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CO2: la tentation communiste

La démocratie ou l’urgence climatique, le choix des néo-cocos semble fait


CO2: la tentation communiste
Des militants de Greenpeace et d'Extinction Rébellion bloquent le départ de jets privés stationnés à l'aéroport d'Amsterdam-Schipol, 22 novembre 2022 ©REMKO DE WAAL/ANP MAG via AFP

Entre la COP 27 qui demande à l’Occident de passer au confessionnal et au tiroir-caisse pour expier ses péchés environnementaux et les solutions égalitaristes inventées par des experts écolo-communistes, nous ne sommes pas près de mettre fin à nos émissions de CO2. La démographie et les besoins étant différents entre le Nord et le Sud, une coopération mondiale est impossible.


Vade retro Occidentas

La reconnaissance d’une « dette climatique » du Nord envers le Sud fut célébrée comme l’une des percées majeures de la récente COP 27. Inventeur de la « civilisation thermo-industrielle », donc coupable du saccage de la planète qu’on lui reproche (non sans fondement), l’Occident se voit pressé de se couvrir la tête de cendres tout en rédigeant un gros chèque – exercice peu commode au demeurant. En somme, nous aurions beaucoup péché et en offrant le pardon contre espèces sonnantes, la religion écolo remet au goût du jour une pratique jadis chère à l’Église catholique : les indulgences. Une manne destinée à compenser les préjudices subis par 7 milliards de non-Occidentaux et ce au titre des gaz à effet de serre émis depuis la révolution industrielle par l’Europe et les États-Unis.

On pourrait ajouter malicieusement qu’ils ne seraient justement pas 7 milliards si la science européenne n’avait pas, tout à la fois, augmenté les rendements agricoles, fait baisser la mortalité infantile, bref, multiplié Homo sapiens et prolongé son espérance de vie. Mais ce serait caresser la bête immonde dans le sens du poil et reconnaître aux dispensaires coloniaux des vertus – abject ! On ne demandera pas non plus en quoi les Africains auraient un indéfectible droit d’accès aux méfaits d’une thermo-industrie si décriée, alors que les Occidentaux devraient symétriquement y renoncer – ou a minima la vomir. Un bon sujet de philo pour le bac 2023. S’il nous faut jeter notre smartphone pour retourner à l’Âge de pierre, ceux qui y sont restés doivent-ils absolument passer par la case Facebook ou demeurer dans leur case tout court ? Vous avez deux heures.

Vous reste-t-il des quotas carbone ?

Loin de ces mauvaises pensées, Jean-Marc Jancovici, brillant président de The Shift Project, milite pour un « permis carbone » qui, notamment, limiterait le nombre de vols long-courriers au cours d’une existence à quatre voyages par Terrien (contrariante nouvelle au passage pour Greta Thunberg.) Jancovici trouve en effet que « gérer par les quantités est plus égalitaire que gérer par les prix ». L’égalité en matière de carbone pourrait donc, théoriquement, dessiner un nouvel horizon – dès qu’on aura décidé du prix du billet d’avion (je suggère un euro pour le Burkinabé et un million de dollars pour l’Américain). D’inspiration malthusienne, ce communisme du CO2 semble de prime abord inattaquable. Afin de satisfaire aux exigences des modèles climatiques, l’humanité ne pourrait émettre qu’une quantité maximale définie de CO2 par an – assertion, hélas, de plus en plus vraisemblable. Ce numérateur posé, il suffit ensuite de diviser celui-ci par les 8 milliards de Terriens pour déterminer le ratio de CO2 alloué à chaque Homo sapiens. Opération qu’il conviendra d’ajuster au fur et à mesure des évolutions démographiques : 9, 10 et sans doute 11 milliards à la fin du XXIe siècle. Il y aura donc 2 ou 3 milliards de non-Occidentaux supplémentaires d’ici peu (mon conseil : ouvrez un plan d’épargne dette climatique sans trop traîner). Le nombre de vols autorisés au cours d’une vie passera alors de 4 à 3 – mais en réalité à zéro, car les compagnies aériennes auront disparu d’ici là. Et pas qu’elles.

