Accueil Édition Abonné Décembre 2022 Pourquoi je préfère me taire

Pourquoi je préfère me taire

Au fond, je veux être un élu, mais pas un politique.


Pourquoi je préfère me taire
Hannah Assouline

Robert Ménard a quitté les réseaux sociaux et suspendu ses interventions radio-télévisées. Loin de l’infernale mécanique du buzz et des likes, il renoue avec le bon sens, la nuance et retrouve sa liberté.


J’ai fermé mes comptes sur les réseaux sociaux et suspendu mes participations aux émissions de télé et de radio. Cette cure de silence – momentanée ou définitive, je ne le sais pas – est à la fois un soulagement et une perte.

Finis Twitter et Facebook. Pas seulement parce que je suis atterré par la violence, la bêtise crasse, la haine des commentaires – le plus souvent lâchement anonymes –, mais aussi parce que je me suis surpris à succomber à cette logique folle qui fait que, pour être « repris », on est toujours plus cash. Une surenchère pernicieuse. Et excitante. On compte toujours plus de likes, plus de followers. Au risque de choisir ses mots en fonction du buzz qu’ils sont susceptibles de nourrir.

À cette logique, je n’échappais pas. Je ne suis pas meilleur que les autres. J’ai cessé de le croire. Alors j’ai arrêté. Même si je regrette, parfois, de ne plus pouvoir, en un clic, donner mon opinion. Mais est-elle si importante ? Je préfère ne pas me poser la question – ce qui m’évite d’avoir à y répondre.

Et puis, avec les réseaux sociaux, vous êtes embarqués, englués dans une mécanique qui fait que même vos silences sont interprétés. Si vous ne réagissez pas aux propos du député RN ayant déclaré « Qu’il(s) retourne(nt) en Afrique », faute, tout simplement, de savoir qu’en dire, vous êtes un traître pour vos amis de la droite de la droite, qui attendent un signe de solidarité, et un raciste pour la gauche de la gauche, puisque vous ne prenez pas vos distances. Et si vous rappelez qu’il est difficile de faire preuve de nuances en 240 signes, vous êtes définitivement classé parmi les lâches par les uns et les autres.

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Avec les médias « traditionnels », c’est autre chose. À la télé comme à la radio, je m’exprime régulièrement. Et je n’ai aucun procès à leur faire. C’est si commode et si faux… J’y suis reçu presque toujours sympathiquement – et encore, ce « presque » est superflu. Sans agressivité. Un peu comme un ami qui, après s’être égaré très à droite, reviendrait à la maison. Ils n’ont pas tort. Maire depuis bientôt neuf ans, j’ai redécouvert le bon sens, le réalisme, la nuance. Bref, la revanche des choses sur les mots. Alors oui, c’est vrai, j’ai changé. Je l’ai dit sans détour (dans ces colonnes[1]). J’ai pris des positions, choisi des formules que je regrette. Sans me chercher d’excuses.

À nouveau bien accueilli dans les médias, pourquoi donc vouloir faire une pause, un pas de côté ? Un ras-le-bol ? Ce serait excessif. Disons plutôt une lassitude. Le sentiment de répéter les mêmes choses. Et même d’être parfois une sorte d’imposteur : interrogé sur nombre de sujets, j’aurais dû répondre, par honnêteté, que, sur certains, je n’avais tout simplement rien de très pertinent à dire. Je l’ai parfois fait. Pas assez tant c’est difficile à expliquer : on attend des « politiques » qu’ils aient réponse à tout. Et ils se prêtent au jeu. Je l’ai fait, comme tout le monde. On résiste, je résiste difficilement à l’appel d’un journaliste. Il fait si bon à la lumière des projecteurs…

Et puis, je ne suis pas sûr, dans tous les cas moins sûr qu’auparavant, de ce que je pense. J’ai des convictions. Mais quand je les décline en décisions, je mesure à quel point elles se cassent régulièrement le nez sur la réalité. Je ne veux pas pour autant me réfugier derrière le sempiternel « C’est plus compliqué que vous ne le pensez » qui cache mal, le plus souvent, un abandon, une abdication. À cela, je refuse de me résigner. Comment aborder un monde qui est tout sauf en noir et blanc sans pour autant renoncer à changer ce même monde que je continue à trouver dégueulasse pour les plus faibles ? À cette question, je ne sais plus apporter de réponses définitives. Du coup, je suis inquiet, stressé en arrivant sur un plateau de télévision comme je ne l’ai jamais été. Je ne suis plus sûr de savoir retomber sur mes pattes en m’abritant derrière une formule, un bon mot. Je doute de moi et surtout, de mes solutions.

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En écrivant ces lignes, je me demande s’il n’y a pas une sorte d’indécence à expliquer dans un média pourquoi je prends, en ce moment, mes distances avec les médias. Serais-je de ces acteurs dont les tournées d’adieu s’éternisent au point de ne jamais s’achever ? Je ne le voudrais pas. J’essaie simplement de m’expliquer à haute voix, persuadé que je ne suis pas le seul à buter sur ces mêmes interrogations. Et puis, je le dois à ceux qui suivent mes interventions et, notamment, mes concitoyens biterrois. Beaucoup sont fiers que leur maire « parle à la télé ». C’est une sorte de reconnaissance pour notre ville de province. Je n’y suis pas insensible. Comme, je dois bien l’avouer, au plaisir d’être reconnu dans la rue…

Au fond, je veux être un élu, mais pas un politique. Un élu qui se bat pour que ses voisins vivent un peu mieux, et non un politique cadenassé par le qu’en-dira-t-on de ses amis, de ses adversaires, de ses électeurs. Je veux parler de ce que je connais et pas à tort et à travers. Je veux être libre, tout simplement. Alors, je reprends ma respiration. Une bouffée d’oxygène.


[1]. Robert Ménard : « Je préfère cinquante ans de Macron à un an de guerre civile », Causeur n° 101, mai 2022.

Décembre 2022 - Causeur #107

Article extrait du Magazine Causeur




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