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Légion étrangère: le chant d’honneur

Reportage d'Elisabeth Lévy au 1er REC à Carpiagne (1/2)


Légion étrangère: le chant d’honneur
Jean Kudawoo, légionnaire au 1er escadron du 1er régiment étranger de cavalerie à Carpiagne.

L’histoire de la Légion est inséparable de celle de la France. Ce corps d’élite régi par un code d’honneur compte plus de 8000 volontaires étrangers placés sous le commandement de 450 officiers français. Des guerres coloniales aux combats contre l’Etat islamique au Mali, ces durs à cuire sont unis par les mêmes idéaux, discipline, amour du chef et surtout : la mission quoi qu’il en coûte. Une grande famille avec ses rites, ses mythes et ses coutumes. Reportage d’Elisabeth Lévy au 1er REC à Carpiagne. Photos de Stéphane Edelson. (1/2)


C’est un défi à l’époque. Une anomalie – une insulte pour certains. Pas seulement parce que c’est un phalanstère d’hommes bagarreurs et disciplinés, sentimentaux et endurcis, épris d’aventure et nostalgiques de la terre maternelle. Ni parce que c’est un univers vertical sous le règne de l’horizontalité – l’existence même de l’armée repose sur l’idée qu’il y a quelque chose de plus grand que l’individu. Ce qui fait de la Légion étrangère une survivance et une résistance, c’est le rapport de piété et de sacralité qu’elle entretient avec un passé mythifié. La première chose qu’apprend le nouvel engagé tout juste arrivé d’Ukraine, de Chine ou de Madagascar à Castelnaudary, où le 4e régiment étranger assure l’instruction des futurs légionnaires, c’est qu’il doit se montrer digne d’une longue chaîne généalogique. Et s’il est prêt à mourir, c’est d’abord pour son chef et ses camarades, autrement dit pour la Légion, ensuite seulement pour la France. La devise de l’institution, Legio Patria nostra, « la Légion notre patrie », rappelle que, si tout homme a deux patries, la sienne et la France, tout légionnaire en a trois. Comme il a plusieurs pères. La verticalité s’y décline dans la grammaire de la filiation. Pour tous, le Comle, le commandant de la Légion, dont le quartier général est établi à Aubagne, est le Père Légion. Lors de ma première visite, en juillet 2019, le général Denis Mistral (qui a laissé son poste en juillet 2020 au général Alain Lardet) résumait ainsi le lien hiérarchique : « Commander en père, obéir en fils. » Avec un objectif : « Donner à la France une troupe qui ne fera jamais défaut. »

"Dans la troupe, y'a pas de jambe de bois." A Carpiagne, comme dans tous les régiments de la Légion, on apprend le français en chantant au pas. ©Stéphane Edelson.
« Dans la troupe, y’a pas de jambe de bois. » A Carpiagne, comme dans tous les régiments de la Légion, on apprend le français en chantant au pas.

Entrer à la Légion, ce n’est pas seulement s’approprier une histoire, c’est vivre avec elle. Il y est inconcevable de déroger aux traditions, symboles et rituels qui rythment la vie légionnaire, rappellent les heures glorieuses, comme la bataille de Camerone en 1863 (voir encadré), ou les menus faits de l’existence légionnaire. Tout est cérémonial. Ainsi le rituel de la poussière où l’on verse une gorgée de vin dans les verres rappelle la vie du désert, quand le sable collait au fond des quarts. On dirait une prière, dirigée par le plus gradé, l’assistance répondant par des beuglements et des gestes parfaitement synchronisés. Et ça se termine par « Tiens, voilà du boudin ! », entonné avec le plus grand sérieux et un respect pointilleux du rythme. Quant au coup de poing assené par un officier au légionnaire qui prend du galon, peut-être vise-t-il à rappeler qu’en des temps pas si anciens, les fautes disciplinaires se réglaient souvent par un cassage de gueule infligé par le supérieur et accepté par le légionnaire.

