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Dominique de Villepin : une certaine idée de lui-même


Dominique de Villepin : une certaine idée de lui-même
Dominique de Villepin.
Dominique de Villepin
Dominique de Villepin.

C’est ce qu’on appelle manquer de baraka. Qui pouvait penser qu’en choisissant la date du 19 juin, 2010, au lendemain du 70ème anniversaire de l’appel lancé par le Général de Gaulle, pour jeter sur les fonts baptismaux son mouvement « République solidaire », Dominique de Villepin verrait ce moment fondateur flétri par le piteux spectacle offert par une équipe de France très éloignée des exigences du bien commun. Quand les Bleus se vautrent dans l’individualisme et s’émancipent de toute idée de civilité, les bons sentiments affichés par Villepin semblent vraiment décalés par rapport à une réalité française placée sous le signe de la déliaison.

La rhétorique est gaulliste, pas la politique

S’il faut prendre en considération le facteur scoumoune, tout ne relève pas de la mauvaise fortune qui se serait acharnée sur le plan de communication villepiniste.

Ainsi en va-t-il du choix de l’appellation de cette nouvelle offre politique qui relève d’une décision politique supposément maîtrisée.

Je la trouve très évocatrice de ces clubs politiques de la gauche républicaine quelque part entre Jean-Luc Mélenchon et la galaxie radicale. Se prévaloir du beau mot de solidarité qui ne figure pas sur le tryptique inscrit au fronton de nos mairies pas plus d’ailleurs que celui de laïcité n’est évidemment pas choquant. Cela fonde-t-il pour autant une vision dont la France a impérieusement besoin, rien n’est moins sûr.

On sent bien le désir de faire entendre la fibre sociale du gaullisme. Soit, encore que cette velléité paraisse bien rhétorique car on n’a jamais vu par le passé Dominique de Villepin s’engager avec la même hardiesse dans ces combats qui conduisirent un Philippe Seguin au nom de cette même filiation à ferrailler contre Maastricht et l’aporie de la monnaie unique puis à inscrire le thème de la fracture sociale au cœur de la campagne présidentielle de 1995. Dominique de Villepin reste cruellement associé à l’échec du CPE qui n’a pas fait de lui un héros de la République sociale. En conséquence, aussi estimable soit cet emprunt sans conséquence au généreux lexique de la gauche, on est très loin de l’idée de rassemblement qu’on est en droit d’attendre d’un homme qui s’autodésigne comme héritier légitime de la tradition gaulliste.

Un pseudo-insoumis, idéologiquement docile

Devant ses partisans réunis à la Halle Freysinet, DDV prétendait donc prononcer un discours fondateur, une sorte de « teaser » avant l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle de 2012.

Il commence ainsi par recenser sous la forme d’un catalogue de déplorations la liste des maux qui minent le pacte républicain et incitent assez logiquement à le refonder.

Dire la vérité c’est assumer les choix s’exclame-t-il alors. Sans soute mais justement quels sont-ils, et sur quel diagnostic sont-ils fondés ?

Je vous le donne en mille. C’est le décrochage irrémédiable par rapport à l’Allemagne tant sur les finances publiques que sur l’exportation qui constitue le noyau politique central de l’argumentaire villepiniste, le cœur de son attaque contre Nicolas Sarkozy.

Ainsi tout en revendiquant l’héritage du CNR, de Villepin se fait-il le contempteur d’un gouvernement accusé de laisser filer les déficits et la dette publique. Cherchez l’erreur. Cette plaidoirie implicite en faveur de l’orthodoxie entre en contradiction flagrante avec l’imprécation adressée, à une autre étape de ce discours fleuve : « Peut-on admettre que la France et les autres Etats européens suspende sa politique au verdict de la Bourse et des agences de notation ? ».

Certes. Mais si « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille », pourquoi prêcher un l’alignement avec l’Allemagne au nom de la vertu budgétaire et de la compétitivité exportatrice ? DDV ne voit-il pas que la politique disciplinaire qu’il encourage et qui grave dans le marbre le choix de l’austérité a précisément la faveur des marchés financiers en embuscade, prêts à dégrader la note des Etats qui n’obtempéreraient pas, qui n’accepteraient pas de se mettre en pilotage automatique ? Ne voit-il pas que cette obsession allemande des élites françaises renvoie à une réalité où les gouvernements sociaux-démocrates puis celui de madame Merkel ont fragilisé le système de protection sociale et comprimé les salaires en tirant la croissance par les exportations et en diffusant la déflation salariale aux autres pays de l’Union européenne ? Qu’y a-t-il de gaulliste dans un tel conformisme, un tel alignement sur la politique déflationniste allemande, une telle méconnaissance des enjeux économiques de la zone euro ? Juste un écrin qui fait écran. Soit le républicain est insoumis comme il est dit en introduction du discours, soit il se soumet à la discipline budgétaire érigée en impératif catégorique pour toute la zone euro. Et DDV est un bon élève, idéologiquement docile.

Un Bayrou bis

Ceux qui voyaient en Villepin la résurrection du gaullisme vont devoir changer de verres de lunettes: DDV n’est qu’un Bayrou bis, un solitaire de centre-gauche (ou droit c’est sans importance). La grandiloquence, n’est pas le verbe juste, le lyrisme ne remplace pas la vision et la sienne est au fond assez floue, en bien des domaines où on serait en droit d’attendre la parole d’un homme d’Etat.

