Chine, Russie: les Etats-Unis chérissent leurs meilleurs ennemis


Chine, Russie: les Etats-Unis chérissent leurs meilleurs ennemis
Vue du pont du porte-avions américain USS Harry S. Truman (Photo : SIPA.00733821_000019)
Vue du pont du porte-avions américain USS Harry S. Truman (Photo : SIPA.00733821_000019)

« Les Etats n’ont pas d’amis. Ils n’ont que des intérêts », disait De Gaulle. La citation vaut tout autant pour les grandes puissances qui aiment à redécouvrir, au gré des enjeux politiques, économiques et stratégiques du moment, leurs adversaires historiques. La dernière présentation partielle du prochain budget du Pentagone pour 2017 en a donné une parfaite illustration. Annoncé comme une « révolution » par le secrétaire adjoint à la Défense Robert Work, le budget de la défense américaine (583 milliards de dollars !) dessine à la fois les nouvelles orientations du pays en matière de défense, une grande partie de ses choix diplomatiques, mais aussi la stratégie industrielle de tout un champ de l’économie américaine qui dépasse de loin le seul secteur de la défense : l’aéronautique, les hautes technologies déjà existantes comme les nouvelles technologies militaires que le Pentagone entend explorer.

Estimant avoir perdu trop de temps au Moyen-Orient depuis 2001, les Etats-Unis en ont fini avec ce que les cadres du Pentagone décrivent eux-mêmes comme un « bordel sans nom » et entendent désormais se concentrer sur les « vraies menaces ». L’Etat islamique sera certes une priorité et le Pentagone prévoit à ce titre d’augmenter son budget de 50% afin de lutter contre le terrorisme islamiste (7,5 milliards de dollars). Mais on ne construit pas une politique de défense et encore moins l’avenir de toute une industrie autour d’un ennemi de cette envergure aussi « structuré » et ambitieux soit-il que l’Etat islamique.

Le Pentagone s’est donc tourné cette fois-ci vers des valeurs sûres, des ennemis d’un autre calibre qui ont déjà fait leurs preuves dans le passé : la Russie décrite comme une « puissance renaissante » et la Chine, « une puissance croissante qui incarne un enjeu stratégique durable ». En énonçant sa célèbre phrase, au moment de la chute de l’empire soviétique : « Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi !», Gueorgui Arbatov, conseiller diplomatique de Gorbatchev, caractérisait parfaitement le niveau d’interdépendance des grandes puissances. Des ennemis intimes dont les Etats-Unis ne sauraient se passer. La réciproque est tout aussi valable en Russie et en Chine : le 31 décembre 2015, Vladimir Poutine signait un document officiel sur la « stratégie de sécurité nationale de la Fédération de Russie » dans lequel les Etats-Unis étaient qualifiés de « menace pour la sécurité nationale », alors qu’ils ne figuraient plus dans le précédent document daté de 2009…

 «Nous n’avons pas eu à nous soucier d’eux depuis vingt-cinq ans, il va falloir qu’il en soit autrement»

Dans une première annonce du budget le 2 février dernier, le secrétaire d’Etat Ashton Carter a donné le ton de ce revirement stratégique : « Nous n’avons pas eu à nous soucier d’eux depuis vingt-cinq ans, il va désormais falloir qu’il en soit autrement » évoquant notamment les incursions militaires russes en Ukraine.

Bâtie autour du concept de « Third offset strategy » (« Troisième stratégie de compensation »), la nouvelle doctrine américaine est une stratégie concurrentielle qui vise à maintenir un avantage militaire et technologique sur les adversaires sur de longues périodes, tout en cherchant à préserver la paix. Voire…

La première stratégie de ce type (« First offset strategy ») mise en place dans les années 50 désignait le développement des armes nucléaires tactiques pour décourager l’URSS d’avancer en Europe. La seconde, alors que les Etats-Unis enregistraient une baisse de leur budget de Défense, après la guerre du Vietnam, signalait au cours des années 80-90 le développement des nouveaux outils de renseignements en matière de surveillance, des armes à guidage de précision, ou encore des technologies furtives. Si la première stratégie a été considérée comme un succès — l’affrontement des deux grandes puissances américaines et soviétiques ayant été évitée — la plupart des historiens militaires considèrent que la seconde stratégie de compensation s’est soldée par un échec, la course à la puissance ayant fini par entraîner les Etats-Unis dans la première guerre du Golfe.

C’est poussé par la même foi quasi mystique en la technologie que les responsables du Pentagone ont donc opté pour le franchissement d’un nouveau palier qui relève pour l’instant de la science-fiction avec cette troisième stratégie de compensation. Le développement de systèmes d’intelligences artificielles et d’« armes-robots » seront ainsi les nouveaux outils de la dissuasion américaine. Rien à voir avec un quelconque Terminator, les Américains privilégieraient des systèmes d’aide à la décision des soldats : un soldat plus puissant, autonome, mieux informé, mieux armé, mieux protégé, capable de communiquer ou de brouiller les communications de l’ennemi, de visualiser le champ de bataille, et de prendre des décisions en temps réel sur le terrain en liaison avec les services de renseignements. De façon plus précise le budget comprend aussi 3 milliards pour contrer les attaques longues portées chinoises sur les forces navales américaines ; 3 milliards pour mettre à niveau les systèmes sous-marins ; 3 milliards pour le développement des opérations par drones et 1,7 milliard pour des technologies basées donc sur l’intelligence artificielle.

« Voilà comment nous allons construire des réseaux de combats plus puissants et injecter, je l’espère, suffisamment d’incertitudes dans l’esprit des Russes et les Chinois, pour l’emporter, dans l’hypothèse d’un conflit, sans avoir recours à l’arme nucléaire, ce qui devrait dissuader l’agression. C’est cela, pour moi, la définition, de la dissuasion conventionnelle », a déclaré froidement la semaine dernière Robert Work.

Derrière l’exercice de propagande assez grossier qui vise à relancer un ambitieux plan de défense après la période de « disette » relative traversée sous la présidence Obama, ce « grand bond en avant » technologique souhaité par le Pentagone ferait notamment suite aux observations réalisées par les services de renseignements américains en Syrie. Les observateurs américains auraient été en effet étonnés par les capacités militaires russes démontrées en Syrie. Selon la revue Foreign Policy, Moscou utilise de plus en plus la Syrie comme un terrain d’essai pour ses nouvelles technologies militaires, où elle déploie ses bombardiers, sous-marins furtifs et autres missiles de croisière de dernière génération. Un véritable salon d’exposition militaire à ciel ouvert destiné à impressionner autant ses adversaires que les futurs acquéreurs éventuels de ses armes. Preuve que la course aux armements est une compétition permanente.



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est journaliste.

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