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Le fascisme: ce centrisme qui s’ignore

Fabrice Bouthillon publie "Situer le fascisme: L'addition italienne des extrêmes (1914-1945)" (Le Cerf, 2025)


Le fascisme: ce centrisme qui s’ignore
Mussolini discute avec un soldat italien, 1944 DR.

L’historien Fabrice Bouthillon développe des analyses inédites sur le fascisme dans son nouveau livre. Si tout n’est pas forcément convaincant, cette lecture rafraichissante donne à réfléchir.


On croyait avoir tout lu, tout dit, tout écrit et tout entendu sur le fascisme… Des pavés de spécialistes répondant à d’épiques « débats historiographiques », des bréviaires militants jusqu’à la martyrologie des antifascistes… Et voilà qu’un historien trublion, connu pour ses ouvrages iconoclastes, renverse la table des catégories intellectuelles. Situer le fascisme : l’addition des extrêmes, paru en 2025 aux éditions du Cerf, est moins une nouvelle thèse sur Mussolini qu’un exercice d’archéologie spirituelle, théologique et politique. Ici Mussolini n’est pas seulement le junior partner d’Hitler au menton narquois : c’est le fruit amer d’un long processus de macération théologico-politique… 

Le fascisme : un centrisme en bottes de cuir mais sans chapeau melon 

Le fascisme, qu’est-ce que c’est ? C’est d’abord une injure assez courante au XXIe siècle… « Fasciste » ou facho dit la gauche quand elle accuse la droite de passion identitaire ou de dérive autoritaire ; « fasciste » dit la droite quand elle rappelle (à bon droit) le passé socialiste de Mussolini ou dénonce son terrorisme intellectuel. La thèse de Bouthillon est simple, assez brillante, provocante et presque choquante : le fascisme, ce n’est pas l’extrême droite. En tout cas, ce n’est pas seulement l’extrême droite. Et ce n’est pas non plus la gauche dévoyée. Le fascisme c’est… le centre. Ou plutôt un centre. Mais attention : pas le centre mou, radical-socialiste, louis-philippard, de concentration républicaine, macrono-bayrouiste, giscardo-rocardien, gliotto-weimarien… Pas le centre de cabinet, de compromis, de complaisance qui négocie des amendements dans les couloirs de l’Assemblée. Non : le centre lourd, épais, vorace, attrape-tout. Un centrisme, précise l’auteur, « par addition des extrêmes » et non par exclusion. Soit le contraire de l’eau tiède :  plutôt une fusion nucléaire, aux accidents nombreux, terribles et prévisibles. 

Bouthillon revient à l’origine : 1789 fut un big bang politique mais aussi une fracture métaphysique. En 1790, les partisans du véto royal se tassent à droite des gradins de la Salle du Manège, les adversaires à gauche. La suite est un roman feuilleton type XIXe : la gauche vote la mort du roi, le centre fait la moue et la droite tente de recoller la tête couronnée sur les épaules de la nation. Le pays tangue entre tous les régimes – Empire, Restauration, monarchie de Juillet, République, empire encore, république ensuite – et finit par avoir la nausée. Paris gueule. La campagne soupire. L’élite vacille. Les préfets tremblent et attendent les ordres. C’est alors que le centrisme entre en scène. Avec le calme du notaire, le ton du rentier en goguette et le discours de monsieur Homais dans Madame Bovary, il répète qu’il faut pacifier, recoudre, réconcilier… Un peu de droite pour l’ordre et les pompes cirées, un peu de gauche pour ne pas désespérer les faubourgs. Savant mélange qui, à l’expérience, se révèle surtout instable. Ce centrisme-là, pour Bouthillon, peut séduire mais ne tient pas longtemps. Il n’est qu’un accommodement de circonstances. D’ailleurs le Directoire a laissé l’image d’un régime impuissant et corrompu renversé par le 18 brumaire et Bonaparte. 

Théologie politique pour temps de disette intellectuelle 

La vraie tentation moderne est ailleurs… dans l’addition des passions politiques contraires. Ce « centrisme par addition des extrêmes » dont parle Bouthillon – et qu’il oppose à l’autre centrisme, modéré « par exclusion des extrêmes » – emprunte à la gauche sa passion égalitaire et à la droite son culte du chef de l’autorité. Mussolini avant d’être le Duce fut d’abord le numéro trois du parti socialiste italien. Ses premiers élans furent socialistes et il finit comme allié du roi et soutien de l’Église. Pourtant, il pique à la gauche ses méthodes et ses symboles (le faisceau aux révolutionnaires, la mobilisation des masses aux socialistes, la violence révolutionnaire aux syndicalistes révolutionnaires, la déstabilisation de l’État aux anarchistes, l’organisation en parti aux communistes) et à la droite son programme (défense de l’ordre et de la nation). Il tutoie les paysans depuis la tribune, monte sur les tables comme dans une fête populaire, s’efforce de faire peuple, rappelle qu’il est fils d’une institutrice socialiste… 

L’analyse de Bouthillon passe aussi aux choses sérieuses : les péchés capitaux version politique. Il remonte à Saint Augustin, aux conflits entre sacerdoce et empire et tutti quanti… Pour lui, le fascisme n’est pas seulement une dérive autoritaire : c’est aussi une hérésie. Ou une religion de substitution, prométhéenne, tragique, en quête de « sublime », qui rêve de réinventer l’homme en copiant Dieu. Ainsi le totalitarisme ne promet pas le salut dans le ciel mais l’ordre nouveau. Chacun son idole pour remplacer Dieu : l’État et la nation pour Mussolini, la classe sociale et la révolution pour Staline, la race pour Hitler. Mais tous selon Bouthillon commettent le même pêché : diviser l’homme en retenant l’un de ses caractères (social, ethnique ou politique). Et Bouthillon de trancher, d’un ton de confesseur excédé : « « il n’est évidemment pas au pouvoir de l’humanité de fonder l’humanité. »

« Hitler et Mussolini en thérapie » 

Droite, gauche ? L’ouvrage – mais aussi l’œuvre générale de Bouthillon – offre une définition théorique de ce clivage qui oppose le primat du local (à droite) au primat du global (à gauche). 

La gauche dans son impulsion naturelle pense d’abord en termes d’idées, d’abstractions, cherche à élaborer des lois universelles, sacre l’Homme avec un grand H, promet des révolutions mondiales, s’enthousiasme pour les traités planétaires… Elle pense « universel ». La droite, elle, ne jure que par son pays, son clocher, ses moutons, ses haies de buis, ses morts, des grands-mères… Elle pense d’abord « local ». Jean-Marie Le Pen avait brutalement résumé l’opposition : «Je préfère mes filles à mes nièces, mes nièces à mes cousines, mes cousines à mes voisines, mes voisines à des inconnus et des inconnus à mes ennemis.» 

Dans le chapitre « Hitler et Mussolini en thérapie », Bouthillon ose tout, y compris l’humour – toujours délicat à magner sur ces sujets. Hitler ? Un Œdipe en uniforme : « son père était douanier, et lui-même aura passé l’essentiel de sa vie à renverser des postes frontières »… Finalement, les livres de Bouthillon rafraichissent, choquent et donnent à penser plus qu’ils n’instruisent. Le contraire d’un pavé universitaire illisible noyé dans l’anecdote. L’auteur est aussi connu pour son ouvrage L’impossible Université » où il dénonçait l’enrégimentement par les concours et la paresse intellectuelle des professeurs. L’héritage, selon lui, du premier « centriste par addition des extrêmes » : un certain Bonaparte… 

280 pages.




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