#ClochesChrétiennes: le sain(t) communautarisme


#ClochesChrétiennes: le sain(t) communautarisme

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Cloches, sonnez, pour tous ceux qui savent que leurs peines/Vont s’effacer, vont bientôt guérir. En ce 15 août, les cloches de France répondent à Charles Trenet. Près de 70 diocèses catholiques, une vingtaine d’abbayes et sanctuaires, et des milliers d’églises font sonner leurs clochers. Ce ballet répond à l’appel d’une poignée de fidèles, qui ont eu l’idée d’exprimer ainsi leur soutien aux chrétiens d’Orient persécutés. L’opération est intitulée sur les réseaux sociaux #ChristianBells, l’anglais étant le seul langage commun de la Babel du Net. L’initiative française s’est propagée en Europe: deux diocèses espagnols, tous les diocèses de Belgique et du Luxembourg, ceux de Cologne et de Genève-Lausanne-Fribourg, ceux de Monaco et de Reykjavik, capitale de la lointaine Islande, ont annoncé leur participation.

Depuis 1950, l’Église catholique romaine a fixé au 15 août la fête du dogme de l’Assomption, la montée au Ciel de Marie, mère du Christ. Ce dogme, comme les autres, n’est pas sorti tout armé de la tête du pape, et avait des origines beaucoup plus anciennes. On a commencé à fêter l’Assomption en Gaule dès le VIe siècle, ce qui ne devait rien au hasard: le concile d’Ephèse de 431 avait proclamé Marie « Theotokos« , mère de Dieu, puisque le Christ est à la fois « vrai Dieu et vrai homme ». L’Église n’a fait qu’entériner ce qui était cru par tous les chrétiens. En Orient, et dans la chrétienté orthodoxe, l’Assomption (ou « Dormition ») a toujours été célébrée, indépendamment du dogme pontifical. Fête chrétienne, le 15 août est plus spécifiquement une fête française. En 1638, Louis XIII consacre son royaume à Marie, en encourageant ses sujets à prier ensemble pour leur pays à cette date. C’est une prière de toute la France, pour la France. La communion d’un peuple. Une préfiguration de la fête nationale. Ces cloches du 15 août rappellent que l’Église est encore le premier parti de France. Combien de divisions, dites-vous ? Venez et voyez.

Le débat sur le mariage gay a commencé à prendre de l’ampleur lorsqu’une prière fut lue dans toutes les églises, pour que chaque enfant bénéficie de « l’amour d’un père et une mère« . Le 15 août 2012, précisément. Les manifestants contre la loi Taubira doivent beaucoup au réseau d’écoles, de paroisses, d’aumôneries catholiques. La Manif Pour Tous est la fille aînée de l’Eglise française de ces dernières années. Ce fut sa force, et également sa faiblesse, en échouant à parler la même langue que la France laïque. Ce même défi est toujours là. Car cette Église qui s’agite suscite des questions légitimes. Le mot-dièse #ClochesChrétiennes, n’est-ce pas du communautarisme ? Que sont ces initiatives, sinon le signe que la tribu des cathos rejoint celle des gays, des Juifs et des buralistes, défendant chacun leurs intérêts ? Le danger du ghetto existe. Les catholiques sont des enfants de leur siècle atomisé. L’auteur de ces lignes était récemment présent à un mariage « à l’église ». C’était une belle fête de l’amour, de l’engagement et de la joie. Mais parmi les invités, quelques-uns se demandaient s’ils ne faisaient pas partie d’un club fermé qui se féliciterait d’exister encore. À la question posée par votre serviteur à certains, « tu as des amis non-catholiques ? », beaucoup étaient gênés de répondre par la négative. D’autres assument, et s’occupent à défendre leur entre-soi avec des polémiques complètement cloches. Le « saint » qui disparaît du bulletin météo quotidien de France 2.

Une « christianophobie » répertoriée sur une carte de France, copiée en moins belle sur celle des musulmans. Les boucs émissaires, de la « dictature socialiste » au « satanisme » musical. Ces boutefeux seraient plus inspirés de relire Tactique du diable de Lewis. Satan raffole du catholicisme identitaire: « amène-le au stade où la religion ne sera plus qu’un aspect de la « cause », où le christianisme est surtout estimé parce qu’il apporte d’excellents arguments à l’appui de l’effort de guerre britannique ou du pacifisme« . Une bonne manière de discerner le ghetto identitaire d’un sain(t) communautarisme, c’est l’universalité, qui est une vocation chrétienne et française. C’est là que l’opération #ClochesChrétiennes sort du lot. Le drame des chrétiens d’Orient n’est pas seulement la disparition d’Églises séculaires, c’est le signe que l’altérité la plus élémentaire est menacée par un totalitarisme qui refuse toute existence non-islamique. Leur cause dépasse les clivages et les sensibilités. Elle soulevait déjà l’indignation de Jean Jaurès, lors des massacres d’Arméniens par les Turcs en 1897. Bien avant que cela ne devienne branché.

En faisant sonner les cloches pour les chrétiens d’Orient le 15 août, l’Église de France fait honneur à son histoire, et rappelle qu’elle est toujours là pour redonner à son pays un supplément d’âme. Le catholicisme a façonné nos paysages, notre vocabulaire, notre esthétique, et même notre érotisme. Mais cette identité de caractère, cette marque indélébile, ne pourra demeurer que si elle est enracinée dans une véritable pratique religieuse. La France a été faite par des personnes qui croyaient en Dieu, et non par des individus qui jugeaient utiles les valeurs chrétiennes. La France s’appellera France si elle reste réellement chrétienne.

*Photo: Sipa. Reportage n°AP21735154_000002.



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