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Aston Villa/Maccabi Tel-Aviv: l’ordre public britannique, cet arbitre aux décisions surprenantes

Une atmosphère toxique en dehors du stade...


Aston Villa/Maccabi Tel-Aviv: l’ordre public britannique, cet arbitre aux décisions surprenantes
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La ville de Birmingham a interdit aux supporteurs du Maccabi Tel-Aviv d’assister à un match de Ligue Europa pour des raisons de sécurité, une décision dénoncée comme une capitulation face à l’antisémitisme – tandis que des groupes islamistes extrémistes sont comme des poissons dans l’eau au Royaume Uni.


Vous aimez la Ligue Europa ? À Birmingham en Angleterre, le 6 novembre, il y aura un match sympa qui opposera une équipe locale, Aston Villa, à Maccabi Tel Aviv. Envie d’y aller ? Sauf que, si vous êtes supporteur de Maccabi Tel Aviv, vous ne pouvez pas. Il vous est interdit d’acheter des billets. Car la ville de Birmingham, grand centre des communautés issues de l’immigration pakistanaise en Angleterre, a décidé que votre présence lors du match constituerait un risque trop élevé pour l’ordre public. C’est la conclusion d’une commission municipale composée de policiers, d’élus locaux et de spécialistes en sécurité, qui a été fortement influencée dans ses délibérations par ce qui s’est passé en novembre de l’année dernière quand Maccabi Tel Aviv a rencontré Ajax à Amsterdam. Des provocations, violences, représailles et récriminations mutuelles entre les supporteurs israéliens et des habitants musulmans propalestiniens ont fait cinq blessés et conduit à 65 arrestations et ont obligé les forces de l’ordre néerlandaises à mobiliser 5 000 policiers pendant trois jours. La ville de Birmingham a conclu que, parmi les supporteurs de Maccabi Tel Aviv, il y avait des éléments aptes à troubler l’ordre public. Aucune référence n’a été faite à de possibles provocations de la part des habitants locaux.

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Aveu d’impuissance

Cet aveu d’impuissance face à la menace d’affrontements entre juifs et musulmans a scandalisé le public britannique et jusqu’au gouvernement de sir Keir Starmer, d’autant que l’annonce de Birmingham intervient à peine quelques semaines après l’attentat islamiste contre une synagogue à Manchester qui a coûté la vie à deux Anglais de confession juive. Le Premier ministre a dit publiquement que c’était « la mauvaise décision ». Cette dernière, quelle que soit sa justification sur le plan pratique, a tout l’air d’une capitulation devant l’antisémitisme. Mi-octobre, la Secrétaire à la Culture, Lisa Nandy, a informé le Parlement que le gouvernement trouverait les ressources nécessaires en argent et en hommes pour garantir le maintien de l’ordre et permettre aux supporteurs israéliens d’assister au match. Pourtant, les forces de l’ordre de la région de Birmingham ont approuvé la décision municipale et le gouvernement n’a pas le droit d’intervenir pour leur faire changer d’avis, selon la doctrine de « l’indépendance opérationnelle » de la police. C’est ce même concept juridique qui avait empêché le gouvernement conservateur de Rishi Sunak d’interdire les grandes marches propalestiniennes qui ont suivi le 7-Octobre.

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Finalement, la direction de Maccabi Tel Aviv a refusé les billets qui étaient réservés à ses supporteurs, motivant son refus par l’« atmosphère toxique » qui entourait l’événement. Pour comble, le député de la circonscription où le match doit avoir lieu, Ayoub Khan, homme politique indépendant affilié au nouveau parti de Jeremy Corbyn, originaire du Pakistan et opposé, en tant que musulman, aux droits LGBT, a déclaré que la décision de sa ville n’était même pas un calcul fondé sur la sécurité mais une « question morale ».

