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Marine Le Pen, moi présidente…

La plume au vent, la chronique de Frédéric Ferney


Marine Le Pen, moi présidente…
© Soleil

Son rêve était de transfigurer le RN. A-t-elle galvaudé l’héritage doctrinal de son père en flattant le Peuple trahi par la gauche et en s’autorisant à célébrer le général de Gaulle – « ce traître » ?… On le saura bientôt.


Pendant longtemps elle n’avait qu’à se taire pour accroître son crédit dans l’opinion – ça, c’est fini. Pour Marine Le Pen, à trois mois de l’élection présidentielle, tout s’assombrit, tout s’embrume ; à chaque nouveau sondage, elle frémit. Sera-t-elle au second tour le 24 avril ? Peut-être pas. Va-t-elle enfin crever le plafond de verre qui lui fait ombrage et vaincre Macron ? Cela semble improbable.

Ce qu’elle espère ? Un sursaut, un élan, une secousse. Si, pour la troisième fois elle échoue au printemps, sa vie n’aura été qu’une préface. Un coup d’épée dans l’eau. Une lettre d’adieu à un père, son pire allié, qui préférera toujours la plaindre d’avoir perdu plutôt que la maudire d’avoir gagné.

Grâce à lui. Sans lui. Malgré lui. Contre lui.

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Ce qui pèse sur la vie intime et sur la carrière politique de Marine, et ce qu’on ne peut élucider, est-ce une dette, une rente ou une malédiction ? Tout est de la faute de papa… mais non !, elle le sait déjà, la défaite est d’abord en soi. Son cavalier seul était sans avenir – la lepénisation des âmes a donc ses limites ?

De ce père qui l’a enrôlée dans ses songes, elle a hérité l’usage de l’imparfait, le temps le plus cruel, et qui devient, quand on est vaincu, l’aimant de tous les regrets. Elle lui doit aussi un fort penchant à la rhétorique avec un goût pour l’hyperbole et… l’hypotypose – la description imagée et frappante – dans ses discours !

À 54 ans, elle n’a plus le souci de briller aux yeux d’un père aveugle, elle s’est affranchie de sa tutelle mais, tant qu’il sera là, ce vieux chameau, elle se sentira jugée, épiée, surveillée, plutôt qu’aimée. Est-ce à ce fier-à-bras, ce patriarche vindicatif et jaloux – de sa propre fille !– qu’elle a si longtemps rêvé de ressembler ? C’est à contrecœur que Jean-Marie Le Pen a adoubé sa cadette en 2011, en lui léguant sa crête et ses ergots. Que n’a-t-il vu qu’elle n’était pas un coq mais une lionne !

Ah ! s’il était mort plus tôt, tout eût été différent.

Que sait-on d’elle ? Peu de choses en somme, comme si son ubiquité sonore et médiatique protégeait sa vie secrète. Marine a adoré faire la noce dans sa jeunesse mais c’est une paresseuse contrariée, c’est-à-dire une bosseuse. Pas si sotte, pugnace ! Moins crépusculaire que Zemmour, ce petit impertinent, ce chapardeur, elle n’a pas la panoplie intellectuelle d’un Macron, ni le bagout de Mélenchon, ni la sagacité dont Pécresse se vante. Nulle en économie ?… C’est grave pour un Boris Johnson mais bon, nous sommes en France !

Faute d’avoir su, malgré ses efforts, acquérir une renommée sénatoriale et d’en maîtriser tous les codes, elle a néanmoins appris, elle s’est polie – policée. En pure perte. Elle a beau se mettre le rouge aux joues, ses sourires, ses selfies avec les gens, ses balades dans les marchés ne suffisent pas à la rendre Élyséenne ! Son clip de campagne, très chic – presque macronien –filmé devant la pyramide du Louvre, ne fait qu’accuser notre gêne – Mme Le Pen semble se démener à contre-emploi.

À force de dire que le bonheur n’est qu’une rêverie ancienne, elle a surtout convaincu des nostalgiques et des illettrés – les sans-dents, comme disait Hollande. Son programme – lisez-le, c’est guignol – n’est qu’un bréviaire de rancœurs dans l’allure d’un dépôt de bilan. Des pauvres, acculés à leur rond-point imaginaire, le RN cuve les colères rances, le dégoût, les vices – et les illusions. Si le constat est éloquent, les propositions sont ineptes. Sur l’« identité française », Marine devrait relire Braudel et Marc Bloch.

En matière de mœurs, sachant que les gays, les femmes célibataires, les handicapés, les chômeurs et les Auvergnats non vaccinés sont aussi des électeurs, elle ne s’oppose plus à grand-chose, hormis la scarification tribale et les choux de Bruxelles ! A-t-elle trahi l’héritage politique de son père en se tournant vers le Peuple, abandonné par la gauche, et en saluant sans blêmir le général de Gaulle – « ce traître ! » disait papa –, et cela tout en continuant à se complaire dans un nationalisme intransigeant ?

Et si son échec préfigurait une alliance longtemps refusée, un pacte unitaire, entre la droite fourbue et l’extrême droite divisée ? Ça aussi, on le saura bientôt.

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Marine adorait son père qui l’a déçue. Aujourd’hui, elle peine à entrevoir dans le vieux Saturne l’ombre du héros de son enfance. Moins artiste que lui, elle n’a ni sa morgue ni son aplomb. Avec une emphase assumée, il était meilleur qu’elle dans le sarcasme et dans l’esclandre. Ce cabot adorait parader, et se battre jusque dans la rue, elle se prête au jeu sans être dupe. Il ne lui paraît pas si naturel d’être là, à la place de son père ; elle se force un peu, contrairement à Marion, sa nièce… Maréchal nous voilà !, qui affiche avec le culot de la jeunesse une arrogance de caste.

On se souviendra de Jean-Marie Le Pen comme d’un centurion dévoyé. Un ultra impénitent devenu sénile. Un prestidigitateur médiocre qui confondait la nation avec la race gauloise. Et s’il s’était trompé sur lui-même, jusqu’à avouer dans ses Mémoires [1] : « La politique après tout, ce n’était peut-être pas absolument mon truc. J’étais plutôt, comment dire ? Une vigie, une sentinelle, un lanceur d’alerte… un emmerdeur, un prophète » ? Rien que ça !

Que dira-t-on de Marine Le Pen plus tard ?… C’était une de ces femmes au menton volontaire qui mènent leur vie au galop et les hommes à la baguette en faisant : « Ha ! Ha ! Ha! » Comme elle aimait s’amuser, on la crut brutale. Comme elle avait une bonne santé, elle sembla vulgaire – il était difficile en ce temps-là de ne pas l’être. Et comme volontiers elle éclatait de rire en montrant les dents – de petites quenottes de brochet, grrr ! – on la crut gaie.

Aurait-elle fait de la politique si elle n’avait pas été une Le Pen ?… Au FN jadis, il suffisait de s’appeler autrement pour tomber tôt ou tard en disgrâce.


[1]. Éditions Muller, tome 1, 2018.

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Février 2022 - Causeur #98

Article extrait du Magazine Causeur




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est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

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