Le départ du Premier ministre accentue la pression sur Emmanuel Macron, déjà scruté de près par les marchés obligataires auprès desquels la France emprunte. François Bayrou espérait réaliser 44 milliards d’économies dans le prochain budget. Mais sa déclaration de politique générale, présentée hier à l’Assemblée, a été sèchement rejetée : 194 voix pour, 364 contre et 15 abstentions. Pour la première fois depuis la fondation de la Ve République, un gouvernement chute lors d’un vote de confiance. Et pendant ce temps, une bonne partie des citoyens s’en amuse…
Hier, quelque chose est tombé. François Bayrou bien entendu, et avec lui son grand dessein de centriste prétendant marier droite et gauche, et que personne de sérieux ne voulait épouser. Mais quelque chose de plus important que lui s’est écrasé au sol sous nos yeux, quelque chose dont la chute est plus grave et bien plus historique. Nous venons d’assister au vol plané, sans parachute, de l’économie française. Elle vient de rendre son avant-dernier souffle, et la question qui se pose à nous désormais est : allons-nous périr avec elle ? Ce n’est pas encore certain, mais c’est le plus probable.
La grande muraille de l’indifférence
François Bayrou a passé sa longue et ennuyeuse carrière à nous parler de la dette et de ses dangers. Il avait raison. Seulement, en politique, avoir identifié un sujet crucial ne suffit pas. Il faut également savoir l’imposer et, malgré ses inlassables tentatives, Bayrou n’y est jamais parvenu. Il n’a jamais réussi à nous avertir suffisamment fort, avec assez d’intelligence, de ruse ou de colère, pour franchir la grande muraille de notre indifférence. Il était le lanceur d’alerte dont l’alerte est un boomerang : elle lui revenait en pleine tête. Pire : cela finissait par nous faire rire. On pensait que cette satanée dette était la lubie de Bayrou, son originalité, sa dinguerie personnelle. Bergson dit que « l’automatisme installé dans la vie » est un des ressorts de l’humour. Bayrou incarnait le comique de répétition de la dette. Alors, il avait fini par nous dégoûter de cette thématique pourtant essentielle comme, en d’autres temps, Jean-Marie Le Pen de l’immigration ou Jacques Chirac du derrière des vaches.
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En cela, Bayrou est éminemment fautif et mérite son effondrement final. Lorsqu’on veut évoquer une tragédie aussi sombre que celle de la dette, il faut soit être convaincant et éloquent, et réussir, soit s’abstenir, mais surtout pas faire s’esclaffer la populace. La France vient d’éclater d’hilarité en le voyant tenter de se raccrocher aux branches, mais ce charivari parlementaire et médiatique n’est guère de bon augure. Le pire est devant nous.
Le FMI aux trousses
Pourquoi nous endettons-nous au point de ne presque plus avoir d’avenir ? Parce que l’État dépense autant qu’il peut, c’est-à-dire infiniment, et qu’il ne cessera de le faire que lorsque les troupes du FMI défonceront nos portes et réquisitionneront nos biens. Et pourquoi l’État se comporte-t-il ainsi, tel un alcoolique couché sous le tonneau, tellement noyé sous le flot ininterrompu de vin qu’il oublie qu’il boit pour oublier qu’il boit pour oublier qu’il boit, ad libitum ? Parce que la France est la terre d’élection de l’imbécilité économique.
Certes, nous pourrions encore donner des leçons de maintien budgétaire à la Corée du Nord ou à l’Afghanistan. Mais eux ont des excuses. Nous n’en avons aucune. Nous avons été prospères autrefois, nous avons donné naissance au génie de Renault et de Chanel, nous avons des universités, des patrons des patrons, toute la panoplie nécessaire pour comprendre que deux et deux font quatre. Or, nous ne le savons plus. Le socialisme a effacé notre expérience économique sous toutes ses formes : notre savoir-faire, notre flair et même notre bon sens le plus basique. Voyez les programmes d’économie de nos lycées. Tout n’est que bavardage idéologique sans queue ni tête, éloge des éoliennes, condamnation du profit, brame au sujet des inégalités, détestation de la consommation. Dès le plus jeune âge, le petit Français apprend par cœur le bréviaire économique des Insoumis. Et, dans ce catéchisme où les seuls créateurs admis sont les artistes subventionnés, les seuls entrepreneurs tolérés les derviches de l’économie circulaire – entendez : de la décroissance -, la dépense est une excellente chose. Elle permet de redistribuer. Elle aplanit. Elle pacifie. Elle anesthésie. Elle vous plonge dans un délicieux coma artificiel. Elle en finit avec l’antique verticalité sociale, qui voulait que les plus courageux gagnent davantage que les glandus.
Devoir de mémoire
Oh, certes, il nous reste des chefs d’entreprise motivés, des cadres dynamiques, des commerçants amoureux de leurs clients, des artisans qui croient en la beauté de leurs métiers, et même des paysans qui plantent et récoltent au lieu de déverser leurs légumes sur l’autoroute. Mais nous savons bien que ces braves gens toujours debout sont une race condamnée à la disparition à moyen terme, voire plus tôt encore. L’avenir radieux est au bureaucrate, à celui qui ne crée rien et attend la becquée administrative.
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Nous ne regretterons pas François Bayrou, tant son échec à imposer la dette au centre du débat est flagrant, et c’est de sa faute. Mais son agonie politique signe la victoire de ceux qui pensent, comme l’annonçait une affiche soviétique sous Staline que « 2 + 2 = 5 ». Alerte rouge, car le XXème siècle l’a démontré avec force pleurs et tremblements : ils ne s’arrêtent jamais en chemin. On n’a jamais vu un socialiste cesser de croire que, selon la recette de Bakounine, pour créer, il faut détruire. Au bout de ce process, plus ou moins lent, mais toujours le même, il y a la ruine, et tout au bout de la ruine, le regard vide des Ukrainiens pendant la grande famine des années 30. Pensez-vous que j’exagère ? Détrompez-vous et faites un peu preuve de devoir de mémoire économique. Demandez donc aux Grecs, qui ont connu l’angoisse bien réelle des étagères vides dans les pharmacies. Vous ne savez pas encore ce qu’est la peur économique. Cette piscine n’a pas de fond.

Que faire, bon sang ! Attaquer la dépense publique, cette folle furieuse, comme si elle était notre ennemie jurée. Car elle est notre ennemie jurée et prioritaire. Qui ne l’exècre pas n’aime ni la vérité, ni la liberté, ni même la France. Mais nous ne sommes que de braves citoyens sans puissance dans un pays centralisé ! Vers qui nous tourner ? Détectez les politiciens, car il en reste une petite poignée, qui parlent de la dépense et la détestent autant que vous. Soutenez-les. Encouragez-les. Poussez-les dans le dos vers l’obstacle. Votez pour eux. Et tancez très vertement ceux qui, à droite autant qu’à gauche, vous promettent encore un peu ou beaucoup d’aides de l’État, d’aimables subventions, bref, de socialisme, qu’il soit flaccide au RN ou en érection chez LFI.
Non, François Bayrou, tu n’es peut-être pas mort pour rien. À nous de faire de ton extinction en direct live le signal d’alarme que tu n’as jamais su déclencher. Tu es mort trop tard, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
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