Ce ne sont pourtant pas les sujets qui manquent, politique de la Banque centrale européenne, limites de la monnaie unique à l’heure où les divergences de trajectoire se creusent au sein de l’Union européenne, risque de défauts de certains Etats, régulation du système bancaire, barrières au libre-échange, arraisonnement de la finance, actualité du débat sur un protectionnisme ciblé et altruiste, politique industrielle : tous ces enjeux vitaux qui mobilisent la réflexion de ceux qui pensent librement, ne sont pas les sujets qui intéressent Dominique de Villepin. Dommage !

Le monde n’est hélas pas un poème de Saint-John Perse, et le politique, s’il aime le souffle et l’incarnation a besoin de perspectives.

Si dire la vérité c’est assumer le choix, encore faut-il que ceux-ci soient clairs, donc cohérents et sortir de cette suprême ambivalence de candidat virtuel. DDV ne pourra pas y couper. Il lui faudra choisir. Il peut évidemment mener une campagne centriste, il ne sera assurément pas le seul, c’est ça le hic. Un tel positionnement l’autorisera à communier sur l’autel de la vertu budgétaire et de l’exemplarité teutonne. Il sera à ce titre comptable d’une politique déflationniste qui entraînera la France, l’Union européenne et même l’Allemagne tout droit dans l’enfer de la dépression. Il sera ainsi avec tant d’autres admis dans le club très chic de ceux qui n’ont rien compris ni rien appris. Il pourrait tout au contraire décider de conduire une campagne en rupture avec les poncifs de la pensée unique, qui a déjà oublié que l’endettement privé et la déflation salariale étaient à la racine de la crise présente dite des dettes publiques. À la lecture de sa philippique, on peut craindre qu’il n’en prenne pas le chemin.

Détestation monomaniaque du président

Une cruelle absence de réflexion critique sur la crise de la zone euro et des politiques conduites en son nom débouche sur un programme qui s’annonce en creux d’un conformisme atterrant. Mais pour compenser cette vacuité de la pensée, il existe un vivier démagogique inépuisable celui de l’antisarkozysme convulsif. C’est le vieux registre de la dénonciation tant prisée à gauche, de la supposée logique des boucs-émissaire et de l’instrumentalisation des peurs, la stigmatisation des dérives « sécuritaires » pour complaire aux obsessions d’Edwy Plenel. Sûr que Martine Aubry n’y trouverait rien à redire.

Ne comptons décidément pas sur Dominique de Villepin pour aller chercher les voix de l’électorat populaire du FN, il se contente de siphonner celles de l’UMP et peut-être mêmes celles du MODEM, avant que de servir de force d’appoint au candidat socialiste.

Les amis de Causeur ne trouveront rien sur le port du voile intégral, sur la montée de la violence des gangs, et d’une délinquance des mineurs de plus en plus exacerbée, des drapeaux tricolores brûlés, du danger que constitue un islamisme conquérant et hostile aux lois de la République. C’est un angle mort de la République solidaire.

Ainsi, l’angle d’attaque choisie par Dominique de Villepin pour stigmatiser le gouvernement est-il délibérément sociétal, pour ne pas dire clientéliste si l’on considère la France dite « de la diversité » comme une addition de particularismes auxquels il convient d’adresser des signes de connivence. Le Président de la République jamais cité est bel et bien coupable à ses yeux « d’instrumentaliser la peur de l’autre, la peur de l’immigré, la peur de l’étranger, la peur de l’Islam ». L’homme du Non au Conseil de Sécurité a cru devoir hausser le ton et participer au chœur de l’indignation unanime à l’égard d de la flottille humanitaire et en profiter pour stigmatiser la politique israélienne. C’est évidemment son droit et il peut en espérer quelques bénéfices notamment grâce au vote si convoité des « quartiers populaires ». J’ai trouvé pour ma part, la position gouvernementale plus équilibrée.

La politique n’est pas une affaire de personnes, et quels que soient sa prestance et son talent, monsieur de Villepin est très occupé par une certaine idée qu’il a de lui-même. Elle n’a d’égale sur son échelle d’intensité personnelle que la détestation monomaniaque qu’il voue à l’hôte actuel de l’Elysée. .

En cela il présente une parfaite similitude de positionnement avec François Bayrou. Tous deux sont habités par une forte croyance en leurs destins. C’est tout à leur honneur mais n’est pas de Gaulle qui veut. Par ailleurs quel est l’horizon de ce mouvement qui semble être une formule intermédiaire entre club et parti autorisant la double appartenance à ses membres ? Quid des alliances, quid du programme ?

Méfions-nous, chère Aimée Joubert, de la mystique du troisième homme, cet amuse-gueule dont les médias raffolent en précampagne. Quand les choses sérieuses commencent, ils font souvent pschitt. En l’occurrence, il se pourrait bien que le troisième homme ne soit finalement qu’une blonde.



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Maurice Austin est fonctionnaire territorial. IL y a quelques semaines, il s’appelait Alexandre Livier

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