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Armes turques au Soudan: lire entre les lignes du rapport de l’ONU

Au Soudan, la Turquie redessine le commerce mondial des armes


Armes turques au Soudan: lire entre les lignes du rapport de l’ONU
« De la fumée s’élève après des frappes de drones menées par les Forces de soutien rapide (FSR), une milice paramilitaire, qui ont visé le port nord de la ville de Port-Soudan, sur la mer Rouge, au Soudan, le 6 mai 2025 © AP/SIPA

Un récent rapport des Nations Unies a confirmé que le conflit en cours au Soudan est alimenté par l’arrivée d’armes de fabrication turque, malgré l’embargo sur les armes qui aurait dû empêcher une telle issue. Cette découverte est plus qu’une simple violation du droit international : elle met en lumière la manière dont des États fragiles deviennent des laboratoires d’essai pour les technologies militaires de pointe et comment des puissances moyennes comme la Turquie remodèlent le commerce mondial des armes.

Ce que l’ONU a découvert

Les experts de l’ONU ont détaillé un ensemble de systèmes turcs actuellement présents au Soudan, notamment :

  • Drones Bayraktar TB2 : Déjà connus pour leur rôle dans les conflits, de la Libye à l’Ukraine, les TB2 sont désormais utilisés au Soudan, offrant aux factions de nouvelles perspectives et des capacités de frappe de précision.
  • Drones Akenji : Un modèle plus récent et moins répandu, suggérant que le Soudan pourrait être un terrain d’essai précoce pour leur déploiement, que ce soit par le biais de ventes clandestines ou de transferts à des tiers.
  • Systèmes de guerre électronique : Ils permettent aux forces de brouiller les communications, de perturber les radars et même de neutraliser les drones adverses. Ces systèmes avancés sont rares dans les conflits africains et représentent un progrès majeur en termes de capacités.
  • Armes légères et véhicules blindés issus de fabricants turcs.

La présence de ce mélange d’armes suggère que le conflit soudanais est en pleine évolution. Ce qui était autrefois une lutte de pouvoir conventionnelle entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR) est aujourd’hui transformé par les drones et la guerre électronique, des outils capables de faire pencher la balance d’une manière que les armes traditionnelles ne peuvent pas faire.

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Implications sur le conflit soudanais

Pour le Soudan, l’arrivée des systèmes turcs a deux conséquences majeures.

Premièrement, elle accroît les enjeux de la violence. Les drones comme le TB2 facilitent la surveillance et les frappes ciblées, tandis que les systèmes de guerre électronique complexifient les communications sur le champ de bataille. Ensemble, ils permettent des campagnes plus précises et plus durables, mais avec des coûts dévastateurs pour les civils piégés dans les zones de combat urbaines.

Deuxièmement, elle remodèle les rapports de force. Dans les conflits où la légitimité et le contrôle sont déjà fragiles, l’introduction de technologies avancées peut rapidement inverser la tendance. La partie qui a accès à ces systèmes gagne non seulement en influence militaire, mais aussi en pouvoir de négociation politique.

Le rôle croissant de la Turquie dans les flux mondiaux d’armes

Le rapport reflète également une tendance plus large : l’essor de la Turquie comme exportateur mondial de matériel de défense. En développant sa propre industrie de drones et d’armement, Ankara s’est taillé une place de fournisseur de choix dans des régions où les armes occidentales sont soumises à des restrictions et où les chaînes d’approvisionnement russes sont surchargées.

Mais le Soudan soulève des questions délicates. Soit les entreprises turques ignorent les restrictions imposées par l’embargo, soit les armes sont détournées par l’intermédiaire de courtiers et de tiers, Ankara fermant les yeux. Dans les deux cas, la communauté internationale a peu de moyens de faire respecter les responsabilités.

Pourquoi cela compte au-delà du Soudan

Le cas du Soudan illustre plusieurs risques plus vastes.

L’affaiblissement des embargos sur les armes, d’abord. Si les embargos peuvent être contournés aussi facilement, ils perdent leur crédibilité en tant qu’outils de gestion des conflits. La propagation de la guerre par drones dans les États fragiles est également préoccupante : le Soudan pourrait créer un précédent pour d’autres pays en conflit, où drones et systèmes de guerre électronique pourraient devenir monnaie courante.

Conséquences géopolitiques : en fournissant des systèmes avancés, la Turquie renforce ses liens avec des acteurs que l’Occident refuse de soutenir, permettant à Ankara d’étendre son influence dans les régions contestées.

Les conclusions de l’ONU constituent un signal d’alarme. Les drones et les systèmes de guerre électronique de fabrication turque ne constituent pas seulement des violations des sanctions ; ils changent la donne dans un conflit qui se transforme déjà en l’une des pires crises humanitaires au monde.

À moins que la communauté internationale ne dépasse les embargos symboliques et ne mette en place de véritables mécanismes de surveillance et de sanction des violations, le Soudan pourrait devenir le premier d’une longue série de conflits où les exportateurs d’armes de moyenne puissance contribuent à alimenter des guerres aux conséquences régionales dévastatrices.



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Souad Sbai est une ancienne députée italienne d’origine marocaine, active dans la lutte contre les injustices faites aux femmes issues de l’immigration.

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