Les cocos du CO2 devraient pourtant modérer leur enthousiasme (bien compréhensible), car leur géniale trouvaille risque de se heurter à quelques difficultés pratiques. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois dans l’histoire que le communisme apparaît comme l’évidente solution à tous nos maux – avec le succès que l’on sait.

Un militant pour le climat, lors de l’ouverture de la COP 27 à Charm el-Cheikh, en Egypte, 6 novembre 2022. « Le déni du changement climatique mérite la peine de mort…» JA/ Sipa Press

Premier obstacle à franchir, l’adhésion démocratique à cette ascèse. Personne, déjà, ne veut de la décroissance – à commencer par les ouvriers pakistanais de la « fast fashion » –, alors le quota de CO2 par individu… Expliquer aux Gilets jaunes ou aux Red Necks américains qu’ils vont devoir émettre autant de CO2 qu’un Éthiopien s’annonce en effet délicat. Pour rallier définitivement leurs suffrages, ajouter qu’au titre des quantités déjà émises par leurs ancêtres, les amateurs de barbecue sur ronds-points enverront chaque année un chèque au dit Éthiopien. Chèque tiré sans doute du commerce des santons en terre cuite que leur quota de carbone leur permettra de façonner. À vue de nez, avec un tel viatique, un bon 2 à 3 % dans un scrutin régulier. Pour éviter tout atermoiement dans la réalisation de ce programme revigorant, le plus efficace demeure finalement d’imposer ces mesures. La démocratie ou l’urgence climatique, le choix des néo-cocos semble fait.

Les Français n’ont pourtant pas à rougir de leur bilan carbone : 1 % des émissions mondiales pour 1 % de la population, une très bonne note pour un pays développé. Une excellence obtenue grâce à la science nucléaire gauloise (sacrifiée par le maléfique trio Jospin-Hollande-Macron, mais c’est un autre sujet). L’humanité aurait ainsi intérêt à mettre le paquet sur la recherche pour relever les défis de l’hyperpollution. Piéger le CO2, trouver le graal de la fusion nucléaire ou, plus prosaïquement, planter des centaines de milliards d’arbres, toutes ces pistes méritent la mobilisation des scientifiques du monde entier. Mais si un chercheur du MIT devait du jour au lendemain – au nom d’un égalitarisme apocalypto-climatique – émettre autant de CO2 qu’un paysan malien, il est vraisemblable qu’il trouverait moins vite une solution à nos problèmes. Sans mépriser nullement la sagesse du paysan malien, je ne miserai en revanche pas tout sur lui pour nous tirer d’affaire. Il semble donc d’emblée indispensable d’autoriser les scientifiques du CNRS à prendre l’avion plus de quatre fois dans leur vie – ainsi qu’à faire tourner leurs supercalculateurs jour et nuit. Un régime d’exception à l’égalitarisme aveugle que le communisme a toujours su gérer en attribuant des privilèges à une nomenklatura, malheureusement sélectionnée sur des critères de pureté idéologique, jamais de compétences. Greta Thunberg montera dans l’avion, Jean-Marc Jancovici (pronucléaire) grimpera sur un âne. Les futurs Lyssenko du régime climato-communiste seront aussi compétents en fusion nucléaire que le paysan malien. J’ai d’ailleurs commencé à stocker des bouses pour me chauffer.