Des guerres coloniales aux OPEX

Pour ajouter à l’anachronisme, et à la mauvaise réputation, la légende de la Légion étrangère s’est largement écrite dans l’aventure coloniale, et plus encore dans les conflits sanglants de la décolonisation. Elle est fondée en 1831 par Louis-Philippe, au moment où les armées se nationalisent, c’est-à-dire qu’elles cessent d’être des légions étrangères (au sein des armées napoléoniennes, on parle plus allemand que français). Il s’agit alors de doter la France d’un corps expéditionnaire en Algérie. D’après un officier, elle agrège, outre des mercenaires, les Gilets jaunes de l’époque. Après moult péripéties, incluant la vente de la Légion à l’Espagne en 1837 et la création d’une deuxième Légion étrangère qui combat la première, elle participe aux guerres du Levant et aux guerres mondiales, y compris à la drôle de guerre : le GRDI 97 (Groupe de reconnaissance de division d’infanterie), constitué de légionnaires du 1er et du 4e régiment étranger de cavalerie – c’est-à-dire de combat blindé depuis 1929 date de la dernière charge à cheval –, y perd deux tiers de ses effectifs, dont le chef de corps qui meurt avec ses hommes. Dès 1943, les légionnaires reprennent le combat en Tunisie face à l’Afrika Korps de Rommel, puis participent, à partir de la Provence, à la libération de la France… jusqu’en Autriche. Viendront ensuite les guerres d’Indochine. Entre 1945 et la chute de Diên Biên Phu, plus de 10 000 légionnaires sont morts dans les rizières indochinoises – tout légionnaire a lu Par le sang versé, de Paul Bonnecarrère, qui raconte cette histoire épique et effroyable. Une proportion notable de ceux qui se firent trouer la peau pour défendre l’Empire français étaient des anciens de la Wehrmacht, parfois de la SS, aussi nombre de chants consignés dans le livret vert et rouge que possèdent tous les légionnaires sont-ils des romances sirupeuses en allemand. Ils communient avec les Russes dans l’anticommunisme. Plus tard, la majorité des officiers du 1er REC (Régiment étranger de cavalerie, c’est-à-dire de combat blindé) choisissent le quarteron putschiste d’Alger. Seuls deux hommes seront sanctionnés dont le chef de corps, le colonel de la Chapelle qui couvrira ses légionnaires et déclarera à son procès : « Une politique se juge à ses résultats, pas l’honneur.» Contrairement, au 2ème REC, le 1er REC échappera à la dissolution, probablement grâce à l’intervention de Pierre Messmer.

Aujourd’hui, la Légion étrangère est une troupe combattante d’élite de l’armée française, qui compte plus de 9 000 volontaires étrangers (ou Français recrutés sous une nationalité d’emprunt) placés sous le commandement de 450 officiers français. Une épopée résumée par le général Mistral le 24 juillet 2020 dans son vibrant discours d’adieu : « En cent quatre-vingt-huit ans, cet habile et utile regroupement d’étrangers, soudards, demi-soldes oisifs et encombrants, envoyé en Algérie pour un dessein colonial, est devenu un monument de l’Histoire, du patrimoine et de la culture françaises qui, du haut de ses 40 000 âmes tombées au champ d’honneur, rassemble dans le cœur des Français et de millions de gens à travers le monde les valeurs les plus belles et les plus admirables. » À la Légion, on a le lyrisme facile, mais pas ce lyrisme agaçant qui est l’étendard de la pureté morale, ni cette exaltation de commande qui fait endimancher les mots. Plutôt une révérence naïve, une envie de s’identifier à plus grand que soi, une croyance dans des vertus ringardisées – héroïsme, fidélité, droiture. Et puis, comme me l’a confié un officier, « on y parle plus de la mort qu’ailleurs ». Il est vrai qu’on meurt moins en OPEX (opérations extérieures) qu’en Indochine, la guerre aussi a changé. Mais en s’engageant, chacun accepte par avance le « sacrifice suprême », expression qui figure d’ailleurs noir sur blanc dans le contrat de tous les militaires. En mai, le 1er REC a perdu deux hommes au Mali.

Y'a pot chez les sous-offs.
Y’a pot chez les sous-offs.

Deux mois plus tard, leurs camarades sont de retour à Carpiagne, le camp de 1 500 hectares où le « Royal étranger », surnom donné au REC en souvenir de son lointain prédécesseur fondé par Louis XIV, a élu domicile en 2014, après trente-sept années passées à Orange. L’immensité idéale pour les exercices de tir. En revanche pour s’entraîner aux manœuvres sur blindés, les cavaliers doivent se rendre à Canjuers ou à Djibouti. Sur ce vaste plateau provençal de rocaille et de broussaille dominant le paradis des calanques, les immeubles proprets de quatre étages qui abritent les baraquements semblent minuscules, comme un rappel de la petitesse humaine.

