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Rejet de greffe étatique en Centrafrique


Rejet de greffe étatique en Centrafrique

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Depuis le coup d’Etat du 24 mars dernier, l’attitude de Paris vis-à-vis du chaos centrafricain est passée de l’attentisme à l’activisme. « Une gestion à la petite semaine », s’indigne le politologue Roland Marchal dans sa récente tribune au Monde[1. Roland Marchal, « Cessons ces interventions de courte vue », Le Monde, 6 décembre 2013.]. Si l’on peut saluer la décision du président François Hollande de déclencher, ce 5 décembre 2013, l’opération Sangaris, avec l’accord de l’ONU, comment se satisfaire du temps perdu par la France, et de la perspective d’une réaction à courte vue, exclusivement sécuritaire ? « La Centrafrique n’est pas le Mali. Il s’agit plutôt d’un coup de main ponctuel donné au pays et à a région avant de passer le relais rapidement, au bout de six mois. »? aurait ainsi déclaré Laurent Fabius[2. Le Figaro, 27 novembre 2013.].

Obsédé par l’enterrement de la Françafrique dont il affirmait vouloir « tourner la page » lors de sa campagne, François Hollande, ne s’est pas encore donné les moyens d’une nouvelle politique africaine digne de ce nom. Trop pressé de se démarquer des imprécations moralisatrices et ethnocentriques proférées par son prédécesseur, lors du discours de Dakar en 2007, Hollande s’est inscrit résolument du côté des Modernes, pour reprendre l’expression forgée par Yves Gounin[3. Yves Gounin, La France en Afrique, Le combat des Anciens et des Modernes, Paris, De Boeck, 2009.], qui désigne les partisans d’une banalisation des rapports entre la France et l’Afrique, face aux Anciens, nostalgiques du paternalisme français sur le continent. Cette banalisation n’a pas rendu leur fierté aux Africains, car ils ne la désirent pas eux-mêmes. L’enlisement du chaos centrafricain prouve encore que cette politique du moindre mal ne suffit pas.

À défaut d’un souffle partagé avec les Africains, d’une vision modeste mais assumée, on s’en tient à l’écran de fumée des responsabilités partagées. L’objectif de multilatéralisme, agir dans le cadre d’un mandat de l’ONU, agir en soutien d’un contingent panafricain, s’appuyer sur l’Union européenne, fait office de nouveau dogme. On en voit déjà les failles : la relative indifférence de la communauté internationale à propos de l’Afrique noire, quand il n’est pas question d’opportunités économiques à saisir, de ressources à capter ; l’incapacité de l’Europe à agir, en rangs serrés, sur le plan international ; l’inefficacité des troupes africaines, mal formées, mal payées, mal équipées. Faut-il ainsi préciser que 2500 soldats, du Cameroun, du Tchad, et du Congo-Kinshasa sont déjà déployés en République centrafricaine sous la bannière onusienne de la MISCA ? Ils ont été les spectateurs passifs des innombrables exactions des derniers mois. Les 600 marsouins et autres forces spéciales françaises, projetés sur Bangui, en appui aux 600 soldats français déjà sur place, vont donc faire le job, sous couvert d’appuyer la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA).

La décomposition des Etats fantômes africains appelle pourtant autre chose qu’un simple gendarme, qu’un professeur de démocratie, ou qu’un commissaire aux comptes. Ce qui est en jeu, au fond, en Centrafrique, comme au Mali, ce n’est pas la démocratie, ce n’est même pas la restauration ponctuelle de la paix -ce dont la France s’est fait une spécialité depuis les indépendances-, c’est la construction de la notion d’Etat[4. Jean-Loup Amselle, « Un continent frappé par l’effondrement de l’Etat », Le Monde, 6 décembre 2013.]. L’interventionnisme des années Foccart, des années 60 aux années 80, puis l’exigence de démocratisation des années 90, portée par le Congrès de la Baule, ont tour à tour empêché l’émergence de l’Etat dans les anciennes colonies d’Afrique subsaharienne. Dans un cas, en réduisant les Etats africains à un théâtre d’ombres sur lesquels nous pouvions disposer à notre gré, et avec la complicité des élites africaines, nos hommes de paille. Dans l’autre, en offrant aux potentats africains l’alibi de la démocratie, paravent désormais le plus sûr, face à la communauté internationale, des réseaux mafieux et de la corruption.

L’Etat moderne, neutre et bureaucratique, tiers impartial, garant du droit et de la justice, tel qu’il s’est construit en Europe mais aussi en Asie, au cours du Moyen-Age et de l’époque moderne, n’existe pas en Afrique noire. Il bute sur une culture africaine du pouvoir qui privilégie l’accumulation ostentatoire des biens par le chef -et, par extension, par le clan-, ce qui loin d’en délégitimer les auteurs, en confirme le prestige et nourrit une compétition pour accéder à la table de l’Etat. Jean-François Bayart a pu ainsi parler d’une « politique du ventre ». La distinction entre sociétés acéphales, comme dans le cas de la Centrafrique, et royaumes africains, comme dans le cas du Mali ou du Bénin, ancien Dahomey, n’y change pas grand chose. Les logiques de prédation y étaient les mêmes autrefois, le clientélisme y reste encore la règle aujourd’hui.

Les sociétés africaines ne pourront pas faire plus longtemps l’économie de l’Etat. Contrairement à ce que l’on entend souvent, le modèle est souple. Il doit tenir compte des particularismes culturels, de l’histoire longue, mais il ne peut se réduire, comme il l’été jusque ici, à une coquille institutionnelle vide, et dont les apparences démocratiques masqueraient l’inanité. Il suppose, un pouvoir équitable, un corps de fonctionnaires éduqué et soumis à une exigence d’efficacité et d’impartialité, une société civile responsable et vigilante.

L’Afrique a encore besoin de la France, de son soutien, de son amitié, certes d’une autre manière que celle qui a prévalu ces dernières années. La bonne conscience d’une France repliée sur elle-même est un jeu de dupes qui se paiera de centaines de Lampedusa en 2050. Alors peuplé de plus de deux milliards d’habitants, le continent africain ne manquera pas de venir frapper aux portes d’une Europe vieillissante.

Au-delà du mandat onusien qui accorde douze mois à la France en Centrafrique, il faut assurément asseoir notre politique africaine sur une vision élargie, reconnaissant que nous n’avons pas toutes les clefs du développement mais que notre connaissance du terrain et une amitié dont nous n’avons plus à rougir, nous engagent à soutenir, sans faux-semblants, la construction de l’Etat en Afrique. L’intervention en Centrafrique nous offre l’occasion de relever ce défi.

*Photo : DR.



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est professeur d’histoire-géographie

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