La démocratie française meurt d’asphyxie, car elle est étouffée par des règles dépassées, étroitement contrôlées par des juges tatillons et les experts-comptables.
La récente inéligibilité prononcée à l’encontre de plusieurs députés, dont Marine Le Pen, pour des manquements d’ordre administratif contestables, jette une lumière crue sur une dérive dangereuse de notre système démocratique. Celle d’une République de la défiance, gouvernée par un pouvoir administratif tatillon qui place la politique sous surveillance étroite, non pas au nom de l’intégrité démocratique, mais au nom d’un formalisme étouffant. Il est temps de sortir la démocratie française de ce corset bureaucratique.
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Ces décisions d’inéligibilité ne relèvent ni de la corruption, ni d’un enrichissement personnel, ni même de véritables fraudes. Il s’agit d’erreurs ou d’interprétations discutables sur des comptes de campagne, des délais de remboursement, des factures mal libellées dans un contexte de délais très serrés et de réticence des banques à ouvrir des comptes. Dans une République saine, ce type d’incident se règle par des rappels, des amendes ou des ajustements comptables. Mais en France, cela conduit – sans appel – à la mort politique. La disproportion entre les fautes commises et leurs conséquences est flagrant, au détriment du respect dû au vote des électeurs. Le débat politique vit sous la menace d’une instrumentalisation de la réglementation par un appareil juridico-administratif partisan qui élimine les prétendants qui lui déplaisent (François Fillon, Marine Le Pen).
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À ce titre, la comparaison avec la Suisse est éclairante. Ce pays, que personne ne soupçonnera de faiblesse démocratique, n’impose aucune restriction au financement des partis ou des campagnes électorales. Tout y repose sur la transparence, non sur l’interdiction. Chaque citoyen, chaque entreprise peut soutenir un candidat ou une cause, dans le cadre du droit commun. Résultat : une vie démocratique vivante, fluide, où les idées circulent librement et où l’administration n’érige pas la complexité en obstacle à l’engagement politique.
La France, à l’inverse, impose des plafonds de dépenses dérisoires, un contrôle tatillon sur chaque centime dépensé, des interdictions absurdes de publicité dans les médias ou sur internet, et une exigence démesurée de 500 parrainages d’élus pour se présenter à la présidence de la République. Ces contraintes ne protègent pas la démocratie : elles l’étouffent. Elles en font un monopole, financé par l’Etat, pour des rentiers professionnels. Elles favorisent les grands partis installés, disposant d’un appareil capable de décrypter et manipuler ce labyrinthe réglementaire, et découragent les candidats indépendants, les mouvements émergents, les voix nouvelles. Et ce, alors que nous avons besoin de renouveau, de diversité politique et de créativité institutionnelle.
Défiance généralisée
Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, il faut en finir avec la logique de la défiance, fondée sur la multiplication des interdits et des règlementations directives et intrusives. Il faut passer à une logique de confiance dans les citoyens et les candidats, où la liberté d’agir est la règle, et la contrainte l’exception. Cela suppose une réforme en profondeur fondée sur quelques principes simples :
La liberté de financement : tout citoyen ou personne morale (association, entreprise, syndicat…) devrait pouvoir soutenir financièrement une campagne, dans un cadre public clair, avec déclaration obligatoire des dons et des dépenses. La publicité, y compris audiovisuelle et surtout numérique, doit être autorisée.
Un plafond de dépenses doublé : les limites actuelles des dépenses de campagne sont trop basses pour permettre une réelle visibilité, notamment pour les personnalités nouvelles ou hors partis. Rehausser les plafonds permettrait de créer une véritable concurrence et un minimum de professionnalisme et de qualité, tout en diminuant les risques de dérapages comme ceux de la campagne 2012 de Nicolas Sarkozy.
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La fin du monopole public de financement des partis : le soutien public doit exister, mais ne saurait être exclusif. Il étouffe la concurrence politique et réduit la vie partisane à une gestion comptable d’instances subventionnées dépendantes de l’Etat et de sa technocratie.
Un allègement drastique des conditions de candidature à la présidentielle : l’exigence de 500 parrainages verrouille le système au profit des partis installés et prive les électeurs de nombreux choix légitimes. Elle siphonne une énergie folle qui plombe les candidats alternatifs au détriment du débat démocratique. Elle doit être remplacée par une exigence plus ouverte et représentative (par exemple un seuil de signatures citoyennes ou de catégories d’élus élargies).
Une limitation du pouvoir des autorités administratives indépendantes (CNCCFP, Conseil d’État, Conseil constitutionnel) dans l’interprétation arbitraire des règles. Il faut évidemment permettre l’exercice d’un appel devant la Justice, surtout dans le cas de l’inéligibilité. La démocratie ne doit pas dépendre d’appréciations subjectives sur une facture ou un pourcentage de dépassement.
La France ne manque pas de talents ni de volontés pour réinventer la politique. Mais elle les décourage. Elle les entrave. Elle les élimine trop souvent non pas sur le terrain des idées ou des urnes, mais sur celui du formalisme bureaucratique ou des contraintes financières. En prétendant garantir l’égalité entre les candidats par une série de restrictions, elle fabrique une inégalité de fait entre les professionnels de la politique et les autres, entre les tenants du système et ceux qui le contestent.
Il est temps de redonner à la vie démocratique française un espace de respiration et de liberté. Cela ne signifie pas l’anarchie : cela signifie que les règles doivent protéger les libertés, non les entraver.
La démocratie meurt d’asphyxie quand elle devient une affaire d’experts-comptables, de juges et de bureaucrates contrôleurs. Elle vit quand elle permet à chacun de s’exprimer, de convaincre, de proposer, de se lancer. La déréglementation du financement de la vie politique est la condition préalable d’un renouveau démocratique.
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