« Au combat, tu agis sans passion et sans haine »

Ce jour-là, des hommes du deuxième escadron – les « hippocampes », un hommage aux anciens qui, en Indochine, utilisaient des véhicules amphibies – achèvent de ranger les armes[tooltips content= »Un escadron est l’équivalent pour la cavalerie d’une compagnie d’infanterie. Il compte une centaine d’hommes. »]This triggers the tooltip[/tooltips]. Démontage, nettoyage, empilage dans des caisses qui sont vérifiées et enregistrées à l’armurerie : le ballet est parfaitement réglé, sous le commandement du chef Fabien (pour maréchal des logis-chef, l’équivalent d’un sergent-chef), 35 ans, dont dix-huit de Légion étrangère. Un père et un frère légionnaires. Pas très grand, boule à presque zéro, format râblé et musclé, habitué de la fonte et joueur de rugby. Encore un drôle de mélange, un soldat sans états d’âme avec un petit quelque chose du mauvais garçon qu’il aurait pu être. Selon ses dires, bagarreur et fervent croyant. « Il faut avoir peur de quelque chose, savoir s’agenouiller devant une suprématie. » Pendant que ses gars poursuivent l’inventaire des dernières caisses, il surveille, rectifie, taquine, houspille, tout en évoquant le Mali. « Une belle opération », dit-il, les yeux brillants. Comprenez « avec de vrais combats ».

Le chef Fabien, 35 ans, dix-sept ans de Légion, quelques semaines après son retour du Mali. "Si je meurs au combat, c'est que j'aurai accompli ma mission sur Terre".
Le chef Fabien, 35 ans, dix-sept ans de Légion, quelques semaines après son retour du Mali. « Si je meurs au combat, c’est que j’aurai accompli ma mission sur Terre ».

Fabien n’aurait pas dû être déployé. Alors que les forces nigériennes et maliennes avaient perdu beaucoup d’hommes lors d’attaques de casernes, au sommet de Pau du 13 janvier 2020, il a été décidé d’envoyer des troupes supplémentaires dans la zone des trois frontières.

Le capitaine Beaudoin, 32 ans, commandait le PRI 1 (peloton de recherches et d’intervention), constitué de 174 hommes, dont 110 du REC, qui opérait dans la région de Ménaka. Un bon cocktail de jeunes et d’anciens. « Notre but était de reprendre l’offensive, de chasser l’ennemi de ses zones refuges. Nous avons jumelé nos sections avec les Nigériens qui n’ont pas notre capacité de manœuvre, mais connaissent le terrain. Ils étaient très motivés pour défendre leur pays et venger leurs camarades. »

C’est dans l’un des accrochages avec des groupes de l’EIGS (État islamique au Grand Sahara) que le légionnaire Kevin Clément a perdu la vie le 4 mai. Lui aussi, fils et frère de légionnaire. Sur les photos, il a l’air d’un ado candide, malgré ses 21 ans. Son véhicule avait pris en chasse une moto ennemie qui leur a tiré dessus. Fabien raconte : « Quand le sergent a donné l’ordre à Clément, derrière lui, de répondre à la radio, il s’est rendu compte qu’il était touché : une seule balle dans la zone de l’œil. On l’a évacué en même temps qu’un des deux terros. » C’est le septième et dernier article du code d’honneur que tout légionnaire apprend par cœur : « Au combat, tu agis sans passion et sans haine, tu respectes les ennemis vaincus, tu n’abandonnes jamais ni tes morts, ni tes blessés, ni tes armes. » Ni le légionnaire ni le terroriste n’ont survécu. « Bien sûr, c’est difficile, poursuit Fabien. La veille, on parlait avec un petit Alsacien plein de vie. Mais on est repartis au feu. On a fait des prisonniers et des morts. Et évidemment que je repartirai si on m’en donne l’ordre. Si je meurs, c’est que j’aurai accompli ma mission sur terre. »

Le capitaine Beaudoin, chef du premier escadron, commandait le groupe d'intervention auquel appartenait Kévin Clément. "Ce qui m'a rendu fier de mes hommes, c'est qu'ils sont immédiatement repartis au combat".
Le capitaine Beaudoin, chef du premier escadron, commandait le groupe d’intervention auquel appartenait Kévin Clément. « Ce qui m’a rendu fier de mes hommes, c’est qu’ils sont immédiatement repartis au combat ».

Trois jours plus tôt, le régiment avait déjà perdu l’un des siens, le brigadier Dmytro Martynyouk. Le 23 avril, il conduisait un camion-citerne sur la route allant de Ménaka à Gao quand une mine a explosé. Dans un état plus que critique, il s’est bagarré plusieurs jours avant de mourir le 1er mai.

