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Chouette, la mob’ revient!

Jadis ringarde, la mobylette devient branchée


Chouette, la mob’ revient!
Publicité pour le VéloSoleX S 2200, années 1960. ©Rue des Archives/PVDE

Dans les beaux quartiers de Paris, il est du dernier chic de rouler sur les vieilles bécanes qui sillonnaient les campagnes dans les années 1980. Jadis ringarde, la mobylette est aujourd’hui plébiscitée par les conducteurs en quête de liberté.


Dans les beaux quartiers, à la sortie du lycée, le comble de la frime est d’enfourcher une mob à bout de souffle. Une « Bleue », une « Orange », un « Caddy » tout décati, un « Solex » de nonnes à cornette ou, pour les plus intrépides, un « 103 SP » des campagnes qui affolait la maréchaussée à la fin des années 1980. Peu importe la vitesse limitée (50 km/h environ), seule compte l’ivresse de se déplacer librement, juste propulsé par un modeste moteur de 49,9 cm³. De jeunes dandys filiformes, sosies de l’acteur Pierre Niney, l’air vaguement romantique, n’ont d’yeux que pour ces cyclomoteurs de grand-papa avec cabas et porte-bagages. Toile cirée et Suze-cassis. Peugeot et Motobécane à l’avant-garde. Comme à l’époque où la France avait des mollets de compétition et les mains dans le cambouis.

Beaux et cons à la fois

Si la loi le permettait, ils troqueraient leur casque pour une gâpette écossaise. Depuis que les cyclistes sont harnachés comme des robocops, le possesseur d’un deux-roues motorisé même anémique a intérêt à se tenir à carreau et à faire profil bas. En ville, on n’aime pas trop les dissidents, les petits malins qui continuent à privilégier un mode de transport à essence. Connaissant la créativité de nos élus en matière de répression routière, il ne fait aucun doute qu’ils finiront par interdire toute forme de plaisir, surtout le plus innocent. Les scooters modernes, tricycles bourrés d’électronique, à l’entretien aussi coûteux qu’une Jaguar de collection, ces freluquets à forte tignasse les laissent aux travailleurs anonymes, aux cadres cravatés des tours vitrées. Rouler en meule, c’est s’affranchir des normes, dire merde au conformisme, refuser que les applis gangrènent nos vies.

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Il y a du survivalisme dans cette attitude, un côté bravache. Jeune et con sont deux mots qui vont si bien ensemble. Fort heureusement, tous les lycéens n’aspirent pas à monter des start-ups et à rejoindre la Silicon Valley à la nage. Ils croient encore aux valeurs de la République. Ces héritiers biberonnés au rock de BB Brunes se prennent pour Jacques Tati, ils rêvent à la jupe volante de Janique Aimée et aux filles pas si sages de la Nouvelle Vague. Ce retour historique désarçonne les marques qui n’avaient pas vu venir, non plus, la mode du vintage, le savon noir dans les drogueries et les rognons à la sauce moutarde à la carte des restaurants. Il fut un temps où une législation favorable (pas de permis, pas d’immatriculation), une activité industrielle soutenue et des idées simples faisaient de notre pays le paradis des bécanes à cylindrée réduite. Autour de la mobylette, ces dernières années, on dénombre des centaines de groupes, d’associations, de bandes de copains qui les remettent en état et font perdurer leur péché de jeunesse.

Stylé, pas cher, fiable et chic

Partout sur le territoire, du printemps à l’automne, des bourses, des sorties, des rassemblements viennent remplir les calendriers des offices du tourisme. Il existe même un charmant musée, Le Garage à tasses, dans l’Allier (Treignat), à la gloire de nos brêles d’antan. Il mériterait les palmes académiques pour la défense de ce patrimoine oublié. En matière de cyclomoteurs, tous les goûts coexistent sur la route. La variété des modèles, leur large diffusion tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle et leur facilité d’utilisation les rendent vraiment attachantes. Les petits budgets qui souhaitent s’offrir pour les vacances une pièce ancienne en bon état de marche vont enfin trouver leur bonheur. Une mob, c’est stylé, pas cher, fiable et chic.