Bidouillages statistiques

L’écolo-coco n’a pas son pareil pour nous bricoler des statistiques sur les « morts prématurées » dues aux particules fines ainsi que sur les « vies épargnées » par tel ou tel dispositif. Il lui sera donc facile d’intégrer à sa répartition mondiale du carbone les différentes dynamiques démographiques. J’explique. Voilà quarante ans que la Hongrie est tombée en dessous du seuil de renouvellement des générations. Des millions de Hongrois n’ont ainsi pas vu le jour, épargnant à la planète une surproduction de goulasch ainsi que quelques millions de tonnes de CO2. À l’inverse, le Nigeria, qui a vu sa population passer de 50 millions d’habitants en 1965 à 219 millions aujourd’hui, avant d’atteindre 543 millions en 2050, va multiplier ses émissions de CO2 par 50. Plus 5 000% ! Dans le même temps, la planète ne comptera plus 11, mais 9 millions de Magyars et la Hongrie diminuera son impact de 10 %. Décidément désireux de filer un coup de main à Pap Ndiaye, je soumets ce sujet de mathématiques pour le brevet des collèges : connaissant désormais les évolutions comparées du bilan carbone hongrois et nigérian, déterminer les indemnités que versera chaque Nigérian à chacun de ses frères hongrois. Traduire la somme en kilogrammes de goulasch.

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La décroissance ne favorise pas la coopération

Le monde post-Covid découvre par ailleurs combien la Chine ou la Russie se révèlent des partenaires peu fiables. La démondialisation en cours offre, en vérité, un contexte des plus défavorables à l’émergence d’une coopération mondiale autour des émissions de gaz à effet de serre. On assiste au contraire à l’essor de discours fondés sur un des ressorts basiques d’Homo sapiens en cas de danger : l’égoïsme ou un altruisme limité à ses voisins immédiats (famille, tribu, nation). Déjà les différents secteurs de l’économie commencent à se disputer leur part de CO2. L’aérien se voit contester le droit d’en émettre 3 %, mais prie le numérique de bien vouloir balayer devant sa porte avec ses 4 %. Des émissions principalement consacrées, il est vrai, à des vidéos de chatons ou à de la pornographie. Il va falloir prochainement arbitrer entre Baléares « all inclusive » ou sodomie en HD. Adieu la société des loisirs.

Steven Pinker, dont l’adhésion aux valeurs progressistes ne peut être questionnée, a mis en évidence les liens entre civilisation et coopération. Plus une société est dite avancée, plus ses acteurs interagissent pacifiquement (États, entreprises, collectivités, individus). Il a d’ailleurs noté – cela lui a été reproché – que les cultures n’offraient pas toutes le même niveau d’entraide ; on coopère ainsi moins bien entre Russes ou Irakiens qu’entre Suédois. Imaginer que l’uniforme répartition du CO2 sur la planète pourrait être acceptable par les Chinois, les Américains et les Indiens, c’est vraiment croire en l’avènement spontané d’un homme nouveau en tous points du globe. La décroissance économique, qu’elle soit progressive ou brutale, ne peut être présentée comme un facteur de coopération – encore moins un objectif. La COP 27, tout en célébrant la culpabilité de l’Occident, n’a ainsi pas réussi à obtenir des pays pétroliers la moindre déclaration relative à la sortie des hydrocarbures (!). En dépit des discours ou de la communication, les perspectives de coopération mondiale autour des gaz à effet de serre s’éloignent sans doute chaque jour un peu plus – le communisme du CO2 n’a aucune chance d’aboutir, on ne s’en plaindra pas, mais la conflictualité va croissante. Nous devrions nous en préoccuper un peu plus, car l’horizon indépassable, c’est peut-être celui-ci.

Un gouvernement responsable ferait travailler une équipe autour de ce thème : si le GIEC a raison, si on ne coopère pas, que fait-on concrètement pour assurer la survie de la population ? Une sorte de cabinet noir au service du réalisme le plus cynique. Difficile de croire que les demeurés qui ont fermé Fessenheim pour, quelques mois plus tard, « relancer » le nucléaire, se montrent capables d’une telle lucidité.

Janvier 2023 – Causeur #108

Article extrait du Magazine Causeur




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Diplômé d'HEC, il a travaillé de nombreuses années dans la presse ("Le Figaro", "Le Nouvel Obs", "Libération", "Le Point", etc.). Affectionnant les anarchistes de droite tels Jean Yanne ou Pierre Desproges, il est devenu l'un des meilleurs spécialistes de Michel Audiard. On lui doit deux livres de référence sur le sujet : <em>Le Dico flingueur des Tontons</em> et <em>L'Encyclopédie d'Audiard</em> (Hugo & Cie).

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