À Carpiagne, ses camarades restés à l’arrière accompliront un miracle : en pleine épidémie de Covid, alors que les liaisons aériennes sont presque suspendues, ils réussissent à faire traverser quatre frontières à sa famille ukrainienne pour qu’elle puisse assister à l’hommage aux deux soldats présidé par Florence Parly le 8 mai.

« Ça a plus de sens que de mourir en tombant d’une échelle »

Le légionnaire ne pleure pas ses morts, il les honore. Pour leurs camarades du « 2 », ça signifiait repartir au feu. Le capitaine Beaudoin est arrivé sur les lieux quelques minutes après que Kevin Clément a été touché : « Pour un chef, perdre un homme, c’est ce qu’il y a de pire. Mais deux heures plus tard, le chef de corps m’a dit : “Vous repartez.” C’était le plus grand honneur qu’on puisse me faire. Et c’est ce qui m’a rendu vraiment fier de mes légionnaires : ils sont repartis au combat. Ils ont fait leur métier. » La mission, premier article de la foi légionnaire. La mission quoi qu’il en coûte : « Ce qui rend notre boulot fabuleux, c’est le risque, murmure le capitaine Henri, qui commandait l’escadron de Martynyouk. Ça a tout de même plus de sens de mourir au combat qu’en tombant d’une échelle. » Aussi, avant de quitter la Légion étrangère, tout officier se fait photographier devant le monument aux morts érigé au quartier général à Aubagne et surmonté de la célèbre mappemonde noire. La « boule », comme on l’appelle, a été inaugurée en 1931, à Sidi Bel Abbès, pour le centenaire de la Légion et installée à Aubagne en 1962.

Kévin Clément et Dmytro Martynyouk ont perdu la vie au Mali. A la Légion, on ne pleure pas ses hommes, on les honore.
Kévin Clément et Dmytro Martynyouk ont perdu la vie au Mali. A la Légion, on ne pleure pas ses hommes, on les honore.

Fin août, les hommes du deuxième escadron et leurs officiers ont fait le voyage à Abelcourt, le village de Haute-Saône où était né Kevin, pour assister au dévoilement de son nom sur le monument aux morts. Et surtout pour entourer ses proches. Il y avait même, selon un article de Marianne, une bande de motards venus de toute l’Europe sur leurs Harley, des membres du « Béret vert Brotherhood », une confrérie d’ex-légionnaires devenus bikers dont beaucoup ont servi avec Jean-Marc, le père de Kevin.

L’école de la deuxième, voire de la troisième chance

À Carpiagne, la deuxième chose qui frappe après la beauté âpre du paysage, c’est la langue singulière qu’on y parle, un mélange de parler militaire un brin désuet, d’ordres vociférés et d’argot de partout – le tout teinté d’accents du monde entier, y compris de Marseille. Sans oublier d’innombrables sigles et acronymes, que l’armée affectionne particulièrement, comme s’il fallait que toute situation humaine puisse se décliner en quelques lettres.

Ce qui distingue la Légion du reste de l’armée, c’est le légionnaire. La pâte humaine, comme le dit le colonel Meunier, chef de corps du REC (voir entretien pages XX-XX). D’abord, l’identité légionnaire conjugue deux signifiants habituellement disjoints : l’armée et l’étranger. Les 8 800 légionnaires sont étrangers ou recrutés à titre étranger : pour augmenter la proportion de francophones, on admet les candidats français à qui la Légion fournit une « identité déclarée » et une nationalité de substitution. Frédéric de Tarentec est devenu Frank de Montréal. Le chef Fabien s’est engagé sous passeport monégasque. Il a retrouvé son nom de baptême trois ans plus tard, en passant sous-officier. Le capitaine Emmanuel de Nedde, spécialiste d’histoire de la Légion, s’est engagé avec un passeport suisse il y a dix-sept ans : « Je voulais donner un sens à ma vie. » Tant que le légionnaire respecte son propre anonymat, la Légion le protège. Il y a quelques années, l’un d’eux, recherché pour un casse, a quitté le régiment entre deux gendarmes : il avait donné son nom d’emprunt à sa mère, qui l’a naïvement fourni aux enquêteurs.

Cependant, la majorité des légionnaires sont de « vrais étrangers » – et pour beaucoup des adultes qui ont passablement roulé leur bosse. Certains ont des problèmes de drogue. Beaucoup viennent de familles chaotiques, quand nombre de leurs officiers, issus de Saint-Cyr, incarnent à la perfection la famille militaire classique, catho et nombreuse.

