Régis Jauffret signe avec Maman une déclaration d’amour rageuse, cocasse, parfois violente et bouleversante. Le brillant romancier lève le voile sur ses fragilités sans se départir de son cynisme.

Cette rentrée littéraire a livré d’innombrables ouvrages inspirés par les mères – ceux de Justine Lévy, Raphaël Enthoven, Jakuta Alikavazovic, Amélie Nothomb, Catherine Millet… Le texte de Régis Jauffret se distingue par sa noirceur, son humour et sa folie. Sobrement intitulé Maman, titre aussi touchant qu’ironique, ce roman est le testament littéraire d’un écrivain au mieux de sa forme. En 2020, l’auteur des Microfictions nous avait gratifiés d’un magnifique Papa. N’allez pas croire pour autant que l’écrivain ait une quelconque appétence pour l’autofiction. Son œuvre, forte d’une vingtaine de romans, en est la preuve. Il est pourtant des textes auxquels on n’échappe pas. Maman est de ceux-là.
La mère de l’auteur meurt le 30 janvier 2020. Madeleine dite aussi Mado, Magdalena, Madelon, noms destinés à tenir le pathos à distance, avait alors 106 ans. Un âge plus qu’honorable pour cette femme a la voix de stentor, qui n’aimait rien tant que le champagne et le foie gras que son fils unique lui apportait à chaque visite. Une forte femme dont Régis Jauffret entreprend de faire le portrait. Un portrait bien dans sa manière, dans lequel il prend soin de préciser « je dis ici toute la vérité » pour aussitôt nuancer « je dois cependant mentir, falsifier, gommer, imaginer ». D’où l’appellation de roman. Et quel roman ! Maman s’inscrit entre la mort de la mère et son enterrement. Soit deux cent cinquante pages d’une logorrhée irrésistible dans lesquelles le fils va décortiquer leur relation. Deux cent cinquante pages d’une absolue sincérité où « Jau » ne cache rien de son adoration, de sa culpabilité, de sa lassitude et de son exaspération envers cette femme qui rêvait d’être « une Marie Curie, une Teresa, une Virginia Woolf, une Serena Williams de la mératerie ». Une femme qui ment à tout bout de champ. Abuse du chantage à la mort et réécrit son histoire. Une femme qui tapisse son appartement de photos de son fils en format géant et a pour lui des attentes écrasantes. C’est pour elle que l’auteur d’Asiles de fous s’est mis à écrire, à seule fin de la séduire puis, plus tard, avec l’espoir de combler son besoin de reconnaissance.
Mais rien n’est jamais assez pour cette mère effroyable. À tel point que le fils gardera à vie un manque de confiance en lui et le sentiment épuisant de n’être jamais à la hauteur. Il aura beau lui régler son compte, la « tabasser » symboliquement, lui intenter un procès, rien n’entamera son amour dévorant. « Je l’ai aimée, je l’ai tant aimée. […] Je l’aime encore, je l’aimerai toujours et puisqu’il ne me reste pas tant de siècles à vivre, je peux supposer que je tiendrai parole. » On connaissait de Régis Jauffret sa noirceur, son ironie, son cynisme, l’on découvre ici sa fragilité et son extrême sensibilité. Maman est une déclaration d’amour rageuse, violente, cocasse, macabre, bouleversante, brillante. En un mot : inoubliable.
Maman, Régis Jauffret, Éditions Récamier, 2025. 256 pages