Au-delà de l’incapacité apparente des autorités à maintenir l’ordre public quand il s’agit d’affrontements potentiels entre, d’un côté, Israéliens ou juifs, et de l’autre, musulmans ou militants propalestiniens, il y a une incohérence flagrante dans la manière officielle de traiter les troubles à l’ordre public. Car le 23 octobre, dans cette même ville de Birminghman, une manifestation a été organisée, en toute impunité, devant le consulat du Pakistan par la branche locale d’un parti pakistanais, Tehreek-e-Labaik. Il s’agit d’un mouvement d’extrémistes qui prônent publiquement la peine de mort pour toute personne considérée comme coupable de blasphème et appellent ouvertement à l’anéantissement violent de l’État d’Israël. Ils exigent que le code civil pakistanais soit remplacé par la charia, dénoncent l’homosexualité et s’opposent à tout rôle pour les femmes dans la vie publique. Ils manifestent régulièrement contre ce qu’ils considèrent comme des cas de blasphème, comme ils l’ont fait, par exemple, au moment de l’attentat contre Charlie Hebdo.

On reparle de l’affaire Asia Bibi

À l’origine, Tehreek-e-Labaik était un mouvement créé pour soutenir l’assassin du gouverneur du Punjab en 2011. Ce gouverneur s’était opposé à la peine de mort pour une femme chrétienne, Asia Bibi, convaincue de blasphème. Le mouvement s’est transformé en parti politique en 2016 et ce dernier est arrivé en quatrième position dans les élections pakistanaises de 2018. Le recours fréquent à la violence par ses militants a conduit les autorités pakistanaises à interdire le parti une première fois, mais l’interdiction a été levée peu après, le parti s’engageant à renoncer à la violence. Or ce renoncement s’est révélé purement théorique, car les 10 et 11 octobre de cette année, ses activistes ont organisé une manifestation géante anti-israélienne à Lahore qui a provoqué cinq morts, dont celle d’un policier. Les autorités pakistanaises ont alors de nouveau banni le parti. C’est contre cette nouvelle interdiction que la branche anglaise du parti manifestait à Birmingham le 13 octobre…

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Tehreek-e-Labaik est donc un parti extrémiste interdit dans son pays d’origine mais pas au Royaume Uni. Pourtant, il y a des signes indiquant que le parti y exerce une influence non-négligeable. En 2016, un chauffeur de taxi de la ville de Bradford dans le Yorkshire, Tanveer Ahmed, s’est rendu à Glasgow en Écosse afin d’abattre froidement un commerçant de 40 ans, Asad Shah. Ce dernier, qui appartenait à un courant pacifiste de l’islam, l’ahmadisme, considéré comme hérétique par sunnites et chiites, avait posté des vidéos en ligne où il parlait de sa foi. Une provocation aux yeux d’Ahmed qui s’est donc cru autorisé à éliminer ce « faux prophète », comme il l’a dit. Condamné à la prison à vie en Ecosse, l’assassin a pu envoyer des messages enregistrés à d’autres activistes révélant que son « mentor » était Khadim Rizvi, le fondateur même de Tehreek-e-Labaik. Ces enregistrements, où Ahmed exprime son absence de remords pour le meurtre de M. Shah et affirme que la seule punition pour ceux qui insultent la Prophète consiste à « couper leur tête de leur corps », ont été utilisés par M. Rozvi à des meetings pour attiser la ferveur des militants. Un rapport commandé par le gouvernement britannique et publié en mars 2024 alerte sur les progrès faits par des militants extrémistes qui ont pour objectif de punir tout ce qu’ils considèrent comme blasphématoire et de faire adopter au Royaume Uni une véritable loi contre le blasphème.

Sans surprise, la rhétorique utilisée par les manifestants à Birmingham le 13 octobre correspond exactement à ce qu’on aurait pu prévoir. Selon nos confrères du journal en ligne britannique, Unherd, une vidéo postée en ligne montre des activistes qui traitent Donald Trump et Benyamin Netanyahou de « chiens » qui méritent « les feux de l’enfer », et qui prônent la solution à un seul État pour la Palestine, en affirmant qu’il faut revenir à la période avant le nakba et la création d’Israël.

Si les autorités de Birmingham veulent savoir où est le vrai risque pour l’ordre public, et même pour l’avenir du Royaume Uni, il est là.




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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