La Légion est l’école de la deuxième chance, voire de la troisième : on peut s’y engager jusqu’à 40 ans, quand la limite est 29 ans pour l’armée de terre, et y progresser tout au long de son service. Elle offre une nouvelle vie, parfois une nouvelle identité à quiconque veut repartir de zéro après un accident de parcours. Certes, le temps où on venait purger par le sang un passé criminel est révolu. S’il y a des légionnaires en délicatesse avec la Justice, c’est plutôt pour une faillite, des embrouilles avec le fisc… ou avec une ex-épouse. « On était moins regardants quand on envoyait des gens mourir en Indochine », admet un officier. Certes. Mais il est toujours un peu incongru de demander à un légionnaire pourquoi il s’est engagé, aussi ne saurai-je pas comment un patron du CAC 40 italien est devenu officier au REC.

Aujourd’hui, la Légion vérifie, autant qu’elle le peut, la véracité des histoires racontées par les candidats. Chaque légionnaire fait l’objet d’un suivi constant pour évaluer son esprit de cohésion, sa fidélité, son adhésion aux valeurs de l’institution. L’objectif étant évidemment de ne pas recruter d’ennemis, d’autant que c’est aux légionnaires qu’incombe la sécurité de nos installations militaires extérieures. Le scénario catastrophe des cadres de l’institution, c’est un légionnaire qui retourne son arme contre ses camarades. Cela s’est produit notamment entre les deux guerres mondiales, avec des Allemands. Au doigt mouillé, on a l’impression que les recrutements venus de pays musulmans se font plus rares. Si c’est un choix, personne, bien sûr, n’en fait état.

De l’Armée rouge à la Légion

Cependant, le plus souvent, le légionnaire vient chercher une nouvelle patrie parce que la sienne est en proie au chaos ou à l’effondrement économique. Aussi le recrutement épouse-t-il les soubresauts de la géopolitique mondiale. Le 1er REC est fondé en 1921 avec des soldats et des officiers issus des armées blanches, notamment celle de Wrangel, qui arrivent à Bizerte. Ce sont eux qui insufflent au régiment l’esprit cosaque, perpétué aujourd’hui par des recrues mongoles ou kazakhes. C’est ainsi qu’un général des armées tsaristes pouvait se retrouver simple légionnaire.

Dans les années 1980, la Légion voit affluer des soldats britanniques, limogés de l’armée après la guerre des Malouines, dans les années 1990, des soldats perdus de l’ex-Union soviétique. Au REC, on se souvient d’un ancien commandant de sous-marin qui voulait payer les études de ses enfants. L’adjudant Sergueï, 51 ans, qui s’est engagé en 1996, après avoir quitté l’Armée rouge. « Après 1991, l’Union soviétique était devenue trop petite pour moi. » Il est tombé sur un encart de journal proposant des informations sur la Légion étrangère contre trois roubles. On lui a envoyé Képi blanc. Il est arrivé en France avec trois phrases en poche dont « je cherche des femmes » et les aventures de Monte-Cristo dans la tête. Et l’aventure a commencé. « Après l’Armée rouge, je pensais que ce serait assez pépère. » En réalité, Sergueï a collectionné les missions de combat, notamment en Afghanistan. Il a été décoré trois fois. « Je fais mon boulot. À la Légion, nous avons les armements, les équipements. Nous sommes plus protégés qu’un civil lambda. » En 2005, il est devenu français, sans doute « par le sang versé », vu ses états de service. Une procédure qui, curieusement, existe seulement depuis 1999. Par ailleurs, après cinq ans d’engagement, les légionnaires peuvent demander leur naturalisation, après avoir obtenu du Comle un certificat de bonne conduite, mais seule une minorité le fait.

L'adjudant Sergueï a quitté l'Armée rouge pour la Légion. Plusieurs fois décoré, il est devenu français "par le sang versé", procédure instaurée en 1999. La formule se réfère à un poème de Pascal Bonetti, où il est question d'un "étranger devenu fils de France, non par le sang reçu mais par le sang versé" (Le Volontaire étranger, 1920).
L’adjudant Sergueï a quitté l’Armée rouge pour la Légion. Plusieurs fois décoré, il est devenu français « par le sang versé », procédure instaurée en 1999. La formule se réfère à un poème de Pascal Bonetti, où il est question d’un « étranger devenu fils de France, non par le sang reçu mais par le sang versé » (Le Volontaire étranger, 1920).

Le fils de Sergueï est élève au lycée militaire. Mais, même français, un Russe n’oublie jamais la Russie où il va chaque année. « J’ai passé toute ma jeunesse dans un pays bien structuré, pauvre mais heureux. J’adore la France, mais je regrette qu’il y ait trop d’individualisme. »

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Mars 2021 – Causeur #88

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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