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Tout est réel, donc plus rien n’est vrai

La plume au vent


Tout est réel, donc plus rien n’est vrai
© Soleil

La plume au vent 


Le réel, aïe ! c’est quand on se cogne, disait Lacan. La vérité, c’est pareil, ça fait un peu mal, c’est même à ça qu’on la reconnaît. On peut toujours la nier, on peut (se) mentir – ce qu’on partage le mieux ce sont nos mensonges, cela s’appelle : l’idéologie –, mais tôt ou tard, elle éclatera au nez et à la barbe du menteur. Les Français le savent depuis longtemps, mais ils font semblant, ils se rient de l’abîme, ils ont l’art de s’en foutre. On se croirait dans La Règle du jeu, de Renoir (1939) – la guerre est déjà là, personne n’y croit. D’un côté donc, la guerre, le marché, les médias – et depuis toujours les fake news de MM. Trump, Tibère, Hérode ou Xi Jinping –, c’est-à-dire le monde. Avec aujourd’hui une pandémie en guise de bal masqué. Des burgraves qui légifèrent dans la brume à Bruxelles. 

Et Macron – tout un programme. Oui, mais il y a aussi ça : la vérité.

Ce qu’on cache, ce qu’il ne faut pas dire, ce qui n’a pas de prix, ce qui fait peur, ce qui blesse, ce qui est l’objet rêvé d’un désir. On n’y accède que par une médiation ou un truchement symbolique, par exemple la littérature ; on n’en perçoit jamais qu’un reflet : « La vérité est laide ; nous avons l’art afin qu’elle ne nous tue pas », dit Nietzsche, toujours désagréable. Car on vit sous un voile : les ombres de la caverne de Platon, la mâyâ dans la cosmologie indienne, le mana des Polynésiens – ce qu’on appelle en français un « truc », un « machin » : « derrière machin, il y a machine et plus lointainement l’idée de force ou de pouvoir » dont on serait le jouet, dit Lévi-Strauss. D’où l’attrait du complotisme.

On a trouvé beaucoup mieux : la post-vérité – les effets d’un concours de blagues planétaire. Désormais, la vérité, on s’en défie comme d’une opinion parmi d’autres. On voudrait que ce ne soit qu’un mirage, un leurre, une illusion partisane – une ruse de l’adversaire. Tout conspire à nous en persuader.

Non.

C’est une espérance sauvage.

Un démenti violent à ce qu’on nous a fait croire, à ce qui n’était pas vrai ! On est tous devenus des adorateurs effarés du visible, c’est-à-dire des illettrés. Et l’on s’étonne d’avoir mal ! Quand tout s’exhibe, tout est réel, tout fait écran, plus rien n’est vrai. Aujourd’hui, le culturel – synonyme : le tribal – a remplacé les arts et la littérature ; la technique se substitue à la science ; le marketing supplante la politique ; le sexe supplée l’amour ; le sanitaire prime sur le salutaire. On veut troquer le sexe – hérité, biologique, « clivant » – contre le genre – culturel, construit, électif.

On défend des « droits ».[tooltips content= »On ? Au siècle dernier, Philippe Muray s’amusait déjà de la suprématie acquise de ce pronom à la fois personnel et indéfini, singulier et pluriel, qui traduit l’extinction du désir, la perte du Je et l’effacement de la différence des sexes. Voir l’article Valeur et fonction de on en littérature par temps festif (1998), dans Après l’Histoire I, Essais, Gallimard, 2007.« ](1)[/tooltips]

Principe de précaution : comme on ne veut pas risquer de tout perdre, on préfère ne rien gagner.

On ne souhaite que récupérer sa mise, un peu comme Mme Thatcher interpellant l’Union européenne jadis : « I want my money back ! » Politique de Gribouille : on se jette à l’eau de peur d’être mouillé. Du coup, on reçoit la vérité comme une paire de claques. La vérité n’est ni un virus, hélas !, ni un romantisme. C’est un réveil en sursaut avec une valeur d’alarme qui se vérifie d’emblée : le cœur bat plus vite, s’il y a le feu. En français, on dit aussi : un tocsin.




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est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

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