Un auteur comme Robert Brasillach, dont on peut apprécier le talent littéraire tout en déplorant l’engagement politique, ne mérite pas d’être traité à la légère. Ce n’est pourtant pas toujours le point de vue de la presse de gauche. Un article du Nouvel Obs l’a déprécié sur tous les plans en adoptant un ton railleur. Notre chroniqueur s’en indigne.
Le hasard des vacances, dans d’autres demeures, familiales ou amicales, fait que parfois on lit avec retard des hebdomadaires dont certains articles vous saisissent. C’est ce qui m’est arrivé en lisant un Nouvel Obs du 1er mai 2025, avec un texte de Grégoire Leménager dont le titre est « Fallait-il exécuter Robert Brasillach ? ».
Cet écrivain, fusillé en 1945 pour intelligence avec l’ennemi, m’avait passionné dans ma jeunesse, comme, sur un autre registre profond, mélancolique et suicidaire, Drieu la Rochelle. Mon livre sur Robert Brasillach – 20 minutes pour la mort – était une manière de me mettre au clair avec cette trouble admiration pour la dignité de sa mort à la suite d’un procès honteux. Accompagnée d’un sentiment d’horreur à la lecture de ses écrits de journaliste politique au cours d’une période où, à défaut d’héroïsme ou de vraie résistance, l’abstention était un minimum.
Lisant l’article de Grégoire Leménager, je n’ai pu m’empêcher de songer à ce propos de Jean Genet : « Je ne me moque jamais, j’ai trop à faire d’aimer ou de haïr ». C’est précisément la moquerie, presque la dérision imprégnant l’analyse (si l’on peut dire) de Grégoire Leménager qui m’ont perturbé. Tous les sentiments ont droit de cité pour appréhender la destinée singulière de Robert Brasillach, brillant critique littéraire à 23 ans puis fasciné par le nazisme « immense et rouge » au point de s’abandonner au pire du journalisme partisan et haineux, avant d’être arrêté, alors qu’il aurait pu fuir. Il manifesta durant son procès une allure que personne ne lui a déniée (même ses pires ennemis comme Madeleine Jacob ou Simone de Beauvoir), avant de mourir courageusement à l’âge de 35 ans.
Au-delà de ce parcours, aussi répréhensible qu’il soit, je suis gêné par la condescendance avec laquelle Grégoire Leménager traite l’oeuvre de Robert Brasillach. Ses romans ne sont pas que « médiocres et sentimentaux » et un point de vue plus objectif aurait été bienvenu. L’Anthologie de la poésie grecque, son Pierre Corneille, L’Histoire du cinéma (écrite avec Maurice Bardèche), son Chénier, les poèmes de Fresnes (qui n’ont rien à voir avec « de la poésie faussement naïve ») auraient justifié, même de la part d’un critique littéraire de gauche, des appréciations élogieuses.
Sur le plan idéologique, certaines phrases, pour être littéralement odieuses ou furieuses, sont en plus détachées de leur contexte et rien, dans ce qui à la fin de cette courte existence aurait pu venir nuancer sa malfaisance politique, n’a été même effleuré par Grégoire Leménager.
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La démarche de sauvegarde (pour empêcher qu’il soit exécuté) initiée par François Mauriac, Marcel Aymé et Jean Anouilh (dont l’expérience de la vie en a été affectée pour toujours), est narrée sur un mode léger, presque désinvolte. Il est fait référence à André Gide dont l’appréciation sur le futur qu’aurait eu Robert Brasillach s’il avait été gracié est très discutable.
Sont passées sous silence la lâcheté de beaucoup (Colette ne voulait pas être la première sur la pétition demandant la grâce !) et la déclaration d’Albert Camus la signant par détestation de la peine de mort alors qu’il assurait que Robert Brasillach ne lui aurait pas rendu la pareille s’il avait été condamné à mort.
De cet article, se dégage une impression de malaise comme s’il avait fallu, après l’avoir fusillé, exécuter Robert Brasillach une nouvelle fois, mais médiatiquement.
Je relève qu’un seul livre est cité, celui d’Alice Kaplan dont le travail de documentation est impressionnant mais la vision judiciaire guère critique. Grégoire Leménager aurait dû mentionner l’ouvrage de Michel Laval, aux antipodes de toute moquerie et qui aborde avec gravité et intelligence la problématique questionnée par Grégoire Leménager et y répond positivement.
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On a beaucoup glosé sur le refus de la grâce par le général de Gaulle, alors que François Mauriac avait quitté leur entretien relativement optimiste. Sans doute y a-t-il eu des motivations diverses à cette dureté. Le paradoxe est qu’en 1938, Robert Brasillach lui-même avait considéré qu’un intellectuel ne pouvait pas être exonéré par principe du châtiment suprême en raison de ses seules idées et dénonciations vaincues par l’Histoire.
Résumer Robert Brasillach aujourd’hui en le qualifiant « d’icône de l’extrême droite française » est tout de même un peu court.
Je constate, pour m’en réjouir, que sur le plan de la tolérance, du pluralisme et de la justesse, il n’y a pas l’ombre d’une comparaison possible entre la gauche engagée et médiatique et les médias conservateurs. Comparons la magnifique série du Figaro, totalement ouverte, par exemple consacrée à Antonio Gramsci, avec cette piètre recension moqueuse de Robert Brasillach par Grégoire Leménager.
Il manquait, d’abord, l’honnêteté. Et, si on suit Jean Genet, l’amour ou la haine.
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