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Notre-Dame de Paris à l’Opéra: après l’incendie de 2019, une autre calamité

Ballet de l’Opéra de Paris, à Bastille, jusqu’au 31 décembre 2025


Notre-Dame de Paris à l’Opéra: après l’incendie de 2019, une autre calamité
Le danseur Hugo Marchand © Yonathan Kellerman Opéra national de Paris

Fresque insipide, dépourvue du caractère épique du roman de Victor Hugo dont elle s’inspire, Notre-Dame de Paris de Roland Petit est l’exemple même de la futilité et de la médiocrité de l’auteur…


On a peine à croire aujourd’hui que Roland Petit, auteur de cette production qu’est Notre-Dame de Paris, créée en 1965 pour le Ballet de l’Opéra et que ce dernier reprend en décembre 2025, mais dans le triste hangar de la Bastille, on a peine à croire que Roland Petit ait pu connaître en son temps une telle renommée, que ce soit en France comme à l’étranger, en Italie tout particulièrement. Les bras même vous en tombent. Et il est à croire qu’une bonne part de ce peuple français auto-proclamé peuple le plus spirituel de la terre aurait plutôt des goûts de concierge, de garçon coiffeur ou de notaire de province. 

À Paris, le public conspuait Martha Graham dans les années 1950, Merce Cunningham dans les années 1960 et 1970, Pina Bausch à l’aube des années 1980, alors qu’il applaudissait frénétiquement Roland Petit. C’était, il est vrai, le public du ballet, plus conservateur, plus écervelé, plus futile que tout autre, pour ne pas être davantage explicite. Les chorégraphes les plus novateurs, ceux que la postérité saluera comme des créateurs de génie, seront tout d’abord reconnus par des publics plus évolués, ceux du théâtre ou des arts plastiques. 

Un roman de gare

Alors que Kurt Joos, José Limon, Martha Graham ou même George Balanchine, dans la même lignée de la danse narrative, avaient composé des chefs d’œuvre en quelques traits d’une force et d’une éloquence inouïes, et que Maurice Béjart incendiait des salles immenses avec son Sacre du printemps daté de 1959, Roland Petit, enrageant déjà de ne pouvoir exister que dans l’ombre écrasante de son rival, portait donc Notre-Dame de Paris sur la scène de l’Opéra voilà six décennies.

On y retrouve les ingrédients constituant nombre de ses ballets: le goût des narrations ambitieuses et du grand spectacle, à quoi s’ajoutent une écriture tenant à la fois du music hall et de l’académisme le plus convenu, des clichés faciles, une théâtralité frelatée faite pour frapper les naïfs à l’estomac ou pour leur en mettre plein la vue. C’est ainsi que Notre-Dame de Paris, ébouriffante épopée rédigée dans la grande veine médiévaliste de Victor Hugo, mais revue par un chorégraphe bien franchouillard, est parvenue à ressembler à un roman de gare.

On verra bien pire il est vrai, trente-trois ans plus tard, avec la comédie musicale de Luc Plamondon et Richard Cocciante.

Des œuvres dignes de passer à la postérité

Pour être juste, il fut un temps où Roland Petit créa des chorégraphies dignes de passer à la postérité : Le Rendez-vous (1945, argument de Jacques Prévert, musique de Joseph Kosma),  ballet expressionniste à la poésie triste ; Les Forains (1945, livret de Boris Kochno, musique d’Henri Sauguet, décor et costumes de Christian Bérard), chant déchirant sur la misère des artistes ambulants ; Le Loup (1953, argument de Jean Anouilh et Georges Neveux, musique d’Henri Dutilleux, décors de Jean Carzou), douloureux poème où le fantastique se mêle à la  cruauté et à la bêtise des hommes. Et bien plus tard, une renaissance du ballet de Léo Delibes, Coppélia (1975) version malicieuse, débordante de vie et de fraîcheur, enrobée dans une scénographie raffinée d’Ezio Frigerio.

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Quant au chef d’œuvre qui bouleversa à juste titre le public de 1946 au Théâtre des Champs-Elysées, Le Jeune Homme et la Mort, et qui rendit Roland Petit brusquement célèbre, il devait tout à Jean Cocteau qui en imagina le propos, le décor, en assura la mise en scène et en choisit le sidérant support musical. Ainsi qu’au danseur Jean Babilée qui en fut le héros indépassable. Plus tard, en ressuscitant ce chef d’œuvre qui n’était pas vraiment le sien, Roland Petit n’aura de cesse de le dénaturer en en réduisant la portée tragique au profit du spectaculaire le plus vain.

Pour le reste, même s’il brille en créant de beaux pas de deux qui seront sa marque de fabrique, Roland Petit donnera surtout le jour à une avalanche d’ouvrages d’un goût à frémir, souvent des adaptations chorégraphiques très kitsch d’œuvres littéraires qui ne méritaient pas un tel affront. Carmen par exemple (1949), l’âpre nouvelle de Mérimée dont il fit une bouffonnerie en saccageant au passage la musique de Bizet. Ou L’Ange bleu (1985) avec lequel le roman de Heinrich Mann est ravalée à une pathétique gaudriole. Pour ne rien dire de L’Arlésienne, de Proust ou les intermittences du cœur et de cent autres solides navets qui firent cruellement rebaptiser leur auteur du sobriquet de Roland le Petit.

Une chorégraphie de boulevard

« Notre-Dame de Paris, écrira sans vergogne un Roland Petit vaniteux comme un coq et qui n’a jamais douté de rien, surtout pas de son génie, Notre-Dame de Paris, c’est comme un film de Dreyer. Un dépouillement et une rigueur absolue au service d’une profonde vie intérieure »

Notre-Dame de Paris, corrigera-t-on avec moins de complaisance, c’est un fatras de gestes mécaniques, de figures anecdotiques et peu inspirées trahissant l’inspiration étriquée d’un démiurge sans envergure; d’images scéniques trop simplistes pour être dramatiques. Ce que le chorégraphe nomme dépouillement n’est que de l’indigence et ce qu’il baptise rigueur absolue n’est autre qu’une absence de sensibilité créatrice.

C’est l’éloquence creuse d’un homme réduit à une sécheresse de cœur et à un travail immature, frappé par une incapacité à créer quelque chose de profond, d’émouvant, à conférer à ses personnages un caractère authentique. D’un auteur qui reproduit les événements décrits dans l’ouvrage dont il s’inspire sans savoir leur restituer le souffle, la dimension épique qui baignent tout Hugo et dont le travail débouche sur des images infantiles et superficielles. En un mot comme en cent, et de bout en bout, c’est terriblement stupide. Quant à « la profonde vie intérieure »…

S’il y avait en danse l’équivalent de ce que le monde du spectacle appelle le théâtre de boulevard, on dirait de Roland Petit, à l’exception de quelques-unes de ses authentiques réussites, qu’il n’a jamais été qu’un assez médiocre chorégraphe de boulevard.

Dur et tranchant comme une lame d’acier

Comment évoquer après cela les quatre interprètes principaux de Notre-Dame de Paris qui se produisaient le soir de la première ?

Ils sont entourés par une foule de danseurs figurant le peuple parisien du temps de Louis XI, un an avant la mort de ce dernier, peuple, sinon populace malléable et dangereuse quand elle est assemblée en foule, et que le chorégraphe réduit à une masse de figurants s’agitant comme des automates.

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La Esmeralda (sans sa chèvre) d’Amandine Albisson est inexpressive, incolore, insipide en un mot. On eut rêvé, en d’autre temps, d’une Isabelle Guérin ou d’une Monique Loudières dans ce rôle qui devrait être tout à la fois d’innocence et d’incandescence. Ici la danseuse exécute proprement sa partie sans paraître autrement concernée. L’apparition de Phoebus (Antonio Conforti) en blonde décolorée drapée dans une cape bleu ciel et posant là comme dans un magazine « gay » des années cinquante, a quelque chose d’aussi ahurissant que comique. Mais qui reprocherait à Hugo Marchand, qui est pourtant un excellent artiste, cette représentation de Quasimodo si sommaire, si mal croquée par un chorégraphe incapable d’attribuer une consistance au personnage, sinon par une démarche bancale et une épaule déboîtée ?

Seul Pablo Legasa, tout de noir vêtu, glacial, dur et tranchant comme une lame d’acier, sait conférer à la figure de Frollo une dimension tragique qui apporte quelque poids à son personnage. 

Aussi bon interprète que l’on soit, comment parvenir à incarner pleinement des personnages aussi sommaires et manquant à ce point d’épaisseur ? Ce ne sont nullement les figures emblématiques que Petit s’est targué d’avoir créées, mais d’indigentes représentations desservies par une gestuelle plus mécanique qu’expressive.

Amandine Albisson et Pablo Legasa (C) Yonathan Kellerman / OnP

Après l’incendie fallait-il nous torturer davantage ?

Ce qui est curieux, mais pas davantage, ce sont les sobres décors de René Allio, bien représentatifs des tentatives novatrices de cette époque en France. Et les costumes d’Yves Saint Laurent. Des costumes spectaculaires, à la théâtralité exacerbée, hélas dévoilés le temps d’un trop bref tableau, et figurant des personnages de cour. Un tableau qui n’a d’ailleurs aucun sens ici, sinon celui d’exhiber le savoir-faire du couturier et la fierté de Roland Petit de se l’être attaché.

Des tenues multicolores, infiniment plus sommaires, revêtent ensuite l’ensemble des danseurs et vont évoluer jusqu’au rouge ou au noir intégral au fur et à mesure de l’action. Eux aussi sont le reflet de leur temps. Et puis, il y a la musique de Maurice Jarre, très belle au prologue, qui demeure efficace ensuite, mais sans laisser d’impression durable. Jarre n’est ni Tchaïkovsky, ni Stravinsky, ni Prokofiev. Ni même Adam, Lalo ou Delibes.

Après l’incendie de Notre-Dame qui nous arracha des larmes, fallait-il donc saluer sa résurrection en nous torturant avec un ouvrage aussi vide et consternant, ce plat fade et dépourvu de toute qualité nutritionnelle opportunément titré Notre-Dame de Paris?  Oui, bien évidemment, sur le plan commercial. On est sûr d’attirer à l’Opéra tout un vaste public maintenant que la tragédie de la cathédrale a fait le tour du monde et que sa restauration attire des foules immenses. Pour l’Opéra, les grands spectacles de ballet de fin d’année sont un bon moyen d’engranger de sérieux bénéfices. Il n’y a là rien de déshonorant à première vue. L’ennui une fois encore, avec l’actuelle direction de l’Académie nationale de Musique et de Danse, c’est que les préoccupations de trésorerie prennent souvent le pas sur les ambitions artistiques.   


Notre–Dame de Paris. Ballet de l’Opéra de Paris. Opéra de la Bastille. 1h55

Jusqu’au 31 décembre 2025



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