Faites un test au bureau ou dans votre entourage, il suffit de lancer le sujet « mob » pour que, très vite, les garçons s’emballent et les anecdotes pétaradent. Rarement un objet aura autant fait fantasmer et vibrer la corde nostalgique. « Vu ma génération, c’est la Spéciale 50 Chaudron dérivée de la Bleue. Elle avait une présentation plus sportive avec un réservoir en selle et un siège biplace, et aussi un petit guidon dit “italien”. Son moteur plus puissant identique à celui de la AV 89 délivrait 2,7 ch contre 2 ch pour la Bleue, ce qui lui permettait de filer à 75 km/h. Hélas, elle ne pouvait pas lutter côté nervosité avec les cyclos italiens à boîte de vitesses », s’enthousiasme Patrice Vergès, l’une des grandes figures de la presse automobile française.

« Ça tombait les filles » 

Si les mobs nationales réunissent une majorité de suffrages, les japonaises eurent leurs heures de gloire dans les eighties et leurs défenseurs. Olivier, cadre supérieur, affiche sa préférence pour la Honda Amigo, de couleur bleu marine, précise cet esthète. Même si son cœur sera à jamais pris par la Yamaha DTM 50, François, pas encore 50 ans au compteur et qui n’a visiblement rien oublié de ces chevauchés fantastiques dans la Nièvre, nous confie : « J’ai commencé Peugeot. Ayant hérité de la 102 bleue de ma sœur aînée avec le réservoir sous la selle. Elle me servait pour aller au lycée Saint-Cyr dans les années 1980. C’était une expédition : tailler un bout de RN7, franchir la Loire, monter sur la colline de la cathédrale et son palais ducal, et redescendre place Carnot pour remonter sur l’autre colline. Je ne l’ai jamais trafiquée. Mes copains étaient en Peugeot 104 (certaines en selle biplace) ou Motobécane (y compris la mob bien grise et charpentée du vieux qui va au jardinet en traînant sa remorque) ou Suzuki ER21 ! Alors là, ça tombait les filles. Sur le tard, au bout de deux ans de 102 et en insistant pour dire qu’elle était fatiguée, mon père m’a payé une Motobécane Superblack noir et jaune. Jantes à bâtons. Phare protégé par une grille digne du Dakar. Là, compteur, je devais flirter avec le 75-80 km/h. J’entrais dans le monde de la connerie. Je me souviens avoir enlevé sa chicane pour aller plus vite. »

Les deux roues qui réenchantent le monde

Un peu plus jeune, Didier, quadra féru d’innovations technologiques, se remémore ses folles années en banlieue lyonnaise : « Le nec plus ultra dans les années 1990, c’est le Peugeot 103 RCX LC, autrement dit la 130 Racing avec le refroidissement liquide. Carrossée comme un bolide de course avec la barre de renfort, la selle sport et la tête de fourche, elle se démarrait au kick ! Pas de pédalage au démarrage. Son rival chez MBK, c’était le Rock Racing, la version sport du 51. À l’époque, MBK était plus créatif d’un point de vue marketing avec le duo Passion/Évasion. Et pour les versions plus affûtées encore, il y avait les kits Polini 75 cm3 avec le refroidissement liquide et en compétition les kits Bidalot Groupe 3 ! »

Le fétichisme n’est pas loin. Quand on interroge l’écrivain Philippe Lacoche, les souvenirs remontent à la pelle : « Au milieu des années 1960, j’ai huit ans à peine. Mes parents résident dans leur maison de Tergnier, à deux pas de la cité Roosevelt où j’ai passé toute mon enfance et mon adolescence. Dominique Van Missen, l’aîné d’une très grande famille, fait vrombir le moteur de sa Flandria Ultra Sport vermillon. J’entends encore le vrombissement. J’en ai parlé dans deux de mes bouquins : Cité Roosevelt et Le Phare des égarés. Autre époque, 1976. C’est l’été. Il fait très très chaud. J’effectue mon premier stage d’élève en école de journalisme de Tours, à l’agence locale de La Voix du Nord de Saint-Quentin. Je n’ai pas mon permis de conduire. Il faut pourtant que je me déplace dans la ville et dans l’agglomération pour effectuer mes reportages minuscules (concours de pêche, courses cyclistes, départs en retraite du garde champêtre, etc.). Mon copain Fabert (paix à son âme !) vient une fois de plus à mon secours. Il me prête une superbe Mobylette Motobécane orange AV 89 avec un siège biplace crème. Je serai le seul journaliste de Saint-Quentin à faire ses reportages à cyclomoteur. » Proust avait sa madeleine, les petits-enfants du baby-boom ont la mob’ pour réenchanter le monde.

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Ete 2018 - Causeur #59

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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