusion, largement entretenue par une partie de la presse et des ONG médiatiques, qui mélangent allègrement les demandeurs d’asile, persécutés dans leur pays d’origine, et les réfugiés économiques, qui quittent leur pays pour tenter leur chance en Occident.

Quels sont les pays considérés comme « sûrs » pour leurs ressortissants, ou les minorités ethniques ou religieuses qui y résident ? Doit-on accorder le droit d’asile sur une base collective (chrétiens d’Irak par exemple) ou individuelle (apporter la preuve que votre action politique ou sociale met votre vie ou votre liberté en danger) ? Comment organiser la réception et la répartition de ces migrants vers les pays hôtes ? Parler de cela, c’est faire de la politique, alors que l’agitation rituelle de la bannière droit-de-l’hommiste aboutit à un seul résultat : que les dirigeants s’égarent dans le spectacle compassionnel, comme lors du lamentable épisode Leonarda.

Lorsque la chancelière décide de traiter un problème, l’Europe bouge… Bernard Cazeneuve se rend illico à Berlin pour s’entretenir avec son homologue allemand Thomas de Maizière. Du coup, la question sera en haut de l’ordre du jour du prochain Conseil européen.

On a longtemps reproché à Angela Merkel son attentisme, voire son immobilisme face à la crise économique des années 2008-2010, et ses réticences à mettre en place un système de solidarité financière interne à la zone euro. D’ailleurs, les jeunes Allemands sont impitoyables : ils ont forgé le verbe merkeln comme équivalent en langue jeune de tergiverser, procrastiner.

Pourtant, aujourd’hui, c’est l’activisme de la chancelière et celui de son ministre des Finances Wolfgang Schäuble qui sont dénoncés comme une manifestation insupportable de l’hégémonie germanique sur le continent. Il se trouve que, désormais, l’Allemagne d’Angela Merkel a les moyens économiques et politiques de défendre ses intérêts sans complexes, de construire des majorités au sein de l’UE, de saisir les opportunités ouvertes par la baisse de l’euro pour accroître encore ses excédents commerciaux, adapter son agriculture à la concurrence mondiale. Il n’est pas de grand chef d’État qui n’ait peu ou prou été aidé par la chance, et Angela Merkel n’échappe pas à la règle : son prédécesseur social-démocrate Gerhard Schröder avait réalisé les réformes économiques et sociales indispensables pour adapter l’Allemagne à la mondialisation. Ayant décidé, pour des raisons historiques, de se passer du hard power pour faire prévaloir ses intérêts, l’Allemagne du xxie siècle excelle dans le smart power, la puissance « intelligente » alliant pragmatisme et continuité dans l’action.

Ce n’est pas un hasard si le moteur diesel est une invention allemande : lent à se mettre en branle, il roule très, très longtemps.[/access]

 

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*Photo : Sipa. Numéro de reportage : AP21786988_000002.

Septembre 2015 #27

Article extrait du Magazine